Droits
du Seigneur, droits de l'Église : gestion des
terres seigneuriales, impôts, taxes et dîme
religieuse
Vers
1600, l'île est déjà très
cultivée et compte de nombreux hameaux. Elle est
habitée par des religieux, quelques roturiers
relativement riches et des travailleurs de condition fort
médiocre. Quelques hommes de la glèbe, qui
ont pu amasser des économies par leur travail, ou
par la gestion de biens dont ils sont chargés,
achètent ou afferment les terres seigneuriales.
Les Grésillons offrent le curieux exemple de
vassaux qui ne subissent pas trop les caprices, ou le bon
plaisir de leur suzerain. Le prince de Rohan est le
propriétaire, le seigneur de l'île, mais il
n'y possède pas d'habitation, il n'y paraît
jamais, il n'y cultive pas directement ses domaines. Il
afferme ou vend les terres qui n'ont pas
été données aux moines, ou qui n'ont
pas encore été cédées. La
propriété foncière se compose
à cette époque des dons faits à des
religieux, des terres affermées directement par le
prince, et des terres vendues par la maison de Rohan,
à des gentilshommes de faible condition ou
à des roturiers. Sur ces terres, le prince a des
droits de redevances. Toutes, sans exception, lui paient
des rentes chaque année, soit en nature, soit en
argent. Toutes sont frappées de rentes
feagères et perpétuelles. Lorsque le prince
de Rohan vend des terres, il est stipulé dans
l'acte de vente que quels que soient les
propriétaires ultérieurs, ils devront payer
au prince des redevances déterminées et
invariables. Ainsi si l'un de ces propriétaires
(plutôt concessionnaire) veut liquider son bien,
rien de plus facile pour lui, il vend à qui il
veut, ce qu'il veut, au prix qu'il veut. Mais dans l'acte
de vente, il fera observer que les terres qu'il
cède paient, chaque année, telles
redevances au prince. Ces propriétaires avec
restriction, sont dits "propriétaires roturiers".
Leurs enfants reçoivent leurs héritages
à titre d'héritages roturiers. En somme, le
prince de Rohan ne demande à ses vassaux de Groix
que des revenus. Il ne les tourmente pas pour les autres
droits féodaux qu'il a, mais qu'il n'exerce pas.
Son prévôt recueille des minots de froment
et d'avoine, (vieille mesure représentant 39
litres de froment, 78 litres d'avoine), quelques livres
tournois et pas plus. Mais s'il n'impose pas de vexations
à ses sujets, il applique "les coutumes de
Bretagne" en tout ce qui concerne les affaires d'argent.
Outre son prévôt de Groix, il a un receveur
qui perçoit des droits en argent, sur toutes les
ventes de terres. Ces droits sont élevés et
versés au receveur du prince, ils ressemblent
beaucoup aux droits d'enregistrement.
L'unité
d'exploitation agricole est le "seillon" ou "sillon",
bande de terre de 3 à 4 mètres de large,
bombée et orientée en fonction de la
topographie et de l'exposition, ils ont marqué le
paysage jusqu'au remembrement dans les années 50.
Des auteurs veulent y voir des traces des divisions du
sol, usitées jadis et représentant un mode
de culture fort ancien. On peut penser que les paysans
ont ainsi disposé leurs terres pour laisser
écouler l'eau; l'argile presque partout, semble le
justifier. Pourtant, on en voit qui, en certains points,
s'opposent à l'écoulement des eaux; ils
s'allongent dans le sens transversal au lieu de se
diriger dans le sens de la déclivité du
sol. Il se peut que l'habitude des seillons remonte aux
temps où il n'y avait que des solitaires. Chaque
moine possédait un lopin de terre à sa
mesure. Les laïques les imitant
transformèrent peut-être leurs
défrichements en seillons, au lieu d'adopter la
culture plate, habituelle au continent. Ces sillons que
l'on voit de toutes parts impriment au pays une
physionomie singulière. Leurs directions
étant des plus capricieuses, on a l'illusion de
grossiers damiers. D'ordinaire, les groupements de
sillons sont dirigés dans le même sens; si
dans un groupement, il se trouve un sillon
perpendiculaire aux autres, il prend le nom de coursin;
un petit sillon isolé, sans orientation, est un
tallard.
Les
seillons où l'on sème le froment, l'avoine,
les pois, le lin, sont des terres chaudes. Les terres
froides sont les landes, les courtils, les parcs.
L'île étant petite, les parcs ne sont pas
grands, il a d'ordinaire une vingtaine de mètres
de côté; des murs de terre ou quelques
ormeaux en constituent la clôture. Le courtil,
contigu le plus souvent à l'habitation, est un
jardinet, bordé de figuiers, de pommiers, de
sureaux, orné de quelques fleurs, et
dépourvu de légumes. Les landes sont
couvertes d'ajoncs que l'on coupe l'hiver venu pour la
cuisson des aliments et surtout pour chauffer les fours
des villages, le samedi.
Les
ecclésiastiques, les propriétaires
roturiers, dans l'impossibilité de cultiver
eux-mêmes leurs terres, les afferment; les donnent
à domaine congéable; les cèdent
à la tierce gerbe, au tiers grain. Le fermage ne
comprend pas forcément une habitation et des
terres. Souvent, il ne s'agit que de sillons
disséminés un peu partout, l'ensemble prend
le nom de tenue. Les fermiers sont appelés
"tenanciers de tenue"; ils tiennent ces tenues "sous" le
propriétaire (on dit encore que les
métayers sont "sous les mains" de leurs
propriétaires). Ils afferment pour 9 ans, et
s'engagent à payer leurs redevances fixes à
leurs propriétaires, à la St Gilles,
(après la récolte). Les redevances se
composent de froment, d'avoine, quelquefois d'argent,
rarement de poulets, de moutons. Les
céréales sont mesurées par minots
combles ou racles (remplis). Quant à l'argent, sa
rareté est telle qu'il est peu question de livres
tournois, monnaie de France; on parle presque toujours de
sols.
Les
terres données à domaine congéable,
sont cultivées par les domaniers. Les conventions
n'ont qu'une durée d'une année. À la
fin de l'année, si le propriétaire n'est
pas content de son domanier, il le congédie. Les
terres affermées à la tierce gerbe sont des
terres dont le propriétaire reçoit une
gerbe sur trois. Les terres cédées au tiers
grain doivent être meilleures ou mieux
situées que les terres à la tierce gerbe,
puisque le cultivateur est obligé de battre
lui-même sa récolte et de donner ensuite
à son propriétaire, un minot sur
trois.
Tenanciers
de tenues, domaniers, cultivateurs à la tierce
gerbe et au tiers grain, fournissent des corvées
à leurs propriétaires respectifs. Un
roturier en corvée chez un autre roturier,
étrange coutume ! Il est vrai que ces
corvées sont fixées quant à leur
nombre et quant à leur nature. Les personnes qui
les donnent ne sont pas corvéables à merci.
D'habitude, les corvées se font lorsqu'on bat les
céréales, lorsqu'on les vanne, il y a alors
groupement, on travaille avec entrain, cela a un
caractère plutôt gai. Ces corvées ne
rappellent donc les corvées féodales que
par leur nom: elles n'ont rien de vexatoire; il n'en est
pas ainsi des dîmes.
L'expression
"dîme" ne manque point d'ironie. Car ce n'est pas
la dixième partie de ses revenus que l'on donne,
ou plutôt que l'on est contraint de donner, c'est
bien davantage, peut-être pour mieux suivre les
prescriptions de l'Église. Les habitants de Groix
paient des dîmes ecclésiastiques au prieur
de Saint-Gunthiern, au prieur de Saint-Guénael de
Caudan, au prieur de Saint-Michel des Montaignes en
Ploemeur, et à l'abbé de Saint-Maurice de
Carnoët.
Le
vicaire perpétuel reçoit des dîmes;
le prieur de St-Gunthiern en perçoit, comme
recteur primitif, et aussi probablement, parce que le
prieuré de St-Gunthiern a aidé jadis,
à la construction des églises de Loctudy et
de Locmaria. Ces dîmes de recteur primitif
s'élèvent à 100 minots de froments
et à 100 minots d'orge ! Il faut y joindre la
propriété des offrandes trouvées
dans les chapelles. Le prieur de Saint-Michel des
Montaignes, représentant des Pères de
l'Oratoire, a des droits sur le chur de
l'Église de Loctudy, soit à cause de ces
droits, soit pour d'autres raisons, il perçoit les
grosses dîmes, c'est-à-dire les dîmes
sur les céréales. Les habitants
l'appellent, la "dîme de la charrette" parce que
son collecteur la perçoit avec une charrette.
Quand le paiement de cette dîme approche, le
collecteur annonce le jour où la charrette passera
dans les villages, à la sortie d'une grand-messe.
Au jour fixé, la charrette s'arrête aux
endroits indiqués, et tous donnent un quart de
minot, et autant d'avoine à la riche
congrégation des Pères. Le chargé
d'affaires qui gère, à cette époque,
cette taxe à Groix, est Jac YVON.
Le
rôle de prélèvement de la dîme
s'établit comme suit:
"5
septembre 1603. Rolle de la dixme de Groy, appelé
la Dixme de la charrette, située en ladite isle
dépendant de prieuré de St-Michel des
Montaignes ".
Viennent
les noms des villages; sous le nom de chacun d'eux se
trouvent les noms des habitants avec la quantité
de céréales dues. Presque tous figurent
pour un quart de minot de froment, autant d'avoine.
À la dernière page, le chargé
d'affaires dit : "J'ai reçu, pour Monsieur le
prieur des Montaignes, le nombre de bled porté
ci-dessus de dixme de la charrette... (due?) par les
villages de l'isle de Groy au moys de septembre 1603,
sous mon signe..."
On paie
régulièrement les dîmes. Les
collecteurs ont, sans doute, des moyens de coercition.
S'il y a des contestations, tant de cet ordre que pour
toute autre affaire, le différend n'est
porté devant les tribunaux qu'en des occasions
exceptionnelles.
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