Au
début du XVIIIème siècle, tous les
Groisillons s'adonnent à la pêche à
la sardine. Cette pêche est saisonnière,
elle se fait à bord des chaloupes non
pontées avec des filets et de la rogue (ufs
de poisson salés utilisés comme
appât; mot d'origine norvégienne). Le reste
de l'année, on pratique les petites pêches
saisonnières, par exemple celle du maquereau en
mars. Les engins de pêche, lignes, cordes,
casiers... varient en fonction du type de pêche. La
sardine est alors commercialisée pressée ou
salée. Salée, elle est chargée
à bord des chasse-marées, chaloupes
pontées dont la rapidité est la
première qualité requise; la revente doit
en effet se faire dans les meilleurs délais. C'est
lors de ces déplacements que les Groisillons
entrent en contact avec les pécheurs de thon
germon du golfe de Gascogne.
En l'an
XII de la République (1804-1805), les chaloupes
sont montées de 4 hommes : le patron, 2 matelots
et un mousse. On se rend dans les parages où l'on
estime que la sardine existe en plus grande abondance ;
on met bas les voiles et les mâts et l'on tourne le
bateau debout au vent. Deux hommes choisis, autant qu'il
se peut parmi ce qu'il y a de plus fort et de plus
adroit, mettent avec des avirons tout leur art à
le maintenir dans cette position en parfaite harmonie
avec les filets dont on tend toujours un à la
suite du bateau pour commencer. Ces filets ont 14
à 15 brasses de long. Ils sont garnis de
liège par le haut et de pierres par le bas, pour
les faire couler et les tenir bien tendus verticalement
et à fleur d'eau. Les choses ainsi
disposées, il s'agit d'attirer le poisson jusqu'au
filet ; il se tient ordinairement au fond de la mer
où l'on suppose qu'il est retenu par des
végétaux ou autres substances dont il se
nourrit. Pour le faire monter à la surface, on
emploie un appât connu sous le nom de rogue. Ce
sont des ufs de morues, de cabillaud, de
stockfischs et de maquereaux. Ces ufs sont
salés et mis en barils pour les conserver. On a eu
soin d'approvisionner chaque chaloupe de 4 à 5
baquets de cet appât. Chaque baquet peut en
contenir 45 à 50 livres.
Le
patron se fait servir un de ces baquets par le mousse qui
fait avec lui toute cette partie du travail de la
pêche. Il y prend une membrane contenant des
ufs de morue ou autre poisson, il la déchire
et délaie, dans un peu d'eau de mer, ces ufs
qu'il jette d'abord à droite et à gauche du
filet. Il débute même ordinairement par en
jeter de petits morceaux sans les tremper, parce que,
présentant moins de surface et plus de
matières sous un plus petit volume, ils se
précipitent plus rapidement, et parviennent plus
promptement à la sardine qui est entassée
au fond, et qu'il s'agit d'attirer. Il continue alors
d'en répandre en la délayant bien dans
l'eau, et en la pressant tellement dans sa main, que les
ufs s'échappent bien divisés, et
garnissent, des deux côtés du filet, un
espace assez large qu'on appelle graissin ou lardon,
parce que l'huile exprimée de ces ufs, polit
la surface de l'eau et lui donne un aspect gras. Le
patron en répand quelquefois pendant plus d'une
heure, après laquelle il change ordinairement de
place, s'il n'a rien levé et il va faire ailleurs
un autre essai. Si le poisson lève, il s'annonce
par des bouillons ou petites bulles d'eau qui montent
à la surface, et que l'il exercé du
marin distingue d'abord des bulles semblables qui ne sont
produites que par l'agitation des vagues. La pêche
commence alors. Cette longue traînée
d'ufs, répandus pendant une demi-heure ou
plus, étendue au loin, par la dérive du
vent et de la marée, se déposant
continuellement de proche en proche et çà
et là, sur des lits ou amas de sardines, en fait
monter toujours à la surface de l'eau, et en
réunit dans le graissin une très grande
quantité Le patron ne manque pas de profiter de ce
moment avec toute l'habileté dont il est capable,
en dirigeant sur son filet, par une distribution adroite
de son appât, la vivacité extraordinaire de
ce poisson. Celui-ci, cédant à sa
voracité naturelle se jette sur l'appât,
sans égard au filet dont il veut traverser les
mailles, mais il y reste pris par les ouies. Cet effet
est plus sûr quand le ciel est couvert, que la mer
a été agitée, que les vents sont bas
et qu'il tombe une petite pluie, car ce poisson maille
peu quand le temps est serein. Quand le premier filet est
suffisamment garni de poissons, on y en attache un second
qui est suivi d'un troisième, et ainsi de suite
jusqu'à neuf à dix que l'on attache ainsi
successivement bout à bout. On fait toujours
avancer la chaloupe au vent, et l'on ne cesse d'attirer
le poisson sur le dernier filet, à force de
répandre l'appât.
La
pêche à la sardine, est la proie de
terribles vicissitudes. Les crises sardinières se
succèdent dans l'histoire mouvementée de
cette pêche. Les causes en sont souvent politiques
et économiques, comme la perte du Canada, qui,
dès 1763, diminue considérablement les
apports de rogue (ufs de morue salés,
appât indispensable lors de la pêche à
l'aide de filets maillants) par les Terre-Neuviers
français ; la perte du marché de
Saint-Domingue, où la sardine salée
servait, avec la morue en vert, de nourriture aux
esclaves noirs; l'augmentation catastrophique des droits
sur le sel pendant les guerres d'Empire. Mais les
origines des crises sont souvent aussi biologiques, ou
écologiques ; que la sardine, pour de
mystérieuses raisons, disparaisse soudain, ou
pullule, et ç'en est fait des ressources estivales
du pêcheur, désarmé par ailleurs
devant le cartel des usiniers. Si, au cours de
l'époque qui est évoquée dans ce
livre, la pêche de la sardine occupe
chronologiquement, la première place, son
importance diminue très vite, au point que, vers
1900, elle est totalement abandonnée par les
Groisillons qui lui ont trouvé des
activités de remplacement infiniment plus
sûres et rémunératrices. C'est
pourquoi nous ne ferons qu'évoquer très
succinctement cette activité maritime si peu
représentée à Groix au cours du
dernier siècle de la pêche à la
voile.
Au
début du XIXème siècle, le monopole
bellilois du cabotage de la sardine en vert va se perdre,
au plus grand profit des Groisillons. Ceux-ci ne
possèdent alors pas de "chasse-marée", mais
uniquement les petites chaloupes non pontées
utilisées pour la pêche à la sardine.
Or " il est reconnu que, dans les premiers mois de la
pêche (à la sardine), ce sont les chaloupes
et petits bateaux non pontés qui font presque
seuls, le cabotage des sardines, parce que dans cette
saison des calmes, ces bateaux peuvent aller à
l'aviron et arrivent ainsi de bonne heure à leur
destination. " Pétition du 5 mai 1821 de M.
Deramecourt. maire de Palais, Belle-Ile.
À
cette époque, vers 1820, le produit annuel de la
pêche à la sardine était
évalué à douze cent mille milliers.
Sur cette quantité, cent mille milliers
étaient vendus à la côte, à
des particuliers ; deux cent mille milliers allaient aux
presses et servaient à la fabrication de 50 000
barils (4 milliers par baril) ; le reste, neuf cent mille
milliers se vendait aux caboteurs qui salaient la sardine
à bord et partaient la revendre dans les ports
où cette pêche n'existait pas.
Ces
caboteurs étaient de petits chasse-marées,
au nombre de 200 environ, ou même de simples
barques non pontées, commandées par des
patrons -pêcheurs. La concurrence entre les
presseurs et les caboteurs devait amener fatalement des
disputes plus ou moins vives.
Justement,
à cette époque, les presses se trouvaient
dans une situation difficile. La cherté de la
rogue avait occasionnée une importante diminution
dans le rendement de la pêche. D'autre part, le
nombre des caboteurs augmentait de plus en plus.
Grâce à la franchise du sel dont ils
jouissaient, ils pouvaient acheter plus cher que les
presses, et, malgré cela, réaliser de jolis
bénéfices.
Cette
fonction de sardiniers, de chasseurs, est
déterminante pour l'évolution du bateau
groisillon. Les impératifs du cabotage de la
sardine en vert: vitesse, tonnage élevé,
aménagements permanents pour les équipages
qui ne reviennent plus à terre chaque soir vont
faire naître un nouveau type de bateau, la chaloupe
pontée, qui se révélera très
rapidement apte à bien d'autres fonctions que
celles de chasse-marées. Aussi, voit-on
bientôt séjourner à Port-Tudy,
surtout à l'époque de la pêche de la
sardine, de fortes chaloupes pontées de 15
à 25 tonneaux, qui prennent des chargements de
poisson frais, pour plusieurs points du littoral. " Cette
activité particulière des Groisillons, par
les bénéfices qu'elle rapporte, restera
longtemps une occupation recherchée dans les
moments où la pêche hauturière ne
donne pas d'excellents résultats. Pour le
transport de la sardine, il revient aux
propriétaires de la chaloupe, trois parts 1/2. Les
propriétaires avancent l'argent pour l'achat de
cette sardine.
Le
cabotage de la sardine pratiqué par les
Groisillons le long des côtes bretonnes n'est pas
sans répercussion, puisqu'il permet de combattre
efficacement l'asservissement économique dans
lequel les usiniers des conserveries tentent de maintenir
les populations de pêcheurs de sardines. Toute
l'histoire politique de Douarnenez, par exemple, est
liée à cette lutte contre
l'impérialisme industriel, qui vaudra au grand
port finistérien d'élire la première
municipalité communiste de France, et à ses
ressortissants l'épithète de maloh toul.
" Nous
avons encore les Groisillons, grandes chaloupes
pontées de Groix, jaugeant de 15 à 20
tonneaux, armés à la pêche, qui
viennent chaque année, acheter la sardine dans
notre baie. La sardine y est déposée sur
des espèces de grillages en bois, et, salée
légèrement, assez toutefois pour être
conservée 48 heures au moins; elle est
transportée sur les points de la côte
où la pénurie de poisson lui fait atteindre
des prix plus élevés que sur notre place.
C'est là une concurrence des plus
sérieuses, et qui oblige presque toujours nos
usiniers à maintenir les prix à un taux
suffisamment rémunérateur. "
Parallèlement
à ce commerce national, les Groisillons vont
mettre à profit, grâce aux qualités
nautiques de leurs bateaux, la ressource
considérable que représente la pêche
de la sardine le long des côtes espagnoles et
portugaises ; non seulement le poisson,
pêché en grande abondance, y est vendu
à bas prix, mais le cours des changes y est
nettement favorable à la monnaie française.
Une telle aubaine se devait d'être saisie ! Certes
les pêcheurs se mettent alors en contravention,
d'une part avec l'Inscription maritime, puisqu'ils vont
faire le cabotage international avec des rôles
d'armement à la pêche, mais également
avec les Douanes, puisqu'ils fraudent à la fois
sur le sel et sur l'importation de produits
étrangers. Mais dans notre pays, cloisonné
par des administrations hiérarchisées,
indépendantes, voire hostiles l'une à
l'autre, la contrebande groisillonne va devenir une
aventure digne des Pieds Nickelés.
Rapport
de IM en 1889 " Monsieur le Commissaire
général, J'ai l'honneur de vous informer
que plusieurs bateaux de Groix se rendent chaque
année sur les côtes d'Espagne pour y acheter
des sardines, il n'y a pas à en douter, car ils
partent sans engins de pêche, et en auraient-ils
que cela ne prouverait rien. Ces sardines, ils les
préparent à bord avec du sel
français, et viennent ensuite les vendre dans les
ports de France. Or les bateaux en question sont
commandés par de simples patrons de pêche,
alors qu'ils devraient l'être par des maîtres
au cabotage... Les pêcheurs de Groix ne reviennent
jamais chez eux pour y écouler le poisson
acheté en Espagne, par suite il est impossible
à notre administration de constater la
contravention commise. "
" Le
Sieur Baron, Jean-Marie, patron de la chaloupe
Sauterelle, a été condamné à
100 F d'amende, pour avoir, le 23 octobre 1889
transporté sur son bâtiment des marchandises
de la côte d'Espagne à Auray. " 21
fév 1890
"
Je suis moralement certain que les patrons des chaloupes
Surprise et Hirondelle ont acheté de la sardine
à Vivero pour la transporter en France avec un
rôle armé en pêche. L'Hirondelle, qui
a fait côte au Verdon, était chargée
de sardines et le patron n'a pu m'affirmer le contraire.
La Surprise qui naviguait de conserve avec 1'Hirondelle
devait en avoir également. " 3 octobre
1893
"
Les sieurs Bihan, Tudy, patron du T.B. ; Puillon, patron
de la Jeanne-d'Arc ; Noël, patron du Limier... m'ont
déclaré avoir relâché en
Espagne pour faire des vivres ; mais je crois que c'est
surtout pour prendre un chargement de sardines... " 6
novembre 1893
"
L'affaire du Clovis, ce bateau qui a été
arrêté avec son chargement de sardines,
occupe aussi les journaux de Paris. D'après eux,
nos experts de la capitale auraient
déclaré, après avoir
dégusté la sardine, que le chargement
venait d'Espagne. Ils ajoutent que ces trois experts
doivent avoir un flair sans pareil, pour faire la
différence entre les sardines du Golfe, surtout
lorsqu'elles sont salées. " 2 avril
1899
"
Le dundée Forban, arrivé à Lorient
avec un chargement de sardines, a été saisi
par la douane et mis en quarantaine parce qu'il est
soupçonné d'avoir pris son chargement en
Espagne. On aurait trouvé dans le porte-monnaie du
patron de la monnaie espagnole. On aurait
également découvert un livre de comptes,
caché dans la boîte du compas. " 28 octobre
1899
"
La contrebande ! À Groix, il y a eu deux bateaux
qui ont fait la sardine, vraiment la sardine, en Espagne
et au Maroc. L'un était l'Eugénie, patron
Charles RIO. Ils sont partis avec de la rogue, mais de
mauvais filets. S'ils avaient eu des filets en nylon !
L'Eugénie avait quand même chargé,
au. Maroc alors. L'eau était si blanche qu'ils ne
voyaient pas les bourbouilles. Ils mettaient les filets
dehors par leur canot, et ils boettaient. Tout d'un coup
voilà le filet qui allait au fond. Alors, attrape
! Attrape ! Attrape ! Mais trop tard ! Comme les filets
étaient usagés, filets en coton, de ce
temps-là, qui avaient été sans doute
mal ramassés, et mal conservés, les filets
partaient avec le poisson. L'Eugénie avait
réussi à faire sa pêche quand
même, Rio avait chargé son bateau ; l'autre
bateau, je ne sais plus son nom. Autrement, tous les
autres, c'était de la contrebande, tous
!
Mais
déjà de ce temps-là, les chaloupes
allaient aussi au fond du Golfe, à la côte
d'Espagne, vers Bilbao, Gijon, charger la sardine.
Après, quand sont venus les dundées, bons
marcheurs, ils allaient plus loin, au Portugal. Les
bateaux qui faisaient ça désarmaient de la
pêche au thon. Certains faisaient le chalut,
d'autres le cabotage de la sardine. Quand ils avaient
fait deux voyages, ils avaient fait la saison. Ils
partageaient jusqu'à 2 000 francs !
Il ne
fallait pas se faire prendre. Il y avait donc deux
feuilles de rôles. Le Syndic vous donnait la
deuxième, en cachette: à vous de la faire,
quoi ! Avec des semblants de cachets dessus, et des faux
noms : certains s'appelaient Glénan, un autre
Kornog ou Mervent, on mettait n'importe quoi ; les
Espagnols n'y voyaient que du feu. Avec ce
rôle-là, on allait trouver le Consul. Les
numéros
des
bateaux étaient cachés, et l'on faisait un
autre numéro sur une pièce de toile
rapportée sur la grand-voile. C'est pour ça
que certains peignaient leurs numéros sur une
même laize, verticalement : une pièce
là-dessus, ça faisait réparation,
normal, quoi... Nom changé aussi.
Mais il
n'y avait pas des tas de bateaux quand même. Il y
avait les abonnés, des types qui gagnaient des
sous. J'ai connu Petit-Jacques. J'ai connu l'Anna-Marie ;
le gros Tudy Bihan, de Locmaria, un gros qui faisait 135
kilos. C'était le roi du cabotage, lui, il
soudoyait les douaniers. C'était un as.
Pour la
transporter, ils salaient la sardine, sur pile ; ils
transportaient sur pile, en cale. La cale, voyez la cale
d'un thonier : il y a les couchettes de chaque
côté, la plate-forme, les épontilles.
La pile de sardines était appuyée contre la
cloison de la cale à la chambre et allait en pente
douce sur l'avant jusqu'au mât. Sardines en vrac.
Ils chargeaient à la main : ils avaient les mains
toutes bouffées avec ça ; j'ai vu acheter
500 000 sardines dans la même journée,
à Vigo, au Portugal. Ils travaillaient toute la
nuit.
Les
lanches étaient tout le long du bord, avec leur
poisson dedans. Les lanches, les bateaux qui faisaient la
pêche traînaient un autre bateau en remorque
derrière eux. Cette remorque-là
était chargée de poissons. Avec des
niveaux, en bois, gradués, piqués dans la
pile de sardines, on savait qu'il y avait tant de mille
de sardines. Ces bateaux-là pêchaient
à la senne à ce moment-là, au filet
tournant C'est eux d'ailleurs qui ont amené le
métier de la sardine à perte : tout a
été détruit par ces pêcheurs.
Les gars de Saint-Jean-de-Luz ont commencé
après. Comme le Français de Douarnenez a
retenu, le dernier, les filets droits, n'a jamais voulu
prendre la senne, il y a eu la guerre entre les bateaux
à filets droits et à filets tournants.
Douarnenez a voulu maintenir le filet droit, et si on
l'avait maintenu, il y aurait encore de la sardine ; tout
a été détruit par le filet tournant,
petit comme gros...
Alors,
il y avait un matelot ou deux Portugais, avec les
Groisillons, qui chargeaient la sardine. On chargeait
à l'aide de paniers ronds avec deux anses ; on
mettait deux ou trois cents de sardines dedans, ça
dépendait. Tant de cents dans un panier. Au bout
qu'il y avait un mille de passé, le patron
groisillon donnait un jeton aux Espagnols. Il fallait que
les saleurs, ça marche en même temps. Les
paniers de chargement étaient versés dans
la cale, et il y avait deux ou trois saleurs.
Ceux-là avaient la responsabilité du
chargement. Il fallait savoir la quantité de sel
à mettre suivant l'état huileux du poisson
; la sardine étant plus grasse, il fallait
davantage de sel, autrement elle prenait le rouge ;
c'était au saleur de savoir combien de
poignées de sel mettre dans son panier avec chaque
cent de sardines.
Les
paniers des saleurs étaient des paniers ronds,
à une seule anse, qu'on appelait paniers de La
Rochelle. Il allait un bon cent de sardines
là-dedans. Quand le poisson était gros,
ça faisait des jaloux ! Une fois mis les
poignées de sel dans le panier, il fallait que le
saleur remue son panier avec l'anse. Puis il jetait la
sardine, en éventail, Rrrrrr ! sur la pile. Il y
en avait jusque dans les couchettes ; pas
d'épontilles, pas de bardis pour les tenir ; rien
du tout.
Le
dundée allait ensuite vendre en France, le plus
vite possible ; à celui qui arriverait le premier,
les meilleurs prix ! Dame, ils crevaient leurs bateaux
!
Le
poisson arrivait vert ici. Aah ! Qu'est-ce qu'on en
mangeait ! C'était vendu à la population,
souvent du côté d'Auray. Tous les paysans,
à Saint-Goustan, arrivaient avec des voitures
à cheval, et achetaient des mille et des mille
pour la provision d'hiver. Au lieu du lard, ils
mangeaient de la sardine salée. Ça donnait
goût à boire du cidre. Les poissons du
dessus de la pile étaient encore les
meilleurs.
On
passait aussi dans les villages de Groix, avec le cheval
et la voiture, paniers de sardines là-dedans ; 1
sou, 2 sous le cent, 2 sous la douzaine, ça
dépendait des prix. On les mangeait crues, comme
ça, sardines salées et patates chaudes,
patates en robe, sur le pain beurré. On enlevait
la tête et les boyaux, on enlevait les
écailles : elles avaient toutes des
écailles à ce moment-là ;
c'était bien. Chez nous, on mettait ça sur
la table, chacun se débrouillait ; il n'y a que
les petits qui ne pouvaient pas ; il y avait un grand
chiffon sur la table, et chacun y essuyait ses doigts.
Pour l'hiver, on mettait ça dans un panier avec un
petit peu de sel dessus. Chez Louis Gilles, ça se
fait encore, mais ça ne vaut plus la sardine qu'on
recevait d'Espagne à ce
moment-là.
Bien
sûr, ceux qui faisaient cette contrebande faisaient
en sorte de ne pas se faire prendre ; mais il y a eu des
histoires, tout de même. L'histoire du douanier
foutu en bas du quai, oui, oui, oui. On a
soupçonné la Marseillaise, à Joseph
Yvon, et aussi J.P. Le Dreff, dit J.P. Grenlo. Ils sont
arrivés tous les deux, puis ils ont causé
de ça à leurs femmes ; leurs femmes ont
causé de ça au lavoir. La femme du douanier
Ridant était à laver le linge ; elle
comprenait le breton, mais les autres ne se sont pas
méfiées. Elle a dit à son mari que
deux contrebandiers arrivaient d'Espagne avec la sardine.
Le soir, cet imbécile, s'en va tout seul pour
faire un bon coup. Ben oui, mais il est mal tombé.
Les autres sont arrivés à l'escalier du
bout de la jetée du Suet. " T'as fait une bonne
prise ? " : ils lui ont flanqué une sacrée
roustée, et il est tombé en bas du quai. La
mer était basse. Sans le gardien du phare, il
était mort : ça se passait à 2-3
heures du matin...
Tenez,
le coup du Mayflower, patron Tudy Adam, marié
à Etel. Il avait été blessé
à la guerre 1914-1918 et boitait beaucoup.
Ça se passait au bassin, à Lorient, je ne
sais plus en quelle année.
V'là
le cap'taine des Douanes qu'arrive. Il fouille partout,
il fouille, fouille : rien. Pas une pelure d'orange, rien
du tout comme quoi ils avaient été à
terre.
Puisque
vous dites que vous avez senné votre sardine,
là, que vous l'avez pêchée au filet,
pourquoi que vous ne faites pas un coup de senne dans le
bassin pour me faire voir comment vous faites ?
"
Ben
l'autre avait été bien obligé de le
faire ! "Allez les gars, on va embarquer la senne un coup
; on va faire un coup de senne ici devant le cap'taine
des douanes ". Ils n'avaient jamais senné ! Coup
de pot, c'est lui-même qui m'a raconté
ça. Il amarre un bout de filin sur la bitte
arrière ; canot, avec deux avirons ; " Paré
? " - " Oui. " Allez ! " Alors il commence à filer
la senne ; il fait le tour du bassin, et il est venu
mourir à la bitte sur l'avant, comme si
ç'avait été mesuré. Pouvait
pas dire qu'il ne savait pas senner, pour faire ça
! Il avait du boire un coup de trop ou de pas assez, un
coup de chance : - Allez les gars, tirez ". Souquent
dessus, six mulets dedans ! Alors le cap'taine des
Douanes aurait voulu les avoir, les mulets : " Ah non!
Vous n'aurez rien du tout! "
" Le
plus jeune et le plus grand contrebandier que nous avons
en France " avait dit le cap'taine des Douanes. Et le
bateau était chargé de sardines, au raz des
préceintes... "
A la
fin du XIXeme siècle, la technologie de la
pêche sardinière se modifie assez
sensiblement. Les bateaux se transforment, de nouveaux
types de filets déclenchent des polémiques
sanglantes : d'après les marins de Groix, l'emploi
de la grande et de la petite Seine (sic...) Belot, du
filet tournant et du filet errant est la cause principale
de la disparition de la sardine et d'autres
espèces de poissons, attendu que ces engins
capturent en une seule fois, en même temps qu'une
masse de sardines, d'innombrables quantités de
petits poissons de passage non marchands. Aussi,
aujourd'hui, les Grésillons, qui ne se servent que
des filets ordinaires, ne prennent-ils plus de sardines.
En général les bateaux sardiniers sont
lourds à manuvrer ; les rameurs ont de quoi
suer lorsqu'il faut tenir debout au vent. Cependant,
depuis quelques années, plusieurs ont des canots
annexes, qu'on remorque jusqu'au lieu de pêche et
avec lesquels on tient debout. C'est grâce à
cela qu'on peut voir actuellement des sardiniers
pontés. Autrefois tous étaient creux.
Mais
l'histoire de la pêche à la sardine se
déroule essentiellement dans le Finistère :
Douarnenez et le pays "pen sardin", Concarneau, ou plus
au sud, aux Sables-d'Olonne et dans les petits ports
vendéens.
"
Autrefois (avant 1884, n.d.a.), beaucoup d'usiniers
passaient, avec des pêcheurs travaillant
isolément ou en société, des
traités où ils s'engageaient à
acheter à ceux-ci le produit de leur travail
suivant un prix variable de 24 à 36 francs la
douzaine. Ces pêcheurs s'engageaient aussi, du
reste, à ne livrer leur poisson qu'aux fabricants
avec lesquels ils avaient un abonnement &emdash;puisque
tel était le nom de ce genre de marché. "
G. Roché et A. Odin, 1893
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