La
compagnie a de gros besoins: plus de 5 000 hommes. Elle
doit donc avoir une forte organisation pour y pourvoir, y
compris quelques passe-droits...
À partir
de 1720, le port de Lorient - Port Louis a le
quasi-monopole des armements pour le Compagnie (entre 18
et 30 bâtiments quittent Lorient chaque
année). Plus de la moitié vers les pays
riverains de l'Atlantique jusqu'en 1731. Après,
les destinations "outre cap "sont majoritaires. La
compagnie emploie en moyenne chaque année 1700
officiers mariniers, matelots, mousses pour assurer ses
armements. Entre 1745 et 1749, c'est plus de 2 000 hommes
dont elle a besoin. La durée moyenne d'un voyage
étant de 2 à 3 ans c'est environ 5 000
marins qui servent la compagnie. (16 à 17 hommes
pour 100 tonneaux, soit 65/70 hommes pour un 400 tonneaux
et environ 100 hommes pour un 600 tonneaux).
Où et comment ces
matelots sont-ils recrutés ?
Le quartier du Port-Louis est
réservé à la Compagnie ; les gens de
mer qui y sont classés ont le privilège
d'être levés uniquement pour le service de
celle-ci et non pour celui du roi. La difficulté
est que dans ce territoire exigu, depuis Pont-Scorff
jusqu'à la côte, île de Groix
comprise, et de la rivière d'Etel à celle
de Quimperlé, les matelots sont peu nombreux; on y
compte en 1734, 170 bateaux de pêche, avec chacun
un équipage de 2 à 5 hommes, et environ 25
caboteurs (effectif moyen, 5 hommes). Aussi la Compagnie
eut-elle très souvent besoin de demander au
ministre l'autorisation de faire des levées
d'autorité. A partir de 1719,
la Compagnie est autorisée à faire
désigner par les commissaires des classes, avec
l'accord du ministre, les matelots dont elle a besoin,
"en leur payant le quart en sus de la solde qu'ils
gagnent sur les vaisseaux du roi". Le recrutement est
difficile durant les premières années car
la Compagnie règle les soldes avec beaucoup de
retard. Ensuite il devient plus aisé, comme en
témoigne le faible nombre des désertions
dans le trajet entre le quartier de résidence et
Lorient, où les matelots se rendent à pied,
en groupe, mais sans surveillance. Le recrutement assez
facile s'explique par l'octroi d'un salaire relativement
élevé. Outre la solde, qui se monte
à 20 livres par mois avant 1739, 30 à 50
livres après cette date et 40 à 60 livres
à partir de 1755, les matelots reçoivent
l'autorisation de rapporter en France un "port permis"
dont la vente laisse un profit appréciable,
permettant de multiplier par quatre au moins la solde.
Naturellement la Bretagne
est fréquemment mise à contribution,
87 % des
hommes relèvent de l'intendance de la marine de
Brest et surtout de deux quartiers, celui du Port-Louis
(42,8 %) et celui de Saint-Malo (25,1 %). Au cours du
XVIIIème siècle, beaucoup de Malouins se
sont fait immatriculer au Port-Louis, dont relève
Lorient, aussi on peut affirmer que la majeure partie du
personnel navigant est originaire de Saint-Malo ou des
paroisses voisines de ce port.
les levées sont
faites aussi jusqu'à Dieppe, du Havre (4,2%) ou
Bordeaux (3,4%). Lorient
et la Compagnie entretiennent de longue date des
relations avec ces deux ports, soit pour s'y procurer des
armements, soit pour y effectuer des
armements.
En temps de paix, une telle
mesure ne soulevait pas de difficultés, mais il
n'en était pas de même en temps de guerre,
et le ministre insistait alors pour qu'on tirât du
quartier du Port-Louis le plus d'hommes qu'il se
pourrait: ils «doivent tous servir la Compagnie de
gré ou d'autorité, ils y sont
obligés» répète Machault en
1755, mais le commissaire-ordonnateur de la Marine,
Clairambault, lui fait part de son désaccord,
«ayant remarqué de tout temps, dit-il que les
matelots levés de cette sorte périssaient
pendant le voyage; comme ça n'a jamais
été que des matelots au cabotage ou des
pêcheurs qui ayant été dans ce cas,
il vaut bien mieux les déterminer à
s'engager de gré à gré, comme tous
les autres». Le ministre revient à la charge
l'année suivante et rappelle que le quartier
étant affecté à la Compagnie, tous
les matelots qui y sont classés doivent être
employés dans le besoin aux armements qu'elle fait
faire, et «si ceux qui s'adonnent à la
pêche n'étaient pas disposés à
s'embarquer dans les vaisseaux, il faut les y obliger en
les avertissant que s'ils résistent, ils seront
commandés pour Brest». Quand les
levées ne suffisent plus, le ministre presse
l'ordonnateur de remplacer les gens de mer par des
volontaires ou des soldats; «c'est un
expédient qui ne peut pas donner grand chose,
répond son subordonné, l'armée ayant
déjà recruté tout ce qu'elle
pouvait». Alors, force était de se tourner
vers l'ultime ressource, l'étranger. Pendant la
guerre de Succession d'Autriche, à partir de 1745,
on compte beaucoup sur les Irlandais, que l'on tente
d'allécher par toutes sortes d'avantages, y
compris, outre la faculté de faire double
pacotille, la certitude de ne pas être
classés tant qu'ils resteraient au service de la
Compagnie.
L'engagement est alors le moyen
le plus normal de se fournir en personnel. La Compagnie y
procède elle-même dans le quartier du
Port-Louis; quand elle veut le faire ailleurs, elle en
demande l'autorisation au ministre, qui lui
désigne les quartiers où elle peut
recruter.
Ce sont les correspondants
de la Compagnie, tels Drake à Saint-Malo ou Michel
à Nantes, qui agissent pour
elle
dans les
différents ports pour engager "de gré
à gré" des hommes, puis les envoyer
à Lorient, sous réserve de l'approbation du
commissaire des classes du département de
résidence. Un tiers du personnel environ est
engagé de cette
manière. Quand elle
n'en a pas de correspondants sur place, elle s'adresse
aux officiers des classes, ou bien elle laisse faire le
capitaine du navire, quand le bâtiment est
armé dans un port autre que Lorient. La formule
«de gré à gré»,
désigne le plus souvent des conventions
individuelles, plus rarement des petits groupes,
exceptionnellement un contrat collectif entre la
Compagnie et un équipage tout entier, encore
s'agissait-il seulement de conduire un bâtiment de
la Compagnie de Bayonne à Lorient. Il était
difficile à la Compagnie de s'engager dans cette
voie à cause de la présence sur nombre de
ses navires d'hommes levés
d'autorité.
Lorsque des
matelots étrangers à Lorient entrent au
service de la Compagnie,
avant de quitter leur
département, ils doivent se munir d'une permission
d'embarquer auprès de leur bureau des classes, et
ils
reçoivent une somme, ou "conduite"
c'est-à-dire une
allocation pour le voyage, fixée en 1723 à
3 sous par homme et par lieue,
pour rejoindre le port, et, à l'arrivée,
ils doivent remettre au commissaire des classes du
Port-Louis l'autorisation d'embarquer visée par le
commissaire du département
d'origine, celui-ci devait
s'assurer non seulement qu'ils étaient bien en
possession de ce billet, mais encore que celui-ci
n'était pas périmé, car ces billets
étaient nuls au bout de deux mois, de
manière qu'ils ne puissent servir à
d'autres. Le bureau des classes payait aux hommes deux
mois d'avance sur leur solde future .
Puis ils se font inscrire auprès du bureau des
armements et ils reçoivent alors la demi-solde
dans l'attente du départ, sont nourris et
logés à bord du bâtiment où
ils participent aux dernières opérations
d'armement, en particulier à l'installation du
gréement. Beaucoup, toutefois,
préfèrent "libertiner" en ville et
certains, volontairement ou non, manquent le
départ du vaisseau. Aussi celui-ci stationne
durant quelques heures en rade de Groix, pendant que des
patrouilles parcourent la ville, visitant les cabarets et
se saisissant des retardataires pour les amener à
des barques qui les portent à bord du
bâtiment en
partance.
Les préparatifs du
départ.
Avant de partir, l'homme
rassemblait ses hardes et réglait ses affaires ;
cela consistait, généralement, à
établir des reconnaissances de dettes et à
se donner un procureur pour le temps de 1'absence. Les
sages (ou fols selon le cas) confiaient ce soin à
leur femme, devant notaire, ou parfois aussi à
d'autres, membres de leurs familles, amis,
créanciers, ou à leurs fiancées.
Jacques Morel de Dieppe et
Jacquette Le Dingo de Lorient se sont promis le mariage,
mais cela ne pourra se faire qu'au retour du
« Duc du Maine », où Jacques
s'est engagé comme matelot. Un contrat est
passé devant un notaire de Lorient par les deux
fiancés à la tête froide: chacune des
deux parties s'oblige à verser à l'autre
198 livres tournois sur le plus clair de ses biens en cas
de dédit; le fiancé donne procuration
à Jacquette Le Dingo pour recevoir ses gages et
même le produit de la vente de ses hardes en cas de
décès. C'est effectivement ce qui se passa.
La pauvre fiancée fut effectivement
héritière de Jacques Morel.
Il arrivait souvent aussi que le
matelot, avant de quitter son pays, se vit confier de
petites commissions. Ainsi Yves Le Bret, de Matignon
(près de Dinan), avait reçu, avant de se
rendre à Lorient où il devait embarquer sur
le "Mascarin", en 1768, de Pierre Bernard, 9 livres pour
avoir des mouchoirs rouges et à fond blanc et
rayures rouges; d'un chanoine de Matignon, 9 autres
livres pour avoir des mouchoirs rouges; d'un autre
chanoine, pour des mouchoirs moitié rouges et
moitié bleus, ou lui rendre ladite somme s'il ne
peut en acheter; le sieur du Chesnet lui avait
confié 12 piastres à faire valoir en
pacotille avec la moitié du bénéfice
pour lui, sauf les risques de mer et de confiscation; le
procureur fiscal audit Matignon, 30 autres livres,
savoir, pour avoir des mouchoirs, 18 livres de la part du
procureur, 6 livres de la part de demoiselle Julie
Meillorge et 6 autres pour la demoiselle Louise Meillorge
(celle-ci pour des mouchoirs rouges).
Le séjour à
Lorient.
Il est probable que les hommes
levés d'autorité dont le commissaire des
classes du département envoyait la liste au
Port-Louis, se rendaient au port par port par groupes;
pour les engagés, la date à laquelle ils
devaient arriver était portée sur leur
billet de permission, ainsi que le jour où le
document était délivré; comme le
bureau des classes du Port-Louis inscrivait à son
tour le jour où la pièce lui était
présentée, il est facile de calculer le
temps passé en route. La moyenne pour venir de
Saint-Malo, principal lieu de recrutement des
engagés est de 10 à 12 jours, d'autres ne
mettent pas plus de sept jours pour franchir cette
distance, mais quelques-uns arrivent une semaine et
davantage après le délai fixé. Une
fois à Lorient les engagés semblent
préférer se loger en ville, d'après
les innombrables reconnaissances de dettes pour logement
et pension souscrites par des matelots; cependant, ils
pouvaient loger à bord , en 1723 il est dit que
les matelots qui seront nommés et qui se rendront
à bord avant le départ du vaisseau y
gagneront leur journée à raison de 40 sols
jusqu'au jour où on établira la
chaudière, qui sera un jour ou deux avant de
démarrer de devant la ville. A ce
moment-là, la Compagnie ne nourrissait pas ses
hommes dans le port comme elle le fit plus tard (à
partir de 1734), au moins pour les hommes levés :
«Lors de leur arrivée [les hommes]
devront se présenter au bureau des classes pour
s'y faire enregistrer et le même bureau remettra
une liste des noms au commis de la cayenne pour leur
faire distribuer des vivres; il remettra aussi une
pareille liste au lieutenant de port pour les distribuer
sur les vaisseaux et pour qu'ils puissent jouir de la
demi-solde; les écrivains qui sont chargés
des radoubs, gréément et garniture des
vaisseaux prendront les noms des matelots pour les
marquer et leur passeront les fêtes et les
dimanches s'ils sont assidus au travail; à
l'égard de ceux qui ne se présenteront
qu'aux repas, ils n'auront la demi-solde que les jours
où ils travailleront; les mousses auront leur
demi-solde et leurs vivres aussi». Auparavant la
Compagnie avait également décidé
qu'on allouerait à ces hommes en plein les huit
premiers jours de leur arrivée quoiqu'ils ne se
soient pas présentés au travail parce que
ce temps leur a été accordé pour se
délasser de leur route.
L'
embarquement.
C'était la Compagnie qui
répartissait ses matelots, mais le commissaire des
classes surveillait à ce que les hommes d'un
même quartier ou d'une même paroisse ne
fussent pas tous embarqués sur le même
bâtiment (dans les débuts de la Compagnie on
observait la tendance contraire), que les gens de
levée fussent les premiers embarqués, qu'on
leur adjoignît le nombre de novices et mousses
convenable en prenant de préférence pour
ceux-ci les orphelins, puis les enfants
d'officiers-mariniers et de matelots. Enfin on devait
donner aux hommes qui se connaissaient la satisfaction de
s'amateloter (partager le même hamac; on sait que
bâbordais et tribordais n'avaient qu'un hamac pour
deux) pour peu qu'ils parussent le souhaiter.
Selon ces recommandations,
l'équipage d'un navire était rarement
homogène. Ce recrutement explique la composition
du personnel maritime classé à Lorient
où on inscrivait ceux qui n'avaient pas encore
navigué ou ceux qui avaient obtenu l'autorisation
de changer de département; des sondages faits dans
le registre-matricule de la ville de Lorient daté
de 1752-1763 (il n'en existe pas d'antérieurs)
indiquent que sur 100 hommes, 75 n'étaient pas
lorientais, onze ou douze pas bretons, et que trois ou
quatre étaient étrangers. Sur 75 cas
où la profession du père est
indiquée, 5 seulement sont dits fils de matelots ;
les autres ont pour pères des laboureurs (ceux qui
viennent des environs de Lorient), des ouvriers ou des
artisans ; il y a aussi deux fils de notaires-procureurs,
le fils d'un ancien directeur à la Louisiane (mais
ils sont pilotes ou pilotins); le fils d'un maître
poulieur devient enseigne.
Donc l'équipage est
embarqué. A la prière du directeur de la
Compagnie des Indes à Lorient, le commissaire
général ordonnateur a donné l'ordre
d'en passer la revue au commissaire des classes.
Celui-ci, que le directeur a envoyé chercher en
canot, prend la liste de tout le personnel, faisant
particulièrement attention à bien signaler
les sujets qui composent l'équipage, afin
d'éviter les substitutions de noms ou leur
altération; il marque aussi leur solde et les
conditions de leur engagement et il établit en
quatre exemplaires le rôle du bâtiment, en
distinguant les hommes par quartiers, et dans chaque
quartier en groupant à part les hommes
levés d'autorité et les engagés de
gré à gré; puis un de ces documents,
dûment signé du capitaine, du directeur, du
commissaires des classes et même à certaines
époques du commissaire ordonnateur, est remis au
capitaine, non sans y avoir inscrit au préalable
les passagers. L'écrivain du bord sera
chargé de le tenir à jour.
Diversité des
compétences.
Les officiers de
marine ont une place à part. Au nombre de deux
à trois cents, ils forment un "corps "propre
à la Compagnie. Sur chaque navire, six à
huit officiers sont embarqués, soit en moyenne un
officier pour douze ou treize
hommes.
Outre les officiers,
l'équipage comprend des officiers mariniers et non
mariniers, des matelots, des novices, confondus souvent
avec les précédents jusqu'en 1740, des
domestiques, un petit détachement de soldats et de
mousses. A partir de 1735 apparaissent, après les
officiers non mariniers, des novices, auxquels s'ajoutent
à partir de 1738 des volontaires payés. Il
y a une grande diversité parmi les officiers
mariniers. Il y a des spécialités qui ne
peuvent faire défaut, comme maître d'
équipage et ses auxiliaires, pilotes et ses
acolytes, maître canonnier, calfat, charpentier et
voilier. Parmi les officiers non-mariniers figurent le
second chirurgien et le troisième s'il y en a, et
aussi parfois un armurier et un forgeron. Quant au
maître-valet
(maître commis actuel), il compte au début
parmi les officiers non-mariniers, ensuite il passe aux
domestiques avec le boulanger et le cuisinier, puis il
reprend de l'importance. Les officiers non-mariniers
n'étaient pas des marins et ils n'étaient
théoriquement pas classés. Les officiers
mariniers étaient, comme ils le sont encore, des
maîtres chargés et ils devaient au retour
rendre compte des objets et des outils dont ils
étaient responsables et dont ils payaient la
valeur si un procès-verbal, signé des
officiers n'en avait constaté la perte fortuite.
Il y a parfois des démêlés avec la
Compagnie, ainsi Perrine Denis du Plessis,
héritière de son frère, armurier sur
le "Duc de Noailles" et sur la solde duquel on avait
retenu le prix de certaines armes perdues porta l'affaire
devant les tribunaux , commencée en 1724, elle
n'était pas finie en 1730.
Les officiers mariniers
étaient des personnages et on les traitait dans
les bureaux avec une certaine déféren-ce.
Ainsi l'officier des classes du Port-Louis refuse de
retenir une dette sur le salaire de Jean Causse,
contremaître de l'Atalante, il l'engage simplement
à payer ce qu'il doit, au lieu d'agir d'office
comme pour les matelots. Naturellement les maîtres
d'équipage et les pilotes formaient
«l'aristocratie». Le premier pilote devait
tenir un journal de son voyage, et il pouvait se voir
confier un gros bâtiment pour une brève
traversée, comme Berthelé, chargé en
1727 de ramener l' "Hercule" de Brest à Lorient;
il avait accès aux petits commandements (Bizot,
pilote entretenu, amena ainsi au Sénégal
plusieurs bateaux de barre et de légers navires);
quelques uns sortaient d'ailleurs de l'ordinaire, comme
ce Liébaut, également pilote entretenu, qui
réalisa un magnifique atlas manuscrit (visible
à Brest)
Au bout de trois ans de
navigation dans la qualité de premier pilote et
après avoir passé un examen à
l'amirauté on pouvait être reçu
capitaine. Il arrivait même que la Compagnie, quand
besoin en était, fit d'un pilote un officier,
comme ce fut le cas pour Pierre Vigner, troisième
pilote de l'"Atalante", qui fut fait enseigne à 20
livres par mois au cours d'un voyage dans l'Inde de 1721
à 1724. Aussi n'est-il pas rare de voir des
pilotes du même rang social que les officiers, tel
noble homme Guillaume Barthélémy Le Floch,
sieur de Kerildrun, pilote sur le
« Saint-Michel » et le
« Jupiter » (1741) et Gabriel Elie Le
Bozec de Kervegan, mort sur la "Mutine" (1724). Au reste
nombreux étaient les capitaines qui faisaient
embarquer leurs fils avec cette spécialité,
dans l'intention de les voir devenir capitaines à
leur tour. L'habitude vint assez rapidement de mettre non
plus les jeunes gens, mais les enfants, sur les bateaux
pour apprendre le métier, et l'on voit mentionner
spécialement les pilotins comme une
catégorie à part depuis 1732 environ. Ils
reçoivent une légère solde,
contrairement aux volontaires.
Les novices ne sont pas
distingués au début des matelots de la plus
basse paie; on en voit cependant quelques uns, deux ou
trois mentionnés à part vers 1728 sur le
"Bourbon"; un peu plus tard on en fait une
catégorie distincte. En 1740, Louis XV, reprenant
le texte des ordonnances de Louis XIV ordonne d'en
embarquer un sur dix matelots afin de les former à
la mer et de pouvoir fournir des remplaçants. En
1745, une ordonnance entière leur est
consacrée "...ils ne pourront avoir moins de seize
ans et plus de vingt-cinq; seront réputés
novices tous les jeunes gens qui n'auront pas encore
navigué ou qui n'auront navigué que sur les
rivières ou à la pêche du poisson
frais; les jeunes gens qui auront navigué, mais
qui seront trop faibles pour faire le service des
matelots, seront réputés novices; on ne
pourra commander d'autorité que ceux qui auront
navigué en rivière ou à la
pêche du poisson frais; ceux qui auront
navigué (au long cours) pendant un an ne pourront
être embarqués que comme matelots." En fait,
si la limite d'âge inférieure était
respectée, la limite supérieure
était fréquemment franchie. La moyenne
d'âge était de 20 ans, mais en 1750, sur le
« Duc du Maine », des hommes de
28,31,34 ans, et même sur
l' «Auguste », un homme de 40 ans; il
s'agit là peut-être de terriens n'ayant
jamais vu un bateau de leur vie, ou des pêcheurs
qui n'avaient jamais été levés pour
le service. Sur la matricule des novices de 1764, ceux-ci
ne dépassent jamais l'âge
réglementaire, sauf un du "Dauphiné", et
parfois des novices singuliers, comme Poulo de la
Sauvagère, qui est dit, peu de temps après
son immatriculation, ingénieur auprès du
nabab du Bengale.
En 1745, la pénurie
des novices se faisant sentir, une nouvelle ordonnance
fixa leur nombre au quart de celui des matelots, puis au
tiers en 1746, et des sondages dans les rôles
montrent que ces ordonnances ont été
appliquées dès 1748 (sur le "Bristol", 20
novices pour 60 matelots), et les proportions ont souvent
été dépassées, avec parfois
même autant de novices que de matelots, comme sur
le "Puisieulx" en 1752. La proportion n'est pas toujours
aussi grande, mais elle ne semble jamais descendre
au-dessous du tiers et elle est souvent égale
à la moitié du nombre des matelots. Leur
origine est très diverse, comme celle de leurs
aînés.
Quant aux mousses, ce
n'étaient pas des enfants, malgré la
célèbre chanson, mais des adolescents, dont
l'âge moyen était de quinze ans, avec
naturellement des exceptions dans l'un et l'autre sens. A
bord de l' «Auguste»,, on rencontre,
à côté d'un jeune homme de 16 ans, un
enfant de 9 ans et un autre de 11 (c'étaient il
est vrai des garçons sans père connu). Le
recrutement est, comme pour le reste de
l'équipage, très varié. On prenait
de préférence les enfants des matelots et
des officiers mariniers, et il arrive qu'on trouve sur un
même bâtiment le père et le fils;
c'est ce qui arrive pour le maître
d'équipage Tourelle sur l'
«Astrée», revenu en 1727, le pilote
Aignan de la Motte sur l' «Hercule» en 1741, le
contremaître Jean Delalan-de sur le "Triton", en
1732, mais ce dernier eut le chagrin de voir périr
son fils, noyé le 7 mars 1734. Nombre de mousses
sont de même extraction que les pilotins, ainsi
Nicolas du Parc, fils de François, de Vannes, qui
doit être parent de l'écrivain du même
nom embarqué avec lui sur la «Parfaite»,
ce François Callen, fils d'un maître
apothicaire d'Auray, sur le «Duc de Bourbon» en
1726, ce noble homme Julien Placide de Montelliel,
ces quatre ou cinq mousses originaires du quartier du
Port--Louis, embarqués sur l'«Argonaute»
en 1722, qui tous savent signer couramment, marque d'une
éducation distinguée à
l'époque.
Salaires et
port-permis.
Sur tous les bâtiments un
peu importants, un petit détachement de soldats de
la Compagnie (11 hommes généralement),
était embarqué, pour favoriser la
discipline, et pour protéger l'équipage
dans les escales dangereuses. Ils sont payés 7
livres 10 sols (beaucoup plus que les soldats du roi, qui
reçoivent 3 livres à la même
époque).
Ils ne sont guère plus
favorisés que les mousses; ceux-ci sont
payés entre 5 et 3 livres entre 1727 et 1730, puis
6 livres après cette date. La solde des officiers
mariniers change selon le tonnage du bâtiment et la
destination ; elle connaît un minimum vers 1727 (40
livres pour la Chine, 33 livres pour la côte
d'Afrique), remonte ensuite un peu (45 livres pour la
Chine en 1741), double presque pendant les guerres, puis
se retrouve à 45 livres en 1765; il faudra la
guerre de l'indépendance des Etats-Unis pour la
voir augmenter réellement: elle est de 60 à
70 livres, une fois celle-ci terminée. Les soldes
des matelots ne sont pas en relation avec la destination;
il est assez difficile de donner une moyenne, car
l'éventail est important et la paie peut varier du
simple au double selon la catégorie, mettons que
la plus haute se fixe à 18 livres en 1727, 24
livres en 1741, double presque pendant les guerres. La
paie des novices suit le même mouvement, à
partir du moment où on les distingue des matelots,
c'est à dire après 1740; en 1735, ils sont
payés de 10 à 18 livres. J'ai cru
m'apercevoir qu'il existait aussi une différence
selon les quartiers' et que par exemple, les Malouins et
les gens du quartier du Port-Louis étaient plus
favorisés que les autres, tandis que les Normands,
les Bordelais, et même ceux d'Audierne, touchaient
une paie inférieure, peut-être parce que
dans les deux premiers cas, trouvant mieux chez eux, les
marins dédaignaient les offres de la
Compagnie.
A côté du
salaire, le personnel naviguant de la Compagnie
bénéficiait d'un avantage
appréciable, du moins sur les vaisseaux
envoyés en Asie, celui d'avoir, à
proportion de son grade un «port-permis»,
c'est-à-dire la faculté de faire un
commerce particulier. Le marin achetait outre mer pour
une valeur déterminée de marchandises
permises que la Compagnie vendait en France à son
profit. En 1727, un enseigne, nommé Robineau,
reconnaît devoir à un sieur Duguermeur une
somme de 800 pagodes et 6 fanons (monnaie de l'Inde) avec
laquelle il a payé un ballot de marchandises de
Pondichéry que la Compagnie vendra, et sur le
produit de la vente duquel il rendra la somme
prêtée avec les deux tiers du profit.
Seulement tous n'étaient pas aussi soucieux des
bonnes règles, et pour mettre un peu d'ordre dans
l'application de cette faveur, la Compagnie prit en main,
en 1735, l'achat des pacotilles: «A l'arrivée
du vaisseau au lieu de sa destination, il sera fait une
revue de l'équipage pour être le total des
avances à faire employé, tant aux Indes,
qu'à la Chine ou aux Mascareignes, en marchandises
convenables à la Compagnie. Ledit état de
revue des gens de l'équipage, ensemble celui des
avances faites en conséquence et employées
en leur faveur sera envoyé à la Compagnie
en France et il sera payé aux gens des
équipages à leur retour et lors du paiement
de la solde de leurs décomptes, suivant ce qui
devra revenir à chacun à proportion de
l'avance qui lui aura été faite, 60 % de
bénéfice sur le capital du
port-permis». Ce nouvel arrangement, concerté
avec le ministre de la Marine, doit être lu et
notifié aux gens de l'équipage avant le
départ du bâtiment, et en outre sera
transcrit au pied de l'affiche imprimée, qui doit,
suivant l'article 1er. du titre XXX du dernier
règlement de la marine de la Compagnie être
mise et apposée au pied du grand
mât.
Les efforts de la Compagnie
n'empêchent pas les abus; elle se plaint en 1749
que souvent la plupart des membres des équipages
n'en profitent pas, mais que les capitaines et les
officiers se servent des noms des gens de mer pour
débarquer et sauver leurs propres pacotilles; elle
décide que le port-permis, qui avait
été porté pendant la guerre à
140 livres pour chaque officier-marinier et 80 livres
pour chaque matelot, sera réduit à la
moitié, conformément à ce qui se
passait avant la guerre, et que tout capitaine ou
officier qui se serait servi du nom d'un membre de
l'équi-page pour faire débarquer sa
pacotille sera tenu de payer le double de son port-permis
au susdit et sera expulsé du service de la
Compagnie. En 1759, la Compagnie ne se mêle plus
d'acheter à la place de son personnel, mais elle
indique quelle sorte de marchandises on pourra rapporter
ainsi que la quantité et la valeur, à
raison de 100 livres pour les officiers-mariniers et 50
livres pour les matelots.
Cette permission de commercer
avait suscité dès le début de
l'existence de la Compagnie un besoin de trafiquer qui
s'était répandu dans toute la ville de
Lorient, et, au lieu d'argent, les gens de
l'équipage se voyaient confier une petite
pacotille au départ: en 1724 la femme Godais en
confie une d'une valeur de 24 livres à Louis
Lefebvre en partance pour la Louisiane sur le
"Saint-André"; en 1767, le matelot Guillaume
Lesquer, embarqué sur la "Paix", reconnaît
qu'il a reçu d'Angélique Nouel de La
Villegris deux barils d'amandes, qui contiennent 48
livres les deux, pour les vendre ou troquer à
Pondichéry en quelque chose pour son usage, et
à mon retour, dit-il, «j'aurai la
moitié du produit qu'il plaira à Dieu nous
donner»; Antoine Touche, maître canonnier de
l'"Outarde", accepte de diverses personnes, à
vendre à moitié profit, des bouteilles de
vin, deux barriques de bière, des fromages de
Hollande, des chapeaux, des flacons de liqueur (12
douzaines), de la poudre à poudrer; le soldat
Mathieu Papier, dit Sans Regret, a dans son coffre sur le
"Saint-Jean-Baptiste" pour une centaine de roupies de
marchandises que le sieur Bellier lui avait
données à vendre.
Le choix des
vêtements.
Le jour de la revue
précédent le départ on payait les
avances de soldes (ou le complément de celles qui
avaient été déjà
reçues dans les autres quartiers). Ces avances
étaient variables suivant la destination, de 2
à 3 mois pour la Louisiane et le
Sénégal, de 4 à 6 pour1'Occan
Indien, puis elles finirent par être fixées
uniformément à six mois. Elles
étaient destinées à payer les dettes
et à se composer un trousseau (ceci est
explicitement indiqué sur une pièce de 1726
lors de l'engagement de matelots italiens au Portugal par
le Duc de Chartres). Pour les dettes, le but
n'était pas toujours atteint si on en juge par les
billets que les matelots laissaient après eux;
quant aux hardes, il fallait veiller à ce qu'ils
se les procurent avant qu'ils n'aient complètement
dissipé leur argent; on n'acceptait d'ailleurs pas
de matelots sans hardes et c'est ainsi que dix matelots
envoyés du Port-Louis à Paimboeuf pour le
"Jason", se voient refuser par l'officier des classes du
lieu la permission d'embarquer, pour ce motif. Il en est
d'autres qui ne se donnent pas grande peine pour
renouveler leur garde robe: Jean Goudal, qui avait
manqué le départ de son bâtiment le
"Choiseul" en 1769, et dont on inventorie les effets, ne
possédait que six chemises usées, trois
vieilles paires de bas, quelques vieilles culottes et le
reste à l'avenant, de neuf il n'avait qu'un gilet
et trois paires de souliers, pourtant il n'était
pas pauvre puisqu'il emportait 306 livres en écus
de 6 livres ainsi que des petites douceurs comme un pot
de beurre et une potiche de sucre. Le trousseau du jeune
Jacques Logonnet, mousse âgé de 12 ans,
disparu au moment de l'appareillage du "Duc de
Béthane" de la rade de Groix (noyé ?) est
mieux composé: il n'avait que quatre vieilles
chemises sur treize, il possédait quatre
caleçons, deux gilets, deux culottes, trois
vestes, un habit, trois paires de chaussettes, deux
paires de bas, cinq paires de souliers et une vieille
perruque ... à l'âge de 12 ans ! L'enfant
avait aussi un écritoire, trois livres de
prières, un livre de cantiques, différents
petits objets usuels comme couteau, etc., ainsi que
dix-huit pommes, trois douzaines de châtaignes, un
petit pot de beurre, un de sucre et un de thé. En
contraste Louis Lecoche, de Paris, mort sur le Montmartel
en 1768, s'il avait de nombreux habits, vestes, culottes,
dont une veste de soie unie à fleurs d'or et une
culotte de camelot bleu avec des jarretières d'or,
ne possédait pas une chemise, pas un
caleçon, pas un mouchoir! La Compagnie avait pris
l'habitude, au début de mettre sur ses navires
quelques ballots de vêtements pour procurer des
rechanges à ses hommes quand ils étaient
par trop démunis, c'est ainsi que la Thétis
avait des souliers - en barils - pour son équipage
pendant son voyage de 1721, et puis l'usage
s'était perdu sans doute, puisque le
secrétaire d'état de la Marine l'invite en
1733 à faire embarquer des hardes sur ses
bâtiments pour les distribuer pendant le voyage,
car le défaut de vêtements, dit-il,
contribue beaucoup à faire périr les
matelots. On accéda au désir ainsi
exprimé, et il n'est pas rare de trouver par la
suite des documents sur les distributions de
vêtements; les hommes purent ainsi se procurer sur
le "Prince de Conty", armé en 1754 des chemises
à 2 livres 8 sols, des vareuses à 1 1ivre 8
sols et des culottes.
Les effets personnels
étaient généralement enfermés
dans un coffre fermant à clef, quelquefois commun
aux deux matelots amatelotés; il était
quelquefois difficile de caser ces coffres, surtout dans
les expéditions de Chine, comme l'observe Bouvet
en revenant de sa campagne sur le Villevault en
1766.
Les provisions à
bord.
Il faut aussi parler, avant le
départ, des vivres embar-qués pour
l'équipage (le capitaine avait ses provisions
per-sonnelles sur lesquelles il nourrissait les officiers
et les pas-sagers à la table).
Voici en quoi consistaient les
victuailles de la "Légère", petit
bâtiment de 130 tonneaux, portant 131 hommes,
expédié en Asie en 1731: farine, biscuits,
lard salé, boeuf salé (d'Irlande), morue
sèche, fromage, lard en têtes et en pieds,
pois fèves, fayots, riz, huile, vinaigre et autres
condiments; pour les malades, 30 poules, 6 moutons, 53
livres de prunes, 6 livres de sucre, 13 de beurre.
Pendant le mois de février 1731, on fournit par
jour environ une livre de biscuit à chaque homme,
à peu près 300 grammes de beurre
salé pour le dîner, un peu plus de 100
grammes de morue les jours maigres, environ 130 grammes
de fèves pour la soupe, plus huile et vinaigre
pour assaisonner le tout; en plus, pour le
déjeuner, on servait du lard les jours gras, du
fromage les jours maigres aux officiers-mariniers. Pour
boisson, le bateau avait approvisionné 7 barriques
de vin de Bordeaux et 27 d'un autre cru, plus 101 pintes
d'eau de vie, et dans les 31 jours que compte le mois de
mars, il fut délivré aux officiers
mariniers et matelots 98 pots, une pinte et une chopine,
soit approximativement 296 litres, ce qui fait, en
comptant que les officiers-mariniers avaient double
ration, 25 cl. d'eau de vie par jour, mousses
compris.
L'appareillage.
Le délai entre le moment
où l'avance était payée et le
départ est variable; il dépend de
l'état d'avancement du chargement, mais aussi du
vent. Il était impossible de déboucher de
l'estuaire du Blavet par vent d'ouest ou de suroît,
et combien de lettres du ministre dans lesquelles
celui-ci exprimait son impatience d'apprendre que le
temps avait changé et que les bateaux avaient
enfin appareillé. Ce délai n'était
pas toujours mis à profit avec sagesse par les
matelots; certains disparaissaient si l'attente
était trop longue, et il fallait mettre en action
la maréchaussée (en 1747 Maurepas demande
même qu'on les empêche de sortir du bord pour
éviter la désertion) qui ne les retrouvait
pas toujours, d'autres tombaient malades et il fallait
les remplacer avec l'accord de l'officier des classes qui
signalait ces changements sur le rôle.
Enfin le vent souffle de
la bonne direction et le navire se rend en rade de Groix;
il reçoit parfois au dernier moment des hommes
qu'on n'attendait plus, comme ceux qui, en 1741,
empruntèrent sans permission son canot de
pêche à François Loget et
l'abandonnèrent sans façon dans les couraux
une fois rejoint leur bord, ce dont le pauvre homme tout
marri vint se plaindre au directeur pour la Compagnie, en
lui demandant de le rembourser de sa perte, et c'est le
départ définitif, à moins que la
tempête ne le force à rentrer derechef, non
sans avoir subi quelques dommages, comme cela arrive
assez souvent.
LA VIE QUOTIDIENNE DES
MATELOTS À BORD DES VAISSEAUX
Une fois l'ancre levée,
on fait l'appel; c'est bien rare s'il ne manque pas
quelque matelot, parfois involontairement et on retrouve
alors ses affaires à bord, mais aussi quelquefois
d'une façon tout à fait
préméditée. On en dresse
procès-verbal.
DES PASSAGERS
CLANDESTINS.
Par contre, quand on a
déjà fait de la route il surgit souvent des
têtes inconnues: des gens se sont introduits dans
le bâtiment malgré les visites qu'on a
faites. Entre 1718 et 1728, cet incident est une
exception, pourtant en 1723, Charles Tessière,
aide canonnier sur le "Triton", vint trouver
l'aumônier en le priant de dire aux officiers que
le jeune Jacques Bourgeois, son beau-fils, enfant de 11
à 12 ans, s'était caché furtivement
sur le bateau, et que comme il n'était pas inscrit
sur le rôle, il ne recevait rien à manger,
et vivait sur la ration des autres, ce qui leur
était à charge; la commission fut faite, et
le garçon inscrit sur le rôle. Le mouvement
des embarquements clandestins, faible au début,
s'amplifie à partir de 1742, où chaque
bâtiment envoyé en Asie emporte une dizaine
d'«enfants trouvés», car tel est le
terme consacré et il prend une proportion
extraordinaire après la guerre de Sept-Ans,
jusqu'à trente quatre sur le "Triton", parti en
1772. Beaucoup de ces clandestins étaient des
matelots qui n'avaient pas trouvé d'embarquement;
cela est tellement vrai qu'à peine
débarqué à l'île de France
où on les déposait
généralement ils prenaient
immédiatement du service sur un autre
navire.
Le bâtiment est
parti. Reviendra-t-il ? Ce n'est pas certain. Beaucoup
sont condamnés outremer, n'étant pas
capables de faire le voyage de retour; quelques uns sont
restés pour naviguer dans l'Océan Indien;
cinquante ont été pris, dont quarante-huit
par les Anglais, un par les forbans à Madagascar,
et un par les pirates sur la côte Malabar;
quarante-quatre ont naufragé, dont le fameux
"Saint-Géran"; quatre ont brûlé. Ces
naufrages ne font pas un pourcentage très
élevé, de 5 % environ, et encore
là-dessus seulement quatre navires furent perdus
corps et biens; des autres il réchappa toujours
quelques hommes, même du "Prince", dont le sinistre
fut un des plus meurtrier, avec dix hommes sauvés
seulement sur les trois cents, tant membres de
l'équipage que passagers qu'il portait (26 juillet
1752).
UNE FORTE
MORTALITÉ.
Encore qu'il y eut presque
toujours quelques noyades au cours de chaque voyage, le
risque de périr de cette façon
n'était pas très élevé pour
un matelot de la Compagnie, mais celui de mourir de
maladie était au contraire des plus
sérieux. Le mauvais équilibre de la ration
alimentaire et la longue durée des
traversées sont les principales explications. Le
temps passé à bord est très
variable, car à côté des capitaines
habiles, il y a ceux qui le sont moins ou qui sont
malchanceux, comme celui du "Triton", qui rata son voyage
de Chine au départ de l'île de France et
qui, parti le 17 décembre 1732, ne revint que le
22 juillet 1735. Le ministre écrivait à son
sujet: «Il est heureux qu'il ne soit mort que 16
hommes (le bâtiment en comptait 135 au
départ de Lorient) pendant la longue
traversée qu'il a faite, quoiqu'il ait
essuyé bien des contretemps».
Ce «que» 16
hommes sur 135, pour deux ans et demi d'absence, ne doit
pas faire sursauter; cela ne fait que le huitième
et c'est normal. Il y a pire : 55 morts sur
l'"Argonaute", qui portait 190 hommes, en deux
années; 91 sur le "Duc de Chartres" pour 225
hommes durant la campagne de Moka en 1733-1735; 80 sur la
"Baleine" pour 182 hommes du 15mai 1741 au 23 juin 1742;
84 sur le "Héron" pour 171 hommes,
également en 1741-1742. On comprend que devant ces
hécatombes le ministre ait réagi. Il a
reçu, dit-il en 1742, de l'île de France, un
mémoire où on prétend que la plupart
des matelots qui périssent dans les vaisseaux de
la Compagnie périssent par le défaut de
nourriture parce que le capitaine, le second et
l'écrivain de chaque navire étant
intéressé à la fourniture des vivres
de l'équipage leur en retranchent autant qu'il est
possible et s'emparent même des
rafraîchissements destinés aux malades. On
met surtout en cause le capitaine du "Héron"
où il est mort 84 hommes sur 171 et où il a
péri à proportion bien plus de matelots que
d'officiers mariniers. Avant cependant de prendre aucune
résolution, le ministre prescrit une enquête
secrète, quand les hommes viendront
individuellement chercher leur passeport (27).
De fait quand
l'état-major reste intact alors que
l'équipage est décimé par la mort,
il est à craindre que le capitaine soit du moins,
lui et ses officiers, férocement
égoïste, mais ce n'est pas toujours le cas et
l'émouvant pro-cès-verbal puisé dans
le registre des hardes des morts du "Chauvelin" jette un
vif éclairage sur les conditions dans lesquelles
se faisait trop souvent la navigation des bâtiments
de la Compagnie: « Ce jourd'huy neufviesme juillet
1735, Nous capitaine et officiers majors de la Compagnie
des Indes sur le vaisseau le Chauvelin, étant en
mer par les 14 degrés 33 minutes latitu-de nord et
de longitude 346 degrés 7 minutes, sur les
représentations et les plaintes
réitérés des officiers mariniers et
de l'équipage que dans la triste conjoncture
où l'on se trouvait de la quantité de 111
malades scorbutiques et autres maladies dont le nombre en
augmentait tous les jours, et de pis en pis, le capitaine
même ayant les jambes toutes tachées de
scorbut avec des inflam-mations, trois officiers majors
presque à l'extrémité,
sçavoir les sieurs de Vaubercy, Guéret,
tous deux lieutenants, et l'aumônier, les autres de
l'état-major exténués, et notamment
qu'il n'y a plus de médicaments dans le vaisseau;
que par surcroît d'affliction les
rafraîchissements du capitaine, dont une partie
aurait été perdue à travers le cap
de Bonne-Espérance par les mauvais temps, se
trouvent actuellement consommés, et qu'enfin le
biscuit de la dernière soute est presque tout
pourri. A ces causes, nous susdits officiers majors, nous
serions assemblés, et interpellés les
officiers mariniers et équipages, après
avoir meurement considéré tous ensemble
l'incertitude des temps à se rendre en France, les
dangers évidents des sujets du Roi, et la
perdition du vaisseau, nous aurions tous unanimement
délibéra qu'il fallait faire route pour la
Martinique, étant la terre la plus proche
où l'on pouvait s'y rétablir et mettre le
vaisseau en état de continuer le voyage de France.
En foi de quoi nous avons signé à bord du
vaisseau le "Chauvelin" lesdits jours et ans que
dessus». Suit la signature de tous ceux qui peuvent
signer, y compris les officiers susdits (Huot de Vaubercy
mourut trois jours après). La longueur de la
navigation sans escale est bien la première cause
du scorbut, d'autant que les rafraîchissements
embarqués sous forme de poules et de moutons
subissent des pertes dans les coups de vent.
Par ailleurs le scorbut
n'est pas la seule maladie à décimer les
équipages. On trouve souvent, quand la cause de la
mort est indiquée dans les apostilles, le flux de
sang (c'est à dire, je crois, la dysenterie), et
la fièvre maligne. La traite des esclaves
était souvent meurtrière pour ceux qui la
pratiquaient: 26 morts sur 61 hommes embarqués sur
le Pondichéry, entre Juda et la Martinique en
1727; 38 sur la Renommée, sur le même
trajet. Je ne pense pas que l'Espérance eut fait
la traite des esclaves, mais il eut la malchance de
tomber sur une épidémie, mais parti pour le
Sénégal avec 18 hommes, il en avait perdu
10, dont le capitaine et son second, quand il fut
désarmé à la Martinique.
Il ne faudrait pourtant
pas croire qu'il en était toujours ainsi; certains
voyages se passaient sans perte aucune. Il s'agissait en
général de navires portant assez peu
d'hommes et dont la destination était le
Sénégal ou l'île de France; pour les
autres, bon nombre n'en perdaient pas plus de deux ou
trois. Grosso modo, je crois qu'on peut dire qu'un
matelot au départ de France à 8 ou 10 sur
100 de chance de mourir en route.
LES GENS DE MER FACE
À LA MORT.
Il est toujours
émouvant de lire un testament, car, devant la
mort, chez l'homme le plus fruste et le moins
recommandable, le meilleur de lui-même remonte
à la surface. En général, surtout
quand il y avait un aumônier, le mourant faisait
appeler auprès de lui le prêtre,
l'écrivain, un officier et autres témoins,
et il dictait ses dernières volontés.
Généralement, il recommandait son âme
à Dieu, déclarait ses dettes, disposait de
ses biens, donnait souvent ses hardes à son
matelot en reconnaissance de ses soins, et faisait des
fondations pieuses. Je vous en citerai trois qui
illustrent de façon assez frappante les
différences entre les tempéraments et les
provinces. Vincent Le Fur, fils de Vincent Le Fur, de
Brest, et de Françoise Gicquel, de Ploemeur,
demande dans son testament (sur l'Atalante le 26 mars
1732) à sa soeur Isabelle, «si elle est en
commodité», de faire pour lui le voyage du
bienheureux Saint Mathurin et de faire dire une messe; il
la prie de faire le voyage qu'il avait promis de faire
à Sainte Anne, «si elle est en
commodité de le faire», et de faire dire une
messe à Notre Dame de Larmor, et une à
Notre Dame du Bon Secours (à Kérentrech) et
à Notre Dame des Voeux (Hennebont); il se
recommande à ses prières et termine en
demandant pardon à toute sa famille.
François Mauduit, embarqué sur l'"Africain"
à la Martinique en 1724, déclare qu'il
meurt en bon chrétien, mais très
préoccupé de sa famille à Honfleur,
une femme et deux enfants, il veut qu'on lui remette les
sommes qu'il a mises en dépôt dans les mains
du maître Jean Thomas, ainsi que les montants de
ses salaires; il le prie de prendre là-dessus une
commission telle qu'il la jugera à propos; quant
à son coffre, il le donne, sans qu'on en fasse
l'inventaire, à Jean Boulais, matelot, à
cause des services qu'il lui rend. Enfin voici un homme
de l'intérieur, le second boulanger du Prince de
Conty; il déclare en mourant, en 1735, qu'il ne
s'appelle pas Philibert Chatel, mais Didier Cadou, de
Roanne; il détaille ensuite ses dettes' nommant
les personnes, sauf trois particuliers dont il ignore les
noms, auxquels il doit 15 livres, qu'il demande de
distribuer enaumônes; il donne aussi 40 livres aux
pauvres à l'intention de diverses personnes
auxquelles il peut avoir fait du tort, pour faire prier
Dieu pour elles; plus 200 livres, qu'il donne aux pauvres
pour faire prier Dieu pour lui; enfin il donne au premier
boulanger son matelot deux pièces mouchoirs et le
peu de hardes qu'il a (28). Je veux attirer votre
attention sur le respect de la mort que tous professent:
les vivants viennent déclarer les dettes qu'ils
ont envers le mort, alors que s'ils se taisaient personne
n'en saurait rien. Ce n'étaient pourtant pas des
saints; on a vu qu'ils gaspillaient facilement leurs
avances et leurs moeurs les conduisent parfois à
la maladie et à la mort.
Aussitôt les
obsèques terminées, quand les choses
n'allaient pas trop mal (auquel cas on remettait à
plus tard la besogne), on recherchait les biens du
défunt, généralement contenus dans
son coffre, et on en faisait l'inventaire, puis on
procédait à la vente de tout ce qui
risquait de se détériorer sans profit.
Cette vente était faite à crédit et
le procès-verbal de l'opération indique le
nom des acheteurs, l'objet et le prix de leurs achats,
ainsi que le produit total de l'opération; la
monnaie, les objets précieux et les papiers
étaient mis de côté pour être
remis aux héritiers. Assez souvent, quand on
était près d'une relâche, on se
contentait de faire l'inventaire, et on laissait le soin
de faire la vente aux autorités du lieu, ce qui
n'était pas une bonne affaire quand on
s'arrêtait à l'île de France, car les
robins de l'endroit prélevaient un droit de vente
proportionnel et diverses autres taxes, si bien que, par
exemple, pour une vente effectuée en 1769 et qui
produisit 45 livres 15 sols, il n'en restait plus que 41
1. 15 s. tous frais déduits !
Je ne dirai pas grand
chose de ces inventaires, le temps me manque, bien que ce
soit là peut-être qu'on puisse trouver le
plus grand nombre d'indications sur la richesse relative
et le caractère de chacun des défunts.
Notons cependant en passant l'insouciance d'un matelot de
la "Junon", Jean Péron, qui avant sa maladie avait
vendu ou perdu ses hardes et son hamac, à
l'exception d'une mauvaise chemise (1724). C'est
d'ailleurs la seule fois que je relève un trait de
ce genre, bien que très souvent on note au
procès verbal que le défont n'avait de
hardes que ce qu'il portait sur lui, lequel, étant
tout pourri était jeté à la mer avec
lui.
Quand la pacotille que le
défunt s'était procurée dans les
comptoirs était trop importante, elle
n'était pas vendue immédiatement, telle
celle que ramenait le second charpentier du "Duc de
Penthievre" au retour de Chine en 1772: 3 coffres et 11
caisses d'étoffes, de porcelaines, etc. Les ventes
faites à l'île de France entre 1765 et 1768,
dont on trouve un état daté de janvier
1769, témoignent d'une extrême
diversité dans la valeur des hardes et des
pacotilles; tandis qu'une première pièce se
rapportant aux matelots et officiers mariniers de la
Paix, de l'Outarde, du Laverdy, et de quelques autres
donne pour les matelots une moyenne extrêmement
modeste de 28 livres (de 89 à 2 livres, ce qui
prouve qu'ils n'ont guère fait de pacotille) et
que celle des officiers mariniers, toujours beaucoup plus
riches en effets personnels, est de 126 livres (la plus
forte vente ayant produit 290 livres), un autre
état se rapportant à des hommes des
mêmes bâtiments et concemant les pacotilles,
modifie singulièrement ces moyennes, non pas tant
pour les matelots, dont un seul laisse un héritage
important (335 livres), que pour les officiers mariniers.
Les ventes de leurs effets et pacotilles se montent
jusqu'à 2.000 et 3.000 livres, sans compter la
somme effarante de 20.280 livres que produit la vente des
biens laissés par le maître d'hôtel du
Laverdy, mort le 26 avril 1768. On conviendra qu'il y a
un écart entre ces chiffres et le montant des
port-permis que la Compagnie accordait aux officiers
mariniers (70 livres); je veux bien croire que ce
maître d'hôtel était habile
négociant et qu'il a acheté au meilleur
marché, et que d'autre part la vie était
très chère à l'île de France,
mais tout de même ! Et le plus fort c'est qu'il
n'est pas question de confiscation, puisque dans les cas
qui nous occupent les sommes susdites ont
été versées aux héritiers. La
négligence que la Compagnie paraît avoir
montré dans la répression d'un commerce si
effréné avait fini par rendre celui-ci
normal aux yeux des contrevenants et du public
semble-t-il.
UNE MÉDECINE
EMPIRIQUE.
Les documents que je viens de
citer font état de malades de divers
bâtiments dont plusieurs sont morts à
l'hôpital de l'île de France. On n'avait
qu'une hâte en effet - nous l'avons vu tout
à l'heure pour le "Chauvelin "- c'était
d'arriver assez tôt pour pouvoir débarquer
ses malades, et il faut rendre cette justice à la
Compagnie qu'elle avait des hôpitaux dans chacun de
ses comptoirs, et dans les relâches où il
n'y en avait pas, on en créait un provisoirement;
ainsi c'est d'un enclos palissadé que le "Duc
d'Orléans" dépose ses malades à
Foulpointe à Madagascar (1754), ou bien au moins
on les mettait «sous la tente», comme le fit le
Comte de Toulouse à Juda en 1724. Les chirurgiens
des bâtiments, dans le second cas, ou des
hôpitaux dans le premier, faisaient tout ce qu'ils
pouvaient à l'aide des médicaments qui
étaient alors en usage et dont chaque bateau
emportait un assortiment. A côté de juleps
et d'onguents, on trouve du quinquina et quantité
de produits dont on se sert encore, et aussi de la poudre
de vipère et de la râpure de corne de cerf.
S'il n'était pas trop tard, le bon air, les vivres
frais et la bonne nature, quand l'organisme du malade
n'était pas absolument délabré,
arrivaient à le remettre (par exemple sur les
trois officiers du "Chauvelin" signalés comme
à toute extrémité, il n'en est mort
qu'un seul). Souvent le malade se faisait déposer
chez un particulier au lieu d'aller à
l'hôpital; il y était plus à son aise
et sans doute mieux soigné, mais cela
coûtait cher, du moins à l'île de
France, ainsi pour traitement pendant 48 jours par le
chirurgien-major, logement, pension et soins par le
nommé Lezardin, tonnelier chez qui il se trouvait,
les héritiers du défunt pilote de la
"Boudeuse", le bâtiment de Bougainville,
payèrent 478 livres.
LES
DÉSERTIONS
Donc le bâtiment, au cours
de son voyage, et moins de circonstances favorables,
voyait fondre son effectif par la mort de plusieurs
hommes et le débarquement de beaucoup de malades
(parfois aussi quelques-uns débarquent de
gré pour faire la navigation de l'Inde ou
s'installer à leur particulier); il y avait encore
une autre cause de perte, c'était la
désertion. Pourquoi désertait-on ?
Quelquefois simplement par peur: l'Auguste qui dut se
battre dans le golfe de Gascogne peu après son
départ de Lorient et qui se réfugia
à Paimboeuf ensuite vit disparaître la quasi
totalité de ses hommes pour lesquels le
baptême du feu (il avait perdu deux hommes et avait
un blessé) avait été une
épreuve trop forte. D'autres fuyaient un
bâtiment où sévissait la maladie, ou
bien un capitaine trop dur (telle pourrait être
l'explication de la désertion collective de
presque tout l'équipage du "Comte de Toulouse"
à Juda en 1724, 54 hommes, premier enseigne,
chirurgien et aumônier en tête, dans la
chaloupe et le canot du bord), ou bien ils ne
résistaient pas à l'attrait des richesses
de l'Inde ou de la douceur des Antilles ou des
Mascareignes. Ainsi, pratiquement au départ de
chaque escale, pouvait-on constater qu'il manquait
quelques membres de l'équipage.
Les déserteurs
trouvaient rarement la vie facile qu'ils
espéraient. Ils se rembarquaient alors sur un
autre bâtiment de la Compagnie
(théoriquement leur solée devait être
diminuée du quart de ce qu'ils touchaient
précédemment), ou bien ils passaient sur
des navires étrangers; situation fréquente,
car le roi en offrant en 1758 aux équipages une de
ces amnisties périodiques qui en dit long sur la
fréquence du phénomène,
spécifie que c'est pour les tirer de la
nécessité où ils peuvent être
mis de servir sur les bâtiments de l'ennemi.
Seulement ce que faisaient les Français, les
étrangers le faisaient aussi, de telle sorte qu'il
n'est pas rare de voir un navire accueillir pour
remplacer ses déserteurs un nombre égal de
déserteurs étrangers, par exemple en 1725
à Chandernagor l'"Hercule" peut embarquer 35
étrangers, tant Anglais qu'Hollandais. Mais qui a
déserté désertera; les
étrangers réclamaient leur pavillon
à la première occasion ou bien
disparaissaient sans demander leur reste, de telle
façon que quand on ne trouvait pas au port des
matelots débarqués malades et
guéris, en quantité suffisante, ce qui
était la façon la plus satisfaisante de
combler le déficit, on se trouvait dans
l'obligation de faire appel aux indigènes. C'est
ainsi que le Comte de Provence prend 45 malgaches
à Madagascar en juillet 1757 et que le Beaumont
embarque à l'île de France des esclaves de
la Compagnie pour le voyage de Chine; on fait surtout
grand usage des lascars, Malabars chrétiens, ou
«noirs portugais» comme le disent les
rôles, qui embarquent avec leurs officiers
mariniers. Généralement c'est pour aller
d'un comptoir à l'autre, de Pondichéry
à Chandernagor par exemple, mais il arrive que la
pénurie de personnel force à s'en servir
jusqu'en France; c'est ainsi, par exemple, que le
Condé, la Compagnie des Indes et le Neptune
doivent ramener en Inde en 1754 les lascars que la Reine
et le Machault avaient débarqué
précédemment à Lorient. Il n'y a
aucune différence de solde ou de traitement entre
les lascars et les autres matelots. Si on ajoute à
cela les clandestins qui surgissent au départ de
chaque escale et dont plusieurs sont incorporés
à l'équipage (pas tous, car il y en a
vraiment d'inattendus, comme le chevalier de Langle qu'on
découvre sur le Fleury au départ de
Pondichéry en 1737 et bien d'autres dont je ne
peux noter ici l'histoire), on se rend compte à
quel point l'équipage pouvait changer de
physionomie en cours de route. Un exemple extrême,
mais frappant, de 1'Achille, dont le cas est cependant
spécial parce qu'il fit la guerre de 1745 à
1748, nous est donné par la sobre note qui
résume au dos du rôle les mouvements du
personnel au cours de ces quatre ans: 500 hommes
embarqués, 424 pris en remplacement, 138
désertés, 254 débarqués, 264
morts (dont pas 30 tués dans des
combats).
LA CAPTURE PAR LES
BRITANNIQUES.
La vie du matelot ne
présentait pas toujours autant de vicissitudes,
Dieu merci, mais il restait toujours une bonne part
d'imprévu, quelquefois juste au retour, quand on
se trouvait sans le savoir en état de guerre avec
l'Angleterre (la Compagnie s'efforçait de
prévenir ses vaisseaux comme elle le fit en 1744
en envoyant 1'Expédition à l'île de
l'Ascension rencontrer les navires revenant de l'Inde,
mais elle ne réussissait pas toujours), ainsi en
fut-il du "Pondichéry", qui revenait de l'Inde et
fut pris le 21 décembre 1756 à quinze
lieues d'Ouessant. Un des hommes de l'équipage
trouva sans doute la déconvenue trop amère;
emmené en Irlande par le bâtiment capteur,
le "Douvres", il se sauva comme on le transférait
avec ses camarades de Cork à Kinsall, de là
gagna Londres, réussit à s'y faire engager
comme Portugais pour conduire aux Dunes le bâtiment
le "Prince Georges", enleva le canot avec un nommé
Jean Mustel dans la nuit du 28 au 29 avril et
débarqua à Calais le lendemain. D'autres
malheureusement n'avait pas cette audace ou cette chance
et restaient en Angleterre et y mouraient
souvent.
D'ordinaire, en cas de blocus
anglais, on se réfugiait dans un port neutre,
souvent à La Corogne, et les hommes rentraient par
terre ou par petits bateaux.
Les naufragés en arrivant
sur les côtes françaises étaient peu
fréquents. La "Valeur" trouva pourtant le moyen de
naufrager en rade (sur l'île Saint-Michel) en 1751
au retour du Sénégal, peu de temps
après l'Espérance, échouée
aux Glénans. On avait, en 1733, balisé la
Truie et la Jument, et il y aurait eu paraît-il un
fanal sur la tour de la Découverte,
édifiée en 1737, mais le relevé
hydrographique de la côte n'est commencé
qu'en 1768.
Si les aventures du
bâtiment, une fois touché le port,
étaient terminées, les tracas du matelot ne
cessaient pas pour autant. Ils commençaient
plutôt.
D'abord il arrivait
souvent affaibli par la longue traversée et
fréquemment malade. Il existait bien un
hôpital de la Compagnie dans le vieux château
de Trefaven, mais il n'apparaît pas qu'il ait
répondu aux exigences de sa destination, si l'on
en juge par la vigoureuse semonce que s'attira la
Compagnie de la part du ministre Maurepas en 1737:
«De nombreux matelots rentrés malades du
scorbut ou autres maladies à l'Orient partent
malades et meurent en route ou bien sont
hospitalisés (l'hôpital du roi à
Brest en avait recueilli). Il y a un hôpital de la
Compagnie à l'Orient, mais il n'est ni commode, ni
pourvu de ce qui est nécessaire pour recevoir les
matelots, qui, s'y trouvant mal, préfèrent
rentrer chez eux et y meurent faute de soins et en
consommant le peu d'argent qui leur reste de leur
campagne. Il faut que la Compagnie établisse
à l'Orient un hôpital semblable à
ceux du Roi, et en attendant, qu'il soit commis un
médecin et un chirurgien pour visiter les matelots
qui rentreront malades, afin de les faire traiter avant
de les congédier ... Ce secours, ajoute le
ministre, permettra à la Compagnie de trouver plus
de matelots de bonne volonté, au lieu que ceux qui
sont commandés d'autorité
n'obéissent qu'avec répugnance et meurent
autant de chagrin que de maladie» . La Compagnie fit
un effort et décida que la directrice de
l'hôpital, Madame de Thiersaint, recevrait les
matelots revenant de campagne sur un billet du chirurgien
et de l'écrivain, visé du capitaine ou de
l'off1cier ayant le commandement. Cet hôpital ne
jouissait pas encore d'une grande salubrité en
1757, puisque le commis qui en était chargé
contracta «une fièvre maligne par le mauvais
air dans lequel son zèle l'a plongé,
voulant tout voir et tout faire par lui-même».
En 1760 le corps de ville proposa de construire un
hôpital, si la Compagnie acceptait de lui donner un
terrain, et en 1765 la Compagnie ferma son hôpital,
la ville mettant à sa disposition deux cents
lits.
LE DIFFlCILE RÈGLEMENT
DES SOLDES.
Si le matelot n'était pas
malade, le souci de se faire régler venait au
premier chef. Dans les premiers temps les hommes
étaient conservés à bord
jusqu'à ce qu'ils soient congédiés
avec leurs décomptes (35); plus tard, en tout cas
à partir de 1734, les équipages sont
entièrement débarqués le jour de
l'arrivée du bâtiment dans le port. Peu de
jours après l'officier des classes vient passer la
revue de désarmement sur l'invitation du directeur
de la Compagnie et l'ordre du commissaire ordonnateur: il
se fait
Voilà donc notre homme
pourvu de son passeport ; il a reçu ses frais de
conduite, deux mois d'acomptes, que va-t-il faire ? C'est
que le parfait paiement demande un certain délai,
tant il y a de choses à vérifier, et puis
la Compagnie ne dispose pas toujours de l'argent qu'il
faudrait. En 1724 le commis aux armements Jamot
écrit au commissaire des classes Boisquenay, en
lui envoyant les décomptes du Bourbon, et en lui
promettant pour le lundi suivant ceux de la Diane:
«N'en parlez point que vous n'ayez reçu
l'argent. Les autres suivront de près. Je vous
prie d'apaiser les murmures des mécontents. Tout
ira bien et bientôt» (38).
On était mécontent
en effet. Le mousse Jean Louet du "Bourbon" se plaint, ou
du moins son porte-parole se plaint pour lui, qu'il s'est
présenté au bureau des classes de Vannes,
où on lui a dit que c'était à
Lorient qu'il fallait aller toucher sa campagne;
«cela est bien dur, après avoir exposé
sa vie, de ne pas trouver plus de facilité
à être payé de ce qui m'est
dù». Il explique qu'il a très grand
besoin de cet argent pour s'habiller et pour aider sa
mère, ses frères et soeurs qui sont dans le
besoin. C'est un avocat, d'ailleurs, le sieur
Souzée de Kernodidon, chez qui il donne son
adresse, qui a écrit la lettre; et il fait encore
écrire par une autre personne pour l'appuyer. Ce
n'était pas mauvaise volonté de la part des
bureaux. Jamot proteste en envoyant la remise de
l'Eléphant: «Il ne tient pas à moi que
vous n'ayez les autres, je les voudrais tous
payés», mais en 1724 on liquidait l'aventure
de Law. L'époque parait sombre et le lieutenant de
roi de Brest s'exprime sans ambages dans une lettre
à Boisquenay: «On paie aujourd'hui le mois
d'août à nos ouvriers; en six semaines il
auront reçu six mois, ce qui soulagera la
misère extrême. Plus des deux tiers sont
congédiés et ont fait comme le loup qui
sort du bois pressé par la faim. Cela fait
pitié et plus encore tout ce que nous apprenons de
Paris, rempli d'ennuis et de tristesse. Où Dieu ne
gouverne pas, Belzébuth gouverne; ruse, fourberie,
déguisement, surprise, infidélité,
perfidie, sont ses oeuvres. Quand Dieu voudra nous aurons
de plus heureux jours» (25 novembre
1725).
Les difficultés de
trésorerie n'eurent qu'un temps; on ne rencontre
plus de protestation - autant que je sache, car ma
documentation est ensuite moins abondante - jusqu'aux
années de guerre. Je n'ai pas d'écho de
difficultés de la Compagnie jusqu'en 1755. A ce
moment là un second pilote à son service,
nommé Binsse, qui avait sans doute écrit
directement à la direction générale
en proposant de perdre sur ses décomptes pourvu
qu'il fut payé rapidement, se vit
répondre noblement par la Compagnie que
«c'était des traités où elle
n'entrait point». Revenu à la charge le
pauvre Binsse déclare qu'il meurt de faim, et que
partant pour l'Amérique, il veut être
payé des 1527 livres qu'on lui doit et qu'il n'a
trouvé personne pour lui escompter. Le directeur
de Lorient lui explique cette fois qu'on paiera par tiers
pour tous les bâtiments désarmés en
1764, un tiers en juillet 1765, un tiers en juillet 1766,
et un tiers en janvier 1768. Bon, mais le 27 aoùt
Binsse réclame de nouveau: il n'a rien vu venir.
On lui répond patiemment, le 2 septembre, que le
Comte d'Artois sur lequel il avait fait campagne n'ayant
pas été le premier bâtiment
désarmé en 1764, il fallait attendre que la
remise soit prête. Finalement Binsse s'est
débrouillé; il a trouvé un
embarquement comme capitaine pour la côte de l'Or.
Mais que dire des autres ? Il y avait deux solutions:
retourner chez eux, s'ils habitaient un autre quartier,
puisqu'ils étaient muni de leur passeport, ou bien
rester à Lorient pour avoir un autre embarquement.
Mais de toute façon, ils sont obligés une
fois de plus de faire des reconnaissances de dettes. Les
unes sont un simple bout de papier sur lequel le
créancier, généralement aubergiste,
a laborieusement détaillé ce qu'on lui
devait, marqué d'une croix par le débiteur
et approuvé par des témoins qui savent
signer; ces billets apportés par le
détenteur provoquaient une retenue correspondante
sur les salaires, mais ils étaient regardés
avec méfiance, et, en 1736 Maurepas approuve
Marias' l'ordonnateur du Port-Louis, qui refuse de
laisser payer un créancier sur la solde d'un
matelot défunt au vu d'un billet marqué
d'une simple croix et prescrit de ne reconnaître
comme valables que ceux qui seront passés en
présence des officiers des classes, ou par devant
notaires. Mais, au moins dans un cas, une telle
prescription ne pouvait être observée; il
arrivait souvent en effet qu'au cours du voyage un homme
empruntât de l'argent à un officier, ou
à un officier marinier, ou bien encore à un
camarade plus riche que lui; certains se faisaient ainsi
les banquiers de leurs camarades, et
généralement cela se passait d'une
façon tout à fait privée. Ainsi
Pierre Michel du Port-Louis prête à
plusieurs de ses camarades du Lys pour une somme totale
de 342 livres; le premier pilote de la Loire, Guillaume
Forbin, prête à plusieurs matelots pour une
somme de 128 livres ... Il ne semble pas que de tels
billets aient suscité des difficultés pour
être acceptés lors du règlement des
décomptes par les gens des bureaux.
Mais, à côté
de ces billets, on trouve à foison, à cause
des prescriptions du ministre, et peut-être aussi
par suite de la défiance des créanciers
envers leurs débiteurs, une foule d'actes
notariés. Très souvent, pour simplifier les
choses, le débiteur faisait en même temps de
son créancier son procureur, et souvent il lui
abandonnait tout ce qui lui revenait de son salaire, soit
parce que la somme égalait en effet le montant de
la dette (nous en avons vu un exemple), soit parce que le
créancier avait avancé au matelot le
montant de son décompte. Les reconnaissances de
dettes n'étaient strictement valables que pour
nourriture, logement et fourniture de hardes; il
était formellement interdit de prêter
à la grosse aventure (I'emprunteur devant rendre
l'argent confié, plus 40 %, sauf risque de mer)
aux matelots et aux officiers mariniers, sinon en
présence et du consentement du capitaine, à
peine de confiscation et de 50 livres
d'amende.
LA SITUATION DIFFICILE DES
FAMILLES.
Le bureau des
armements joue un rôle essentiel dans la vie des
familles des gens de mer durant l'absence de ceux-ci. En
effet, il expédie les rôles - il y en a
vingt-deux pour chaque vaisseau - avec le signalement des
matelots, et il assure durant l'absence des hommes le
versement aux familles de deux mois de solde par an,
à valoir sur la somme due au
retour. Les mois de familles
étaient privilégiés. En 1737,
Maurepas réglementa cet usage en décidant
qu'on paierait aux matelots chaque année quatre
mois d'avances, quatre mois en deux fois à leurs
familles, et quatre mois à leur retour (39). Dans
une lettre du 26 mars 1744 il précisa: «Le
paiement à comte que la Compagnie fait faire tous
les ans sur les salaires des gens de mer employés
à son service ont esté accordés pour
la subsistance de leurs familles. Il n'y a point de loi
qui ordonne ces paiements et c'est proprement une
grâce faite en considération de la longueur
des voyages; les créanciers des gens de mer ne
peuvent prétendre à cette grâce et si
on les y faisait participer, l'objet pour lequel elle est
accordée ne serait point rempli et les familles
des matelots en souffriraient» (40). Pour toucher
cette délégation il fallait prouver qu'on y
avait droit, d'où les innombrables certificats de
baptême, mariage et consanguinité fournis
par lesrecteurs et pour lesquels la Compagnie avait fait
imprimer des formules toutes prêtes, qu'on trouve
dans les papiers de la Compagnie et du bureau des Classes
(on se plaignait vers 1744-1746 que trop souvent les
recteurs perçussent un droit pour les
établir).
Cependant on juge bien qu'une
délégation de solde de 60 livres par an au
maximum ne pouvait faire vivre longtemps une famille.
Quelques femmes travaillaient sans doute, mais dans une
agglomération comme Lorient, où tout le
monde vivait de la pauvre solde du mari, il ne devait pas
y avoir grands débouchés, alors les femmes
faisaient des dettes, et quand on emprunte il arrive
qu'on dépasse la mesure: consentir une obligation
de 301 livres, comme la femme de Jean Le Clec'h, pour
maison louée et argent prêté,
même quand on est la femme d'un maître
voilier, c'est déjà bien imprudent (41),
mais une autre perd complètement la tête et
contracte des obligations montant ensemble jusqu'à
847 livres envers quatre créanciers. Pas de
chance, son mari est mort et sa succession ne produit que
260 livres. L'affaire de cette veuve «qui a fait des
dettes par tout l'Orient», comme l'écrit le
commissaire des Classes à une
créancière, n'était pas encore finie
en 1726, alors que le défunt, Jacques Nergant,
était mort sur le "Rubis" pendant la campagne de
1721-1723. Ce n'est pas toujours la femme qui est en
cause. On trouve ainsi une belle-mère pour compter
sur le salaire d'un navigateur; le marchand Ferrand prie
le commissaire des Classes de cacher à la
belle-mère de Turquin, tonnelier de l
'"Argonaute", qu 'il a fait apostiller le décompte
de celui-ci de 145 livres, car, dit-il, «elle attend
le retour de son beau-fils pour tout payer». Enfin
voici un mari qui, rentré de campagne, voit
gaspiller le fruit de ses peines: le patron de chaloupe
J. Trouvé, malade, prie le commissaire des Classes
de payer ce qui est dû pour la campagne, uniquement
en présence de la boulangère, avec laquelle
il est en dettes, car sa femme, «qui est de
méchante foye (foi), et qui boit tout, ne lui
donnera rien» (au dos reçu de la
boulangère). Il ne faudrait pas conclure de ces
quelques exemples que je me suis amusé à
rassembler que la famille du matelot se présentait
pour lui surtout comme une charge. Il y a dans les
papiers quelques lettres écrites par des marins
à leurs femmes et qui sont restées dans les
mains des commissaires des Classes parce qu'elles
portaient procuration; elles sont en
général touchantes de gaucherie et pleines
d'affection.
Le manque d'argent faisait
aux matelots une obligation de se rembarquer le plus
rapidement possible et on en voit beaucoup qui partent
sans avoir été réglés
entièrement de leur dernière campagne, sur
laquelle ils recevaient seulement un nouvel acompte. De
campagne en campagne, quand ils avaient la chance d'avoir
une bonne santé et qu'ils étaient
sérieux, leur sort s'améliorait.
J'aurais voulu aussi parler des
relations amicales et familiales de tous ces hommes que
leur vie mouvementée faisait coudoyer les gens les
plus divers; j'aurais voulu aussi dire un mot de leurs
successions et des héritiers, des actes de
procédure nombreux qu'il fallait produire pour
entrer en possession de sommes parfois minimes. Pour tout
cela le temps me manque, et c'est dommage car il y a bien
des traits qui donneraient de la vie au schéma
peut-être pas très clair que j'ai
tracé.
Que conclure ? Que les
gens de mer au service de la Compagnie avaient une vie
dure et mouvementée, qu'ils mourraient beaucoup,
que leur famille vivaient le plus souvent dans la
gêne, oui, mais qu'ils n'étaient pas
rejetés par la société, que leur
origine était variée, leurs relations
fréquentes avec des gens de tous calibres, que
s'ils étaient entendus, ils pouvaient
s'élever dans l'échelle sociale, et que si
contrevenir aux défenses de la Compagnie ne leur
paraissait même pas une peccadille, ils avaient un
fond solide de religion qui les gardait des derniers
égarements.
à suivre.... toute
information pour complèter cet article est la
bienvenue
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