Près
de 500 navires engagés
Apprenant
qu'une armée allait être
expédiée d'Angleterre, Philippe VI
dépêcha sa flotte en mer du Nord.
Concentrés dans les ports de la Haute-Normandie et
de la Picardie, il y eut, dès le mois de mai,
quelque 200 navires prêts à cingler vers le
détroit. Une escadre de guerre, en cette
année, c'est encore un groupe de navires assez peu
typés, dont quelques balles de laine feraient des
bateaux marchands et dont 100 hommes armés font un
navire de guerre. Au reste, les convois marchands sont
protégés, et les marins du négoce
n'hésitent pas plus à couler à la
hache l'adversaire - concurrent ou ennemi - qu'ils n'ont
de gêne à le larder de coups de couteau dans
les rencontres à quai.
N'importe
quelle nef de transport fait donc, plus ou moins bien,
l'affaire pour la guerre. Au besoin, on prend aussi des
bateaux de pêche. De même que dans tous les
ports d'Angleterre, on arme dans tous les ports de
Normandie et de Picardie. Sur les 200 navires
français présents à l'Écluse
en juin, il y aura des patrons de 25 ports, depuis
Cherbourg et La Hougue jusqu'à Berck et Boulogne.
Il en viendra 31 de Leure - Le Havre - et 21 de Dieppe.
Les produits de l'artisanat naval de Duclair et de
Caudebec rejoignent ici, aux ordres des amiraux de
France, les barges sorties de l'atelier d'Abbeville. Pour
les gros navires, cependant, et pour ceux que l'on
construit spécialement aux fins de la guerre, le
Clos des galées jouit d'un monopole de fait. Ce
Clos, ce "tersenal ", francisation de l'arabe Dar sanaa,
"maison de l'uvre ", c'est une création de
Philippe le Bel. Sur la rive gauche de la Seine, en aval
du pont de Rouen, il occupe un vaste terrain que
défend une fortification sommaire. Les
forêts de Brotonne, de Rouvray,
l'approvisionnent en bois de chêne et surtout de
hêtre pour la construction et la réparation
des navires comme pour la fabrication des armes. De
même que le chanvre pour la toile et pour les
cordages, le fer est tout proche: c'est celui de
Breteuil, de Verneuil...
Les
premiers ingénieurs appelés par Philippe le
Bel se sont inspirés de l'arsenal, de
Séville. On a vu sur les bords de la Seine des
Génois. Mais, dès 1300, des techniciens
français, formés à l'école
des Génois ont pris le relais. En 1340, le "garde
du Clos des galées" est un certain Thomas Fouques,
administrateur et comptable. Mais il a à ses
côtés un véritable technicien,
Gilbert Polin, un bourgeois de Rouen dont il semble que
toute la vie ait tourné autour du Clos des
galées. Il est "clerc des ouvrages de guerre". Le
roi le fera "sergent d'armes". Son fils sera chevalier.
Dans l'escadre qui s'assemble vers la fin du printemps,
Gilbert Polin commande sa propre nef, la "Notre-Dame la
Nativité", forte de 80 marins et
soldats.
De
même que le fret, et non la forme des coques,
suffit à faire la nef marchande, ce qui fait la
nef de guerre, ce n'est pas tant la forme que l'armement.
Armes individuelles: arbalètes
légères, d'un pied d'envergure,
arbalètes lourdes de deux pieds, arbalètes
"à tour" que l'on tend au moulinet. Pour
l'abordage qui doit suivre la grêle de viretons et
de carreaux d'arbalète, les troupes
embarquées sont armées de lances
ferrées, de haches et de couteaux. N'oublions pas
la protection des combattants: plates d'armure, cottes
ferrées, bassinets, gorgerettes, écus,
targes, pavois... Et si l'on veut imaginer l'encombrement
qui règne à bord, ajoutons le biscuit,
l'eau douce et le vin.
Bateau
de pêcheur ou barge de caboteur, une petite nef
emporte 40 ou 60 hommes, équipage compris. Cela
signifie que l'on dispose à bord de 2 ou 3
arbalètes simples, de 2 ou 3 coffres de viretons
et de carreaux. Il y en a des dizaines de ce type, depuis
la barge "Notre-Dame", du maître Jean Ligier,
d'Abbeville, jusqu'au bargot royal "Saint Frémin".
Une grande nef marchande, une galée du roi comme
il en est seulement une ou deux douzaines, c'est 100, 150
ou 200 hommes. Il y a la "Sainte Catherine" et la
"Saint-Georges", qui sont au roi, aussi bien que la
"Saint Julien", qui - est au maître Nicole As
Coulleux, de Leure, et la "Saint-Jean", au maître
Guillaume Lefèvre, d'Harfleur. De tels navires
emportent facilement 5 ou 6 arbalètes, une
vingtaine d'armes d'assaut et de pièces d'armure.
Navire amiral, la "Saint-Georges" a tout un arsenal, dont
une part constitue sans doute la réserve
générale de l'escadre. On commence
même d'embarquer un embryon d'artillerie, ces pots
à feu qui lancent encore des flèches aux
empennages de métal que l'on appelle des garrots.
Dès 1338, Béhuchet en fait placer sur l'un
ou l'autre de ses navires.
Les
fines galées méditerranéennes des
Génois, se joignent à cette escadre d'Hue
Quiéret et de Nicolas Béhuchet avec une
quarantaine de navires nerveux et maniables, aux
équipages expérimentés. Ce sont des
professionnels de la guerre maritime: de quoi
impressionner les Anglais, plus familiers du convoi
marchand que de la course en mer.
La
flotte du roi de France a quitté Harfleur, Leure
et Le Crotoy fin mai. Début juin, quelque 200
bateaux prennent position au large des côtes de
Bruges, bloquant l'avant-port de l'Écluse. En
aucun cas l'Anglais ne doit passer. Les capitaines
français en répondent sur leur tête.
La faiblesse de cette marine, excellente à tous
autres égards, c'est son commandement. 2 ans plus
tôt, Quiéret était
sénéchal de Beaucaire. Il a fait son
apprentissage de chevalier sur un cheval, non sur une
galée. Philippe VI l'a fait amiral lorsqu'il s'est
agi, en 1336, d'organiser une expédition en
Écosse; mais l'amiral, pour le roi, ce n'est que
l'organisateur du transport d'une armée. En le
nommant, le roi n'a pas songé un instant à
un affrontement des escadres. Quant à Nicolas
Béhuchet, génial touche-à-tout, il
est administrateur et homme de finances. On l'a vu
maître des eaux et forêts, puis
trésorier du roi. Dans le même temps qu'il
le fait capitaine général de l'armée
de mer, il est nommé maître des comptes. Il
a l'imagination vive, rapide dans la décision,
ardent dans l'action.
Depuis
2 ans, il a mené avec succès nombre
d'opérations de "commando" contre les ports
anglais. Son audace et son courage sont connus, mais de
compétence navale, point. S'il a coulé en
1338 les forts navires anglais, c'est que ceux-ci,
surpris, devaient se battre à 1 contre 10. Ici,
les forces sont égales.
À
la fin de l'hiver, il avait fallu dépêcher
en Bretagne une flottille de 6 vaisseaux pour ramener,
sous escorte à Leure, un convoi marchand -6
caraques et 40 nefs- qui s'étaient
réfugiées là par crainte d'une
escadre anglaise. Sachant Arundel dans les parages, les
marins français n'osaient ni gagner la Saintonge
ni revenir en Normandie.

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Devant
l'Écluse, les forces sont égales.
200 navires français font le blocus,
montés par 20 000 hommes. Édouard
III perd tout s'il laisse à la France la
maîtrise de la mer. Il a donc
rassemblé toutes ses forces: 250 navires,
avec 15 000 hommes d'armes à bord,
matelots exclus. Pour l'époque, c'est
considérable. C'est l'un des plus grands
combats navals qui s'ouvre le 24 juin dans la
tradition des combats terrestres: une
volée de flèches et de viretons.
(voir illustration)
Les
chefs de l'escadre française manifestent
leur manque de sens tactique. Puisque l'ordre
est d'empêcher les Anglais de
débarquer, on va leur barrer la route. Le
Génois Barbavera, qui a une solide
expérience, tente de convaincre les
français qu'il faut à tout prix se
donner la place de manuvrer. Mais
Béhuchet est têtu. Les
français demeurent là, en panne,
voiles abattues et bordage contre bordage, comme
une barricade. Édouard III attend l'heure
de la marée, puis peu avant midi, la
flotte anglaise commence d'avancer, vent en
poupe, portée par la marée
montante. Coincés à
l'entrée du bras de mer qui baigne
Bruges, les Français ne peuvent tenter la
moindre manuvre.
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