Tout au long du
moyen-âge, à la suite des grandes flottes
romaines, les marines se développent dans le monde
entier.
L'exemple
de l'Empire romain, concernant l'organisation d'une
marine fut conservé au haut Moyen âge,
partout où subsistait un État, même
par les Barbares. Il y eut des flottes vandale et
ostrogothique. Pour Byzance, le contrôle de la mer
demeura, jusqu'à sa chute, une condition de
survie: rêve de reconquête impériale
esquissée par Justinien, résistance
à l'Islam, verrouillage du Bosphore contre les
Russes, opposition aux ambitions des Normands et plus
tard aux Angevins de Sicile. Le souci de
régionaliser la défense, joint à
l'impécuniosité, distingua les flottes des
circonscriptions maritimes de l'escadre centrale à
Constantinople. Pour attaquer Byzance, l'Islam n'eut pas
plus à inventer en matière navale que sur
les autres plans. Il suffit aux califes de retourner
contre l'Empire les forces des provinces maritimes
(Égypte, Syrie) qu'ils lui avaient ravies, et
même l'usage du feu grégeois. La
conquête musulmane, sauf en Sicile, se fit par voie
de terre, et si, par la suite, l'Islam disposa de forces
navales ce ne fut que grâce aux pays
conquis.
L'Occident
médiéval présente deux aires
maritimes distinctes:
- le
Levant, ou secteur méditerranéen, dans
lequel prédomine Byzance. À
côté d'une traditionnelle galère,
améliorée par la marine byzantine notamment
avec une voile triangulaire (voile "latine"), la marine
à voile méditerranéenne poursuivait
une lente évolution. Du bateau rond de
l'Antiquité, la nef du Levant conservait au
XIIIème s. une coque bordée à
franc-bord, des formes ventrues accentuées par
l'accroissement des tonnages; deux mâts
gréés de voiles latines allaient remplacer
la voile carrée; proue et poupe étaient
rehaussées de châteaux entourés d'un
pavois.
- le
Ponant, du Nord au Portugal, qui adopte les techniques
des Scandinaves. Si les nefs du Ponant portaient des
superstructures semblables, en revanche, elles
s'affirmaient les héritières des navires
longs vikings; bordées à clins, de formes
moins massives, elles portaient une seule voile
carrée.
C'est
seulement vers la fin du XIVème s. que marins du
Nord et du Midi joignirent leurs techniques et que se
généralisa le gouvernail d'étambot
qui remplaça la rame-gouvernail pendante à
l'arrière ou la rame latérale unique. Cette
invention, (toujours en usage), permettait au navire une
tenue de route stable. Vers la même époque,
un instrument indiquant la route fit son apparition. Les
débuts de la boussole (fin du XIème) sont
modestes: une aiguille aimantée enfilée
dans un fétu de paille flottant sur un peu d'eau.
L'aiguille montée sur un pivot, puis fixée
à une rose divisée en huit, bientôt
16 et 32 rhumbs, enfermée dans un habitacle et
suspendu pour éviter les mouvements de
plate-forme, constitue à la fin du Moyen âge
le compas qui permet désormais de suivre une route
déterminée. Bien qu'elle soit une invention
capitale, la boussole ne saurait résoudre tous les
problèmes de navigation en haute mer. L'art
nautique médiéval conserve dans ses grands
traits un caractère très empirique:
navigation à l'estime dont la précision
repose sur l'expérience du marin qui évalue
dérive et vitesse sans instrument, calcul
approximatif de la latitude par l'observation de la
hauteur de la Polaire sur l'horizon à l'aide de
l'astrolabe (fin XIIIème s.) et au moyen des
éphémérides nautiques
établies en Espagne. Il aurait été
d'un faible intérêt d'établir un
point précis si les cartes n'avaient pas
apporté une précision du même ordre;
et ce n'était pas le cas. Aux mappemondes
utilisées au XIème s.
succédèrent d'abord des cartes où
figuraient la rose des vents et quelques contours
imprécis des côtes, puis apparurent les
portulans (XIVème s.).
L'Europe
occidentale du Moyen-âge présente sur le
plan naval deux aspects contrastés: tandis que la
plupart des pays tournent le dos à la mer, les
peuples nordiques fondent leurs jeunes États sur
la puissance maritime. Une société vivant
en économie de subsistance, non menacée de
l'extérieur, et où l'État
s'était décomposé, n'avait pas
besoin de marine. Les invasions normandes ont,
secoué cette léthargie et, contraint
l'Empire carolingien à des improvisations:
construction de bateaux, organisation d'une sorte de guet
sur le littoral de la Manche, réactivation du
phare romain de Boulogne. Les Frisons étaient bons
marins; ils imaginèrent le prototype de la houlque
médiévale, ronde et creuse, apte à
la haute mer, et usaient de bateaux plats adaptés
à naviguer sur fleuves, qu'on appela cogues. Ils
étaient surtout marchands et leurs monnaies
étaient répandues jusqu'à Nice et en
Aquitaine. Les Francs, eux, étaient de bons
soldats, mais terriens. Cela ne suffisait pas pour faire
une marine de guerre. Au contraire, les Scandinaves
surent admirablement exploiter la robustesse et la tenue
à la mer de leurs navires longs, manuvrer
rapidement, naviguer en escadrilles, livrer de
véritables combats navals, dans les baies et les
chenaux. Seuls les rois anglo-saxons (Alfred le Grand -
fin du IXème s.) furent capables d'opposer aux
Scandinaves une flotte nombreuse,
régulièrement levée et
entraînée au service de leurs États.
Avec plus de chance, elle aurait pu interdire à
Guillaume le Conquérant, en 1066, l'accès
des côtes anglaises.
Donc
pas d'État, pas de marine. En conquérant la
Sicile, les Normands ont joint leur sens de l'État
aux traditions politiques antiques, et associés
leur pratique de la mer à celle des
Méditerranéens. Le royaume normand se donna
une force navale à la mesure de ses visées
en Orient. En Méditerranée, cependant, les
marines furent surtout au service des États
urbains commerçants. Une différence
fondamentale des missions qui leur furent originellement
confiées distingue les marines des États
urbains (protection du commerce) et celles des
États monarchiques (défense de
l'intégrité territoriale ou soutien
d'ambitions expansionnistes), sans que les 2 missions
aient jamais été exclusives l'une de
l'autre.
Venise,
Gênes, Marseille, Barcelone et, plus tardivement,
Raguse offrent l'exemple de cités possédant
des forces navales. La sécurité des lignes
de navigation constituait la principale
préoccupation, du fait d'une piraterie
endémique. La navigation en convois armés
ou escortés atteignit la perfection à
Venise. Celle-ci, la première, Gênes
ensuite, par l'acquisition de points de relâche,
transforma en lignes impériales ce qui
n'était que chaînes de
sécurité. Enfin, aux galères
construites à l'arsenal de l'État
s'ajoutaient celles armées dans les colonies, en
Crète spécialement. La flotte
vénitienne, affaire d'État, remplissait
toutes les fonctions traditionnelles d'une
marine.
L'histoire
de la marine est inséparable de celle des
croisades. Celles-ci ont contribué, avec le grand
commerce, à la prise de conscience des
nécessités de la guerre navale, notamment
des problèmes logistiques. Si elles ont
entraîné l'accroissement des marines des
États méditerranéens, elles ont
également suscité les flottes nouvelles des
Templiers et des Hospitaliers. Ceux-ci, constitués
en ordre souverain, demeurèrent une
pépinière de marins pour toute l'Europe
chrétienne, jusqu'au XVIIIème s.. Dans le
nord de l'Europe, le cas de la Hanse s'apparente à
celui des cités méditerranéennes,
encore qu'elle présente un caractère
fédéral. Mais, dans les deux cas,
l'organisation de la défense navale est née
des problèmes posés par la
sécurité des navires marchands contre la
piraterie et s'est développée sous l'effet
des exigences d'une politique économique commune
allant jusqu'au conflit armé. À
problèmes semblables, solutions analogues: convois
escortés par des navires équipés
à frais communs; armements à frais communs
de flottes destinées à la guerre sous
commandement unique.
Les
Arabes ont conquis un empire qui s'étend de l'Asie
centrale à l'Atlantique. Ils étaient bons
marins et disposaient d'excellents navires, notamment des
boutres. La coque, construite en teck, assemblée
bord à bord, présente une étrave
allongée et une poupe en tableau
surélevée; le gréement aurique),
comporte un ou deux mâts très
inclinés sur l'avant, une voile
trapézoïdale, dite arabe fixée sur une
très longue antenne. Au Xème s., ils
égrènent leurs établissements sur la
côte orientale d'Afrique, de la mer Rouge à
l'embouchure du Zambèze. Leurs navires utilisent
la mousson pour gagner ensuite la côte de Malabar.
Les Arabes s'assuraient des marchés jusqu'en Chine
(IXème s.), tandis que les marins chinois venaient
à leur rencontre jusqu'à Ceylan et
Zanzibar. Les voyages de Marco Polo (XIIIème s.)
et d'Ibn Battuta (XIVème s.) confirmaient la
constance des routes de la mousson que Vasco de Gama
emprunta aussi à la fin du XVème s.
D'où l'uvre importante des géographes
arabes, Edrisi (XIIème s.) et Ibn Battuta
(XIVème s.). Celui-ci va jusqu'en Chine, à
l'est, et jusqu'à Tombouctou, au sud.
Les
jonques de l'Océan Indien étaient de
très lourds navires, portant 3 mâts ou plus,
gréés de voiles lattées; un fond
plat sans quille, une pesante rame-gouvernail les
rendaient peu manuvrantes. Conçues pour
naviguer vent arrière avec la mousson, elles ne
pouvaient rivaliser avec les jonques des mers de Chine
qui, avec dérive mobile et gouvernail axial
ajouré, se révélaient d'excellents
voiliers.
L'art
nautique pratiqué dans l'Océan Indien
atteint dès le Xème s. un niveau que les
navigations européennes n'abordent que 2
siècles plus tard. En l'absence de boussole,
utilisée pour la première fois en cet
océan en 1282, les Arabes naviguaient à
l'aide d'une technique qui permettait de définir
les 32 rhumbs de l'horizon en choisissant 15
étoiles aux distances polaires successivement
échelonnées. En revanche, à la fin
du Moyen âge, les procédés des
pilotes portugais s'imposent aux Arabes: Ibn Madjid,
pilote de Vasco de Gama, conseille à ses
compatriotes de l'Océan Indien de se mettre
à l'école des "Francs".
En
Orient (comme en Occident), certains États
tirèrent leur puissance de la domination de la
mer. En Inde, dès la fin du IIIe s. avant J.-C.,
l'empire Maurya disposait d'une administration maritime.
Au début de l'ère chrétienne, 3
royaumes maritimes florissaient sur les côtes du
Dekkan. Ceux-ci dominaient le golfe du Bengale et
orientaient leur impérialisme vers le
contrôle des détroits malais. Ils
échouèrent finalement, au XIème s.,
devant la puissance du royaume de Srivijaya, qui, de
Palembang, régna sur le secteur central des mers
asiatiques jusqu'au XIVème s. Une sorte de
répartition des forces laissa aux marines,
goujerate au nord-ouest et tamoule au sud, le
contrôle des côtes indiennes, et à la
marine malaise celui de l'accès à la mer de
Chine. La disparition du royaume de Srivijaya
transféra de Sumatra à Java la direction de
la puissance malaise; l'empire naval de Modjopahit
(visité par Marco Polo) dura jusqu'à la fin
du XIVème s. Alors commença l'essor de
Malacca. L'activité de la marine malaise
s'exerça sous la double forme du contrôle de
la navigation et de la piraterie. Au début du
XVème s. se firent jour les prétentions
maritimes des Ming, devenus maîtres de la Chine en
1368. Auparavant, même durant l'expansionnisme des
Song (Xème-XIIIème s.), les navires chinois
avaient surtout évolué à l'est de
l'Insulinde, dépassant parfois le Vietnam vers les
ports indiens. Or, entre 1405 et 1433, 7 grandes
expéditions menèrent jusqu'en Afrique des
flottes d'État commandées par Chang-Ho (la
plus forte comptait 48 navires et 30 000 hommes); elles
devaient assurer à la puissance chinoise relations
et bases lointaines.
Dans
l'ensemble de l'Europe de l'Ouest, le
développement des marines fut lié à
la genèse des États nationaux,
spécialement en France et en Angleterre, au cours
de la guerre de Cent Ans.
Cependant,
pour la marine anglaise, la mission était
offensive et exigeait un tonnage important et un soutien
logistique constant; la marine française devait
remplir un rôle de défense et
d'interception, et préparer des diversions et des
contre-offensives (raids sur les côtes anglaises,
projet de débarquement sous Charles VI). Tout en
continuant de part et d'autre à
réquisitionner des navires marchands et à
exiger des villes, la prestation de vaisseaux
armés, les rois commencèrent d'avoir leurs
propres vaisseaux, construits pour la guerre et
basés en des lieux de leur obéissance
directe (Portsmouth, Harfleur, le Clos des Galées
de Rouen, La Rochelle) et commandés par des chefs
de guerre (Jean de Vienne,
). L'évolution
était la même dans les royaumes
ibériques (Castille et Navarre, alliées de
la France; Aragon et Portugal, alliés de
l'Angleterre), ainsi que dans les grandes
principautés françaises: les ducs de
Bretagne dont les navires contrôlaient sur leurs
côtes, par un système de brefs, une des
artères majeures de la navigation; les ducs de
Bourgogne, maîtres de Bruges, soucieux d'asseoir
sur le prestige d'une marine leurs prétentions
à la souveraineté royale. Partout, la
création, à peu près
simultanée (XIIIème-XIVème s.) de la
dignité d'amiral, illustre l'importance que la
marine prenait.
Le
Moyen âge est marqué par le
développement de flottes de commerce dans la mer
du Nord et la Baltique. Les commerçants de villes
telles que Hambourg, Brême, Lubeck colportent dans
ces régions laines et peaux de Russie, dentelles
et draps d'Angleterre, huiles scandinaves: ils se
groupent vers 1250 pour former la puissante "Ligue
hanséatique", syndicat professionnel chargé
d'assurer la défense commune de villes membres
contre les "pillards de mer et de terre" et qui acquiert
en fait une indépendance quasi totale
vis-à-vis des autorités terrestres (qu'elle
conservera jusqu'au XVème s.). Le commerce
maritime de la Ligue est étroitement
réglementé et ce n'est qu'en des occasions
spéciales, les "foires franches", que des
échanges libres sont possibles avec d'autres
commerçants. C'est au cours de ces foires que
s'entretiennent les relations avec les puissantes
cités maritimes italiennes qui fournissent
à la Ligue les produits de l'Orient. Car Venise,
Gênes et Pise, grandes bénéficiaires
des croisades (St Louis leur fit transporter son
armée en 1268), dominaient totalement le commerce
maritime de la Méditerranée du
XIIIème s., depuis que Byzance s'était
enlisée dans ses luttes contre les
Arabes.
Renseignés
par les croisades, les Occidentaux entreprirent de
grandes expéditions en Asie. En 1245, le pape
Innocent II charge Piano Carpini, moine franciscain
italien, d'une ambassade auprès du khan mongol. En
1252, Guillaume de Ruysbroeck, un cordelier, partait
à son tour porteur d'une offre d'alliance de St
Louis au khan, dirigée contre les
mahométans. Il se rend en Crimée: de
Soudak, par l'isthme de Perekop, il gagne les steppes de
la Russie méridionale. Il y rencontre les tribus
nomades se déplaçant avec leurs chariots
"transportant des tentes toutes montées". Sur la
Volga, il trouve les Mongols, qui reconnaissent
officiellement sa mission et le conduisent jusqu'à
la cour installée à Karakorum. En 1271, le
Vénitien Marco Polo, "jeune bachelier de 15 ans",
se lance à son tour à travers l'Asie
centrale. Dès 1260, son père et son oncle
étaient venus à Constantinople avec des
marchandises, puis, par les steppes de la Russie
méridionale, ils avaient gagné les
campements d'été des Mongols dans le
Turkestan. Ils parvinrent alors à se faire inviter
à la cour du grand khan, près de
Pékin. Chargés d'une mission pour le pape
par ce souverain, ils mettent 3 ans pour revenir et
arrivent à Venise en 1269. En 1271, ils repartent
avec le jeune Marco Polo, traversent l'Asie en 3 1/2 ans
et rejoignent le khan. Marco Polo reste 17 ans à
son service. Celui-ci le charge de missions importantes
au Tibet, en Chine, aux Indes. En 1291, tous trois
rentrent en Europe en passant par l'océan, Ceylan,
les Indes, le golfe d'Ormuz. Par Tabriz, ils chevauchent
jusqu'à Trébizonde, s'embarquent pour
Constantinople et rentrent à Venise en 1295. Ces
voyageurs sont les plus connus. Il faudrait y ajouter les
prisonniers de guerre, les fugitifs, les aventuriers qui
portèrent, à travers l'Asie et l'Afrique,
les idées, les coutumes et aussi les microbes de
l'Europe. Les croisades ont été une
occasion de contact privilégiée. Ainsi, au
début du XVème s., les Européens
n'ignorent pas l'existence des autres continents,
même s'ils les connaissent mal.
Les
Français sont peu présents dans ces
expéditions. Toutefois, Jean de Béthencourt
s'établit aux Canaries au début du
XVème s. (1402-1408). Mais, il se reconnaît
très tôt vassal d'Henri III de Castille. Et
aucun historien n'accorde créance aux
récits qui attribuaient aux Dieppois et aux
Rouennais la découverte de la Guinée au
XIVème s. En revanche, certaines interventions
apparaissent au XVème s. dans lesquelles les
préoccupations commerciales l'emportent sur la
volonté de colonisation. En France comme ailleurs,
ce sont les marchands qui commencent une uvre qui
deviendra ultérieurement une entreprise de
colonisation. Sous le règne de Charles VII, les
affaires de Jacques Cur rayonnent dans tout le
bassin de la Méditerranée. Louis XI tente
de créer une compagnie de commerce dans le
Levant.
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