Les
épices sont les plus anciens produits
amenés d'Asie en Europe. Les Hollandais dominent
le marché. Ils achètent le clou de girofle
à Amboine, la noix de muscade à Banda, la
cannelle à Ceylan, le poivre à Ternate. Le
poivre tient la première place dans les
cargaisons, car il est devenu un produit de grande
consommation, utilisé pour la conservation des
viandes. Les Français s'en procurent sur la
côte Malabar (250 à 350 tonnes par an).
Les
tissus tiennent une place importante dans les cargaisons.
Pour l'essentiel ce sont des cotonnades de l'Inde, soit
blanches, soit teintes en bleu (les guinées de
Pondichéry sont une marchandise d'échange
pour la traite des esclaves), soit tissées avec
des fils de plusieurs couleurs (les madras), soit encore
peintes de plusieurs couleurs (avec des réserves
à la cire). La compagnie transporte environ 300
000 pièces par an. Les toiles de couleur occupent
une grande place dans les cargaisons hollandaises, assez
réduite dans celles des autres compagnies, car les
Français et les Anglais protègent leurs
manufactures par une réglementation
douanière contraignante.
Le
café prend une grande importance à la fin
du XVIle siècle. C'est d'abord du café
d'Arabie, produit sur les hautes terres de
péninsule, et chargé par les Hollandais,
les Français et les Anglais dans le port de Moka
sur la Mer Rouge. Puis les Hollandais introduisent le
caféier à Java en 1711, les Français
à l'île Bourbon (actuellement La
Réunion) en 1717; dans les deux cas,
l'augmentation de la production est rapide et elle
concurrence le Moka, mais le café des Indes
orientales est lui-même activement
concurrencé, à partir de 1735, par celui
des Antilles.
Le
marché du thé de Chine est dominé
par les Britanniques. Leur demande nationale augmente
rapidement à la fin du XVIle siècle.
À partir de 1669 l'East India C° en
amène régulièrement depuis son
comptoir de Madras, où il arrive par la navigation
locale; en 1685, le vaisseau China Merchant ouvre une
nouvelle route, la route directe entre l'Europe et la
Chine. Ensuite la croissance est foudroyante: 8 navires
anglais entrent à Canton entre 1690 et 1696, 20
entre 1697 et 1703. Ils sont suivis par les
Français, dont le premier vaisseau "l'Amphitrite",
entre à Canton en 1698 et qui
bénéficient de l'appui des missionnaires,
transportés gratuitement sur les bâtiments
de la Compagnie des Indes, et dont l'influence est grande
à la Cour de Pékin. 23 navires
français entrent à Canton entre 1698 et
1715 (dont 4 venant du Pérou) pour 43
britanniques. Les thés importés par les
Britanniques sont des produits de grande qualité,
alors que ceux qui sont achetés par les
Français et les Hollandais sont des Bouy,
c'est-à-dire la qualité la plus
médiocre.
Les
Européens rapportent aussi d'Asie des produits
lourds, servant de lest, ainsi des bois de teinture, du
salpêtre du Bengale, des cauris des Maldives,
coquillages utilisés comme monnaies divisionnaires
sur la côte d'Afrique, recherchés pour le
trafic des esclaves; la porcelaine de Chine, dont chaque
compagnie amène annuellement en Europe 200 000
à 400 000 pièces, est aussi
considérée comme du lest.
La
principale difficulté rencontrée dans la
poursuite de ce commerce est que l'Asie demande
très peu de produits européens. Il y a un
marché pour les métaux ayant subi une
première transformation, comme des fers plats ou
carrés, du cuivre en lingot, de l'étain ou
du plomb. L'avantage de ceux-ci est qu'ils peuvent servir
de lest. Les compagnies tentent aussi de vendre des
étoffes de laine, mais les acheteurs sont peu
nombreux. Fait capital, la moitié ou 3/4 des
cargaisons d'envoi, en valeur, est faite d'argent
monnayé, généralement des "piastres"
ou bien des "pièces de 8" réaux, provenant
des ateliers monétaires de l'Amérique
espagnole, achetées soit à Cadix, soit
à Amsterdam, bien approvisionnée
grâce à la colonie de Curaçao, soit
à Londres. Cette expédition d'argent est le
principal argument critique contre la poursuite du
commerce entre l'Europe et l'Asie, et toutes les
Compagnies des Indes essayent, avec plus ou moins de
succès, de se procurer de l'argent sur place, en
Asie même.
Sur quels
navires et par quelles routes ?
La
construction et l'armement des vaisseaux sont aussi une
source de dépenses importantes, environ 60 % du
montant des budgets. Les techniques de construction ne
sont pas différentes de celles des autres
bâtiments de commerce, mais le coût est plus
élevé, car il faut obtenir une grande
solidité et pouvoir naviguer longtemps dans des
mers chaudes. Les tonnages sont relativement importants,
autour de 600 tonneaux (avec une centaine d'hommes
d'équipage), et il faut des bâtiments assez
nombreux pour obtenir un trafic régulier. La
V.O.C.(Compagnie hollandaise) dispose de 60 à 70
vaisseaux; les Français 30 à 40. En
général les bâtiments des Compagnies
naviguent pendant une dizaine d'années et peuvent
faire quatre voyages, parfois cinq. Les Compagnies des
Indes font généralement construire leurs
vaisseaux sur leurs propres chantiers. Seule, l'
E.I.C° (Compagnie anglaise) loue les navires qu'elle
utilise, elle préfère s'adresser à
des particuliers, pour éviter la grosse
immobilisation de capital dans la dépense de la
construction.
La
navigation entre l'Europe et l'Asie est difficile, car
elle obéit à un calendrier précis.
Il faut nécessairement quitter l'Europe entre la
fin du mois d'octobre et le début d'avril, puis
à l'intérieur de cette période, les
départs s'échelonnent selon la distance
à parcourir. En premier lieu vient la Chine, de
novembre à février; puis l'Inde, de
décembre à mars. Ce calendrier est
posé par le rythme de la mousson, qui
nécessite de combiner la traversée de
manière à passer dans l'Océan Indien
au moment favorable, c'est-à-dire en utilisant la
mousson du sud-ouest qui souffle d'avril à octobre
et porte les navires vers le continent. Dans l'ensemble
la concurrence impose d'arriver en Asie assez tôt
dans la saison, de façon à pouvoir
évier la montée du prix des denrées,
résultat de l'afflux des vaisseaux
européens. Il faut aussi tenir compte des vents
contraires, surtout dans le golfe de Gascogne; les
Suédois et les Danois qui font
systématiquement le tour de la Grande-Bretagne
arrivent fréquemment les premiers en Asie,
malgré l'allongement de la distance.
Une
fois sorti des mers littorales de l'Europe, il faut
gouverner au sud pour reconnaître Madère,
puis les Canaries. On entre alors dans les alizés,
vents permanents qui soufflent du nord-est.
Au-delà, le voisinage de l'équateur est
redouté par les navigateurs, car c'est une zone de
vents variables et de calmes, aussi la conduite des
vaisseaux demande-t-elle beaucoup d'habileté et
d'expérience. Généralement la
meilleure solution consiste à franchir
l'équateur très à l'ouest du
méridien de l'île de l'Ascension et au
voisinage de la côte du Brésil. Ce trajet
permet de contourner l'alizé dans
l'hémisphère sud et de gagner plus
rapidement la zone des hautes latitudes dans laquelle
soufflent les vents d'ouest. La route qui consiste
à longer la côte du Brésil, puis
à passer entre l'Amérique et l'île de
La Trinité, en demeurant à la vue de cette
dernière, est finalement plus assurée que
celle qui se dirige directement vers
l'extrémité de l'Afrique. Au voisinage du
30° parallèle sud, les navigateurs
rencontrent les grands frais d'ouest, qui permettent de
franchir le Cap de Bonne-Espérance. Le parcours
devient alors assez rapide, mais dur, car on y est
fréquemment secoué par des gros
temps.
Presque
toutes les puissances européennes faisant du
commerce avec l'Asie disposent d'escales au voisinage du
Cap. Les Hollandais sont installés au Cap
même, conquis sur les Portugais; les Anglais
à l'île Sainte-Hélène; les
Français à Bourbon et à l'île
de France (Maurice), après le départ des
Hollandais. En effet, le passage du Cap intervient six
mois environ après le départ depuis
l'Europe, et il faut permettre aux équipages de
prendre du repos afin de prévenir l'apparition du
scorbut, qui se produit autour du sixième mois de
navigation. Il faut aussi pouvoir prendre de l'eau, du
bois, des produits alimentaires, et réparer les
dommages éventuels subis par les navires. Toute
l'économie des escales est conçue dans
cette perspective: on y développe les cultures
vivrières, non les cultures tropicales, au
contraire des Antilles.
Au-delà
du Cap, trois routes s'offrent aux navigateurs
désireux de gagner l'Asie: le "passage
intérieur "par le canal de Mozambique; la "petite
route "par l'est de Madagascar; la "grande route "par le
sud de l'Océan Indien. La première est la
plus courte, et elle est empruntée
généralement par les Britanniques, les
Hollandais et les Suédois. La "grande route
"consistant à rester dans les vents d'ouest
jusqu'au méridien des îles Saint-Paul et
Amsterdam, puis à gouverner au nord à
partir de ce point, est peu fréquentée.
C'est un itinéraire praticable en toute saison,
même lorsque les autres routes sont
aléatoires, mais il est long, fatigant, car la
durée de la navigation est de plus de trois mois
sans escale, et il faut que les officiers aient beaucoup
de pratique pour éviter de mettre trop rapidement
le cap au nord. La "petite route "est empruntée
généralement par les Français, car
elle permet de rejoindre les Mascareignes. Ensuite, au
départ de ces îles, ils reconnaissent le
nord-est de Madagascar, puis s'élèvent au
nord et gagnent l'Inde en une traversée d'un mois
environ franchissant le "canal des forbans "entre les
Maldives et les Laquedives; "canal des forbans ", car il
fut initié par G. Watkins, corsaire repenti et
célèbre pilote.
L'approche
des comptoirs est parfois difficile. Les rades de la
côte Coromandel, ainsi celle de Madras et celle de
Pondichéry, sont ouvertes et n'offrent aucune
protection contre d'éventuels coups de vent. Les
vaisseaux, arrivés en août ou en septembre,
après huit à dix mois de navigation,
déchargent leurs cargaisons d'envoi, puis vont
"hiverner "dans la rade d'Achem au nord de Sumatra. Les
Hollandais s'abritent dans la rade de Batavia. La
côte est particulièrement dangereuse depuis
la fin d'octobre jusqu'au début de
décembre, en raison des tempêtes qui
accompagnent le changement de mousson. Au Bengale, les
vaisseaux entrent dans un bras du Gange, l'Hougli, sur le
bord duquel se trouvent les établissements
européens. C'est un trajet pénible pour les
équipages, car pendant une dizaine de jours il
faut "touer ", c'est-à-dire haler le vaisseau en
le tirant à l'aide du cabestan sur une ancre
préalablement posée dans le lit du fleuve.
C'est aussi une navigation dangereuse, en raison de la
violence du courant, des crues brutales et des bancs de
sable. La sauvegarde des bâtiments repose sur la
compétence des pilotes et toutes les compagnies
entretiennent des "pilotes du Gange "qui peuvent
être embarqués sur les vaisseaux de toutes
les nationalités. Durant l'hivernage, les navires
restent à l'ancre dans l'Hougli, devant les
comptoirs.
Pour
gagner Canton, les bâtiments empruntent le
détroit de la Sonde, ou bien le détroit de
Malacca s'ils viennent du Bengale ou de la côte
Coromandel. Ce sont des passages difficiles. Le premier a
une faible profondeur (8 mètres pour des
bâtiments qui ont 5,50 à 6 mètres de
tirant d'eau); le second est parcouru par des vents
variables. Aude à des détroits, il faut
longer la côte de l'Annam, puis le littoral du
Rii-Nam et enfin celui du Kouang-Toung. À partir
du milieu du XVIlle siècle, une nouvelle route
prévaut. Elle consiste à effectuer un vaste
mouvement vers l'est, jusqu'aux Philippines, puis,
parvenu au nord de cet archipel, à changer de cap
pour se diriger vers la Chine. Cet itinéraire est
long, mais il est plus sûr, car il permet
d'éviter une longue approche côtière,
toujours dangereuse, et surtout il permet de naviguer
à contre-mousson, avantage considérable
pour des vaisseaux ayant subi des retards.
Les
dates des retours, tout comme celles des allers, sont
commandées par la mousson. Le départ a lieu
une fois la mousson du nord bien établie,
c'est-à-dire entre janvier et avril. En outre il
faut prévoir de franchir le Cap de
Bonne-Espérance avant la mauvaise saison,
c'est-à-dire avant la fin du mois de mai. La
traversée de l'Océan Indien s'effectue dans
des conditions analogues à celles du voyage
d'aller, mais le canal de Mozambique n'est pas
utilisé. Le passage du Cap de
Bonne-Espérance constitue la partie la plus
délicate du trajet, car il est situé
à la jonction de plusieurs systèmes de
vent. Il faut suivre de près la côte de
manière à pouvoir profiter des courants qui
portent vers l'ouest. Du mois de juin à celui
d'octobre, la force des vents généraux
d'ouest, utiles pour aller de l'Atlantique dans
l'Océan Indien, mais gênant dans l'autre
sens, rend le passage d'est en ouest presque
impossible.
Après
le passage du Cap, les bâtiments se laissent porter
par l'alizé du sud-est et se tiennent près
de la côte d'Afrique, de manière à
pouvoir profiter du courant de Benguela puis, ils
prennent le nord-ouest en direction des îles de
Sainte-Hélène et de l'Ascension. La seconde
est la plus fréquentée, bien qu'il ne s'y
trouve pas de sources, mais parce que l'on peut y avoir
des nouvelles de l'Europe. En cas de conflit, les
Compagnies envoient des avisos qui stationnent à
proximité de l'île et préviennent les
officiers des bâtiments d'avoir à se tenir
sur leurs gardes.
À
partir de l'Ascension, on gouverne au nord-ouest de
manière à passer largement à l'ouest
des îles du Cap-Vert et à contourner les
Açores. On profite ainsi des vents émis par
les hautes pressions installées sur cet archipel
durant l'été et le début de
l'automne, saisons pendant lesquelles les vaisseaux se
trouvent dans les parages. Au-delà, on
pénètre dans la zone des vents d'ouest
dominants, particulièrement favorables pour le
retour. L'arrivée en Europe se situe durant la
belle saison, de juillet à septembre, et les
ventes des Compagnies, grandes ventes aux enchères
fréquentées par les négociants de
toute l'Europe, se déroulent depuis la 2ème
quinzaine d'octobre jusqu'à la fin de
novembre.
En
moyenne, les voyages durent de 20 à 26 mois, dont
16 à 20 passés à la mer. Il faut
remarquer que la vitesse n'est pas
systématiquement recherchée, d'autant
qu'elle importe peu dans un système de monopole.
Ce qui est souhaité est la
régularité et la
sécurité.
La
récession approche
Le
18° siècle connaît certaines
difficultés. Le commerce des toiles plafonne,
entraînant le recul de la population de certaines
villes, telle Vitré. La démographie
désastreuse des années 1770-1790 est
l'indice de ces difficultés bretonnes,
masquées par l'extraordinaire essor du commerce
nantais, orienté vers les Antilles. Grâce
aux ports de Nantes, de Lorient et de St Malo &endash; ce
dernier reprend au cours de la seconde moitié du
18° siècle &endash; la Bretagne domine le
commerce maritime français. Elle assure 1/3 des
constructions navales et, vers 1790, détient 27 %
du nombre total des navires du pays. C'est donc la
première province maritime, rang que la Normandie
détenait au siècle précédent.
Mais jamais le contraste entre le centre de la
péninsule, qui se vide, et les régions
côtières, n'a été plus
accentué. Le dynamisme commercial joue, de
même, au détriment de la Basse-Bretagne,
où les ports végètent après
l'euphorie du 16° siècle, que traduit par
exemple l'existence de l'école cartographique du
Conquet. Guerres maritimes et commerce des Indes
orientales aboutissent, en revanche, à la
création et au développement de deux
grandes villes nouvelles: Brest et Lorient, villes
semi-militaires implantées un peu à la
manière de villes coloniales dans un pays peu
urbanisé.
Par
contre les commerçants malouins, dunkerquois se
lancent dans la "guerre de course". Les
commerçants viennent au secours du roi et
affrêtent des bâtiments corsaires. Ce fut un
grand succès avec près de 4000 navires pris
ou rançonnés entre 1693 et 1697. Dans la
guerre de 1702 à 1713, la première place
revient à Dunkerque (640 navires pris) et la
seconde à Saint-Malo (511 navires). Les corsaires
sont des bâtiments de commerce armés pour la
course, ou bien des vaisseaux de la Marine royale
prêtés à des armateurs privés
pour cette opération. L'apport des vaisseaux de
guerre est décisif pour des opérations
difficiles comme la prise de Rio de Janeiro par
Duguay-Trouin en 1711, qui rapporte officiellement quatre
millions de livres tournois et 92 % de profit. Les
Britanniques et les Hollandais ne restent pas inactifs,
bien évidemment, et s'emparent de navires
français ou espagnols, si bien que, durant cette
guerre, les pertes et les gains paraissent
s'équilibrer à peu près, alors que
la guerre de la Ligue d'Augsbourg avait été
favorable aux Français.
pour
retourner au chapitre en cours, cliquez sur la
flèche
haut
de page