(Suite)
DEUXIÈME
PARTIE - PATHOLOGIE.
Il nous
est impossible de songer à dresser une statistique exacte de
tous les cas pathologiques qui se sont présentés à
Groix depuis que nous y sommes, car, en dehors des malades qui ne réclament
aucun soin médical, il en est beaucoup d'autres qui s'adressent
aux célèbres rebouteurs du continent voisin, ou bien aux
soeurs établies dans l'île pour faire l'école aux
enfants, et qui se livrent d'une façon très ouverte quoique
illégale à l'exercice de la médecine et de la pharmacie.
Elles s'abstiennent généralement en accouchements et en
chirurgie, mais la pathologie interne et surtout celle de l'enfance
n'ont pour elles aucun secret. Pauvres enfants! !
Pathologie
interne.
Nous
n'insisterons donc que sur les particularités que nous avons
observées. Ayant eu la bonne fortune de trouver, dans les archives
du presbytère, un manuscrit signé du D' Lestrohan, et
daté de 1825, époque à laquelle il était
venu à Groix, en qualité de médecin des épidémies,
pour combattre une maladie qui y fit des ravages, mais dont il ne nous
a pas laissé le nom, nous avons pu constater que des affections
qui, d'après lui étaient communes alors, sont rares aujourd'hui
et inversement. Il dit en effet : Les maladies des nerfs et leurs nombreuses
anomalies sont inconnues dans cette île. On n'y rencontre aucun
phtisique. Il n'y a guère que deux maladies auxquelles les habitants
sont spécialement prédisposés, l'épilepsie
et les dartres..., etc. » Aujourd'hui les deux propositions contraires
seraient vraies. Les affections nerveuses et la tuberculose sont très
répandues; les maladies de la peau, rares. Tel est le fait saillant
de la pathologie locale. Nous reviendrons sur ce sujet; pour plus de
clarté, nous allons examiner par ordre les maladies des différents
appareils.
Maladies
de l'appareil circulatoire.
Ces
affections sont loin d'être rares; parmi une population où
l'usage et l'abus de l'alcool sont assez communs, l'athérome
est fréquent. On peut invoquer aussi le grand âge auquel
cette population parvient, et nous en avons vu un cas extrêmement
remarquable chez un vieillard de 88 ans, qui présentait d'ailleurs
une intégrité parfaite de l'intelligence et des organes
des sens. Les maladies du muscle cardiaque et du péricarde sont
aussi très communes, conséquence naturelle des nombreux
rhumatismes articulaires auquel le genre de vie des Grésillons
les expose d'une façon permanente par les froids humides qu'ils
subissent à bord de leur chaloupe. Dans les cas graves, avec
menaces d'asphyxie et anasarque, nous avons été constamment
appelé, et nous devons dire que nous avons perdu un grand nombre
de vieillards atteints de ces affections. Combien de cas légers
passent inaperçue, et n'ont réclamé aucun secours
jusqu'au jour où des complications se sont présentées.
Quant aux palpitations nerveuses, on peut dire qu'un très grand
nombre de jeunes filles, d'ailleurs hystériques et chloro-anémiques,
en sont atteintes, maladies rebelles s'il en fut, et contre lesquelles
nous avons souvent en vain épuisé toutes nos ressources
thérapeutiques.
Nous
avons observé un cas de persistance du trou de Botal chez un
enfant qui avait atteint jusqu'à l'âge de 8 ans, et un
cas d'anévrysrne de l'aorte ascendante chez une femme de 41 ans
qui ne nous laisse aucun espoir.
Maladies
de l'appareil respiratoire.
Ce sont
celles que chaque jour le médecin, est appelé à
traiter, comme on pouvait s'y attendre, étant donnés le
climat essentiellement humide et le peu de soin qu'ont les marins de
leur santé, quand il s'agit de précautions à prendre
pour se garantir des refroidissements coryzas simple ou chronique, laryngites
aiguës et granuleuses dues surtout au tabac, amygdalites d'une
intensité extrême, parfois avec fièvre et suivies
d'abcès, bronchites aiguës ou chroniques en tout temps et
surtout aux changements de saison Deux cas de pharyngite granuleuse
ont été traités par les moyens ordinaires, astringents
et caustiques superficiels, inhalations médicamenteuses, et plus
tard par l'envoi aux eaux de Cauterets, sans amélioration bien
notable, du moins pour l'un d'eux. La toux, tant qu'elle ne devient
pas très douloureuse, les crachats, du moment qu'ils ne contiennent
pas encore du sang, n'éveillent en général pas
l'attention, et ce n'est souvent que lorsque la bronchite a passé
à l'état chronique, que les malades se décident
à s'occuper d'une affection dont l'issue est souvent fatale pour
eux. Car la tuberculose, plus peut-être que dans tout le reste
de la Bretagne, exerce ici ses ravages. Nous avons bien en deux ans
perdu une vingtaine de malades du fait de cette affection, inconnue
il y a soixante ans, non seulement au dire des vieillards, mais d'après
l'affirmation du Dr Lestrohan. A quelle cause attribuer son éclosion
? A quelle date la faire remonter ? Nous ne saurions le dire. Aujourd'hui
nous pouvons invoquer l'hérédité comme cause de
sa propagation, mais c'est surtout la contagion que nous incriminerons.
Nous en avons, en effet, de nombreux exemples, et il nous serait facile
de citer les noms à l'appui de notre assertion : veuve G. soigne
sa fille atteinte de tuberculose pulmonaire. Elle s'était jusque-là
toujours bien portée et jouissait d'une constitution robuste
et d'une excellente santé. Elle couche pendant un mois dans la
même chambre que la malade. Elle est prise de toux, de crachements,
fièvre, amaigrissement rapide, sueurs nocturnes, et est enlevée
par mine hémoptysie foudroyante, quelques jours avant la mort
de sa fille. M. A. G..., contaminé par sa femme, meurt après
elle. Le D... Locmaria, J. R... du bourg, meurent phtisiques, et quelque
temps après eux, leurs femmes meurent de la même maladie.
La cohabitation étant particulièrement dangereuse, comme
on le voit, nous nous sommes toujours efforcé de la prohiber
d'une façon absolue, et nous avons toujours, le cas échéant,
fait les recommandations les plus sévères polir l'aération
et la désinfection des locaux suspects.
Nous
avons dit plus haut que la viande que l'on consomme à Groix provient
le plus souvent d'animaux d'une maigreur extrême; rien ne nous
prouve que quelques-uns de ces animaux ne soient pas tuberculeux. Nos
prédécesseurs et nous-même avions fini par vulgariser
la consommation de la viande fraîche, il est fâcheux que
nous ayons été mal compris, et que la spéculation
soit intervenue dans cette question, menaçant ainsi de changer
en un danger public une prescription qui devait être un bienfait.
Empressons-nous de reconnaître que cette viande n'est jamais consommée
ni crue, ni saignante, mais après avoir subi plusieurs heures
de cuisson, car on s'en sert surtout pour faire du bouillon. Sa nocuité
par là même est sensiblement diminuée; nous n'en
disons pas autant du lait de ces vaches, qui souvent est consommé
sans avoir été bouilli, afin que la digestion en soit
plus facile aux estomacs délabrés.
Les
nombreuses pneumonies observées n'ont revêtu aucun caractère
de gravité. Toutes sans exception. celles que nous avons traitées,
même celle d'un alcoolique renforcé, ont parfaitement guéri.
Les pleurésies sont rares. L'asthme, l'emphysème pulmonaire,
le catarrhe bronchique sont le partage des vieillards, et par conséquent
fréquents. Une épidémie de coqueluche et quelques
cas de grippe ont été observés dans l'hiver 1884.
Quant
à la diphtérie, elle mérite malheureusement une
mention particulière. Le premier cas de croup que nous avons
vu s'est déclaré en novembre 1883, dans un village de
l'Ouest, celui de Quéhello, qui, malgré son exposition
au sommet d'une colline aux vents du large, jouit du triste privilège
d'être ravagé par toutes les épidémies qui
passent sur l'île (choléra et variole, 1854 et 1870). Ce
cas fut rapidement suivi de mort et à partir de ce moment, l'affection
s'étendit de village en village, sur toute la surface du pays.
Mais c'est surtout au chef-lieu qu'elle a été meurtrière;
là, nous avons perdu deux enfants dans la même maison,
et, malgré les recommandations faites pour l'isolement, nous
avons vu, dans cette même maison, un autre enfant contracter le
germe de la maladie trois mois après et en mourir. Pendant toute
l'année 1884, nous avons eu des cas isolés, avec des périodes
de deux ou trois mois pendant lesquelles le fléau semblait s'éteindre;
la belle saison n'a pas paru avoir une influence heureuse sur sa marche ;
le dernier cas, et nous espérons cette fois en être débarrassé
définitivement, est celui d'un enfant de Clavesic, enlevé
en vingt-quatre heures. Notre relevé statistique nous donne dans
cette période (novembre 1883 à mars 1885) 34 cas de diphtérie
ou croup, sur lesquels nous avons perdu 26 enfants et guéri 8.
Le traitement employé, ou, pour être plus exact, le traitement
recommandé, a été celui de M. J. Simon, hôpital
des Enfants-Malades. Deux fois nous avons employé les inhalations
de Delthil, une fois avec succès. Dans quelques cas l'opération
a été offerte aux parents comme dernière chance
de salut; nous devons dire qu'aucun ne l'a acceptée.
Observations
de plaques diphtéritiques.
X...,
enfant de 8 mois, demeurant en face de la poste, est malade déjà
depuis une huitaine de jours. Quand nous sommes enfin appelé
auprès de lui, nous constatons sur les avant-bras, de larges
plaques diphtéritiques qui étaient un objet de curiosité
pour toutes les personnes de la maison, mais dont on ne soupçonnait
pas la nature. Mort le même jour.
X...,
jeune fille de 15 ans, avait, dans le côté gauche de la
poitrine, une large plaie diphtéritique, depuis une quinzaine
de jours, survenue sur l'emplacement d'un furoncle. Nous sommes enfin
appelé pour assister à son asphyxie.
Enfant,
M..., bourg, plaques diphtéritiques à la vulve, datant
de plusieurs jours. La diphtérie envahit consécutivement
le pharynx. Mort.
Observation
de paralysie diphtéritique.
Mlle
X..., 28 ans, a enseveli cet enfant. Quelques jours après, elle
ressent une vive douleur a l'arrière-bouche, mais ne réclame
aucun soin. Son mal de gorge guérit spontanément, puis
elle vient nous consulter parce qu'elle ne peut avaler aucun liquide
sans qu'il en passe une certaine quantité par les narines. Elle
parle du nez; elle accuse de la dyspnée. Elle est profondément
anémiée. Sa paralysie pharyngée est actuellement
guérie, mais son état général est loin d'être
satisfaisant après plus de sx mois de traitement et un voyage
en changement d'air.
Nous
avons encore observé un autre cas de paralysie de même
nature chez une petite fille qui avait eu une angine pseudo--rnembraneuse,
mais chez qui les symptômes furent beaucoup plus graves. Les muscles
du thorax et des membres furent atteints ; il y eut du strabisme. Guérison.
La diphthérie
a sévi pendant toute l'année dernière, non seulement
à Lorient, mais encore dans la presqu'île de Quiberon et
à Belle-Ile; nous avons partagé à Groix le sort
de nos voisins; mais en dehors de la cause générale commune,
ne serait-il pas permis de penser que la cause locale de l'épidémie
parmi nous est la présence d'amas de fumiers et de cloaques infects
sur le pas des portes des habitations ? Le germe de l'affection ne serait-il
pas d'origine fécale, comme le pensent certains médecins
anglais et américains ? C'est ce qui expliquerait la fréquence
des épidémies de diphtérie dans les villages les
plus salubres où le fumier est constamment étalé
en grande quantité autour des habitations; mais il est plus facile
de signaler que de supprimer ces foyers d'infection au village où
le paysan considère son fumier comme une de ses principales richesses.
Maladies
de l'appareil digestif.
Elles
sont nombreuses et variées et reconnaissent pour cause les vices
d'alimentation et la mauvaise hygiène. Ce sont des stomatites
simples ou ulcéreuses, auxquelles l'usage du tabac à mâcher
n'est pas étranger, des gingivites, des caries dentaires, des
angines, des embarras gastriques, des affections aiguës ou chroniques
de l'estomac, avec leurs si nombreuses variétés de dyspepsies,
la gastrite, l'ulcère simple, les crampes, le cancer, etc.
Le muguet
chez les enfants est banal, on peut dire qu'il est la règle chez
ceux que l'on élève au biberon, grâce à la
coupable négligence que l'on met à le nettoyer et aussi
à la déplorable habitude qu'ont les mères de donner
à leurs petits pour les empêcher de pleurer de la cassonade
enveloppée dans des petites pochettes que l'on fait avec des
linges d'une propreté très douteuse. Nous avons eu un
cas de spasme de l'oesophage chez une femme hystérique, qui ne
pouvait avaler aucun aliment solide et même avait toute sorte
de difficultés à boire. La déglutition chez elle
se faisait en deux temps, avec un intervalle de plusieurs secondes entre
le premier effort et le second; nous en avons eu raison par l'emploi
du bromure de potassium.
Nous
avons traité un cas de cancer de l'estomac et un autre d'ulcère
simple, mais nous n'en avons pas pris l'observation détaillée.
Les
affections intestinales n'ont rien présenté de spécial,
à part quelques cas de dysenterie légère survenus
chez des ouvriers du port qui vivaient dans les plus mauvaises conditions
hygiéniques; la maladie menaçait de prendre des proportions
si nous n'étions venu à isoler rapidement les premiers
atteints et à combattre l'encombrement de leur dortoir. Quelques
cas de diarrhée et de vomissements survenus chez des enfants
à l'époque de la première dentition en ont fait
succomber un certain nombre. Les maladies du foie et des voies biliaires,
ainsi que celles de l'appareil urinaire n'ont pas attiré l'attention
d'une façon spéciale. Nous avons eu à traiter un
calcul vésical qui entraîna la mort, de nombreuses cystites
avec dépôt muqueux abondant dans les urines chez des vieillards,
et un cas de cirrhose hypertrophique du foie chez un homme de 66 ans.
L'ictère simple est relativement commun, occasionné quelquefois
par des influences morales tristes et le plus souvent par des écarts
de régime.
Vers
intestinaux.
Ils
sont tellement communs que peu d'enfants y échappent et même
beaucoup de grandes personnes en sont atteintes. Ce sont toujours des
lombrics. Nous n'avons pas vu d'oxyures. Nous avons rencontré
un Taenia au bourg et nous en avons débarrassé notre malade
par une dose de poudre de Kousso qui a fait rendre les anneaux et la
tête; c'était un taenia inerme. L'impureté de l'eau
est seule ici en cause.
Péritonites.
Ces
affections ne sont jamais survenues que comme complication de l'état
puerpéral; ce qui nous surprend, c'est qu'elles ne soient pas
beaucoup plus fréquentes, car on voit souvent des femmes qui,
deux ou trois jours après leur accouchement, se livrent à
leurs occupations sans se douter des dangers auxquels elles s'exposent.
Au bourg, à Kermario et à Quelhuit, nous en avons constaté
trois cas extrêmement graves qui se sont tous terminés
par la guérison.
Maladies
de l'appareil d'innervation.
Dans
le courant du premier trimestre 1885, nous avons été appelé
à donner des soins à deux enfants atteints de méningite,
qui sont morts tous les deux; le père de l'un d'eux était
tuberculeux à la dernière période. Nous avons eu
en outre deux cas de ramollissement cérébral suivis de
mort à longue échéance, et observé une hémorragie
cérébrale survenue chez un homme de 65 ans, après
une journée très froide, pendant le travail de la digestion
du repas du soir. Elle eut lieu sans perte complète de connaissance,
mais avec affaiblissement des facultés et embarras de la parole;
elle détermina la paralysie immédiate de la sensibilité
et du mouvement de tout le côté gauche; en ce moment en
voie d'amélioration, ce malade peut marcher seul. Notons encore
un cas très grave de myélite aiguë (a frigore) chez
une jeune femme de 30 ans à peine. Après être restée
dans un courant d'air, ayant eu froid, elle accusa d'abord des douleurs
très violentes en ceinture et dans les membres inférieurs.
La paraplégie se déclara rapidement, s'étendant
aux membres inférieurs, aux muscles de l'abdomen, à la
vessie et au rectum. Puis la nutrition de toute la partie inférieure
du corps fut gravement atteinte; des eschares, des plaques de gangrène
se montrèrent sur les parties qui reposaient sur le lit, et la
malade mourut au bout de trois ou quatre semaines dans d'atroces douleurs
que les injections de morphine réussirent à peine à
modérer et malgré un traitement très énergique
institué dès le début. Nous n'avons pas vu d'ataxie
locomotrice.
Névroses
cérébro-spinales.
Nous
arrivons à un genre d'affections qui donnent à la pathologie
de l'île de Groix un cachet particulier, nous voulons parler de
l'hystérie, car l'épilepsie en somme est assez rare. Notre
surprise a été grande de trouver si répandue parmi
les femmes de pêcheurs cette névrose qui semblait être
le privilège des femmes du monde et des habitants des grandes
villes, notre collègue et ami le Dr Bohéas dans sa thèse
sur l'île d'Ouessant signale aussi l'hystérie comme très
répandue parmi les Ouessantines et l'attribue comme nous sommes
nous-même porté à le faire à l'en semble
des conditions tout exceptionnelles où elles sont appelées
à vivre. Séparées pendant les longs mois de l'hiver
de leur mari, leur unique soutien en général, ces femmes
chez lesquelles d'ailleurs, le sentiment de la famille est très
développé éprouvent à chaque tempête
des terreurs continuelles, qui finissent à la longue par ébranler
leur système nerveux et en empêchent le fonctionnement
régulier. L'affection est plus commune, de beaucoup, chez les
femmes que chez les jeunes filles. A la moindre émotion, elles
sont exposées à perdre connaissance. Toutes ou presque
toutes sont plus ou moins nerveuses, irritables Pourquoi cette impressionnabilité
exagérée ? Ne serait-elle pas la conséquence des
sentiments tristes habituels , aussi bien que des émotions gaies
et des plaisirs de la vie surchauffée des grands centres ? Peut-être
aussi ne serait-elle que la conséquence de l'état spécial
de l'utérus chez des femmes condamnées brusquement à
la continence après l'accomplissement régulier des rapprochements
conjugaux. Comme la tuberculose, elle était inconnue il y a soixante
ans, à une époque ou les marins ne s'absentaient de chez
eux que pour quelques jours et par beau temps; car les voyages de plusieurs
mois pour la grande pêche ne datent tout au plus que d'une trentaine
d'années. On pourra désormais indiquer l'hérédité
comme une de ses causes productrices. L'alcoolisme que l'on accuse de
tous les maux qui accablent l'humanité nous paraît étranger
à l'éclosion de cette bizarre affection. Quant aux mariages
consanguins que l'on pourrait mettre aussi en cause, nous espérons
prouver par des chiffres qu'ils ne produisent pas des effets aussi déplorables
qu'on paraît disposé généralement à
le croire. Nous avons vu ici l'hystérie sous ses formes les plus
légères et sous ses formes les plus sérieuses.
Tantôt nos malades accusent seulement de vives impressions sous
l'influence des causes les plus légères et ne peuvent
s'empêcher de les manifester par des pleurs dont l'explosion parait
des plus étranges aux personnes qui ne connaissent pas cette
singulière névrose. Leur humeur est des plus variables,
soit en bien, soit en mal. Leur sensibilité est ou exagérée,
ou diminuée, ou pervertie. Ces malades accusent des névralgies
diverses, trifaciales, intercostale, des douleurs dans les jointures,
des crampes d'estomac. Chez quelques-unes, des piqûres très
profondes faites avec des épingles sont restées inaperçues.
Plusieurs ont eu des convulsions, des paralysies limitées à
un membre, un appétit particulier pour des substances très
indigestes ou répugnantes, de l'aphonie, de la toux, des pâleurs,
des rougeurs subites de la face, de la polyurie ou de la disurie. Quelques-unes
enfin ont eu des attaques, avec constriction pénible à
la poitrine et à l'épigastre, avec sensation d'une boule
qui monte à la gorge et y détermine une suffocation et
une angoisse extrêmes. Une femme de Locmaria a eu une de ces attaques
qui a duré huit jours, pendant laquelle n'ayant pas sa connaissance,
elle criait, pleurait riait, crachait. Les muscles de son visage, du
cou, de la poitrine, des membres, contracturés par moment, s'agitaient
dans d'autres avec une grande violence. Il fallait plusieurs hommes
pour la maintenir couchée. Cette femme n'avait jamais eu la moindre
attaque étant jeune fille. La première datait d'une première
grossesse et son état s'est sensiblement amélioré
à la suite d'un accouchement récent, qui s'est terminé
de la façon la plus heureuse pour ta mère et l'enfant.
L'épilepsie
se rencontre à Groix avec une fréquence qui n'a rien d'anormal;
car, si l'on admet qu'il y a généralement 4 cas pour 1000
individus, on peut affirmer qu'à Groix où il y a 4 600
habitants, il n'y a certainement pas 48 épileptiques. Nous avons
compté les cas connus et nous en avons trouvé seulement
6; mais nous en avons observé deux particulièrement intéressants,
le premier a été suivi de mort; les attaques qui avaient
débuté vers l'âge de dix ans, la suite d'une frayeur,
étaient devenues chaque jour plus fréquentes, et il y
en avait jusqu'à vingt et trente par vingt-quatre heures au moment
de la mort; le second est celui d'un enfant qui a maintenant 13 ans.
Les premières convulsions remontaient, chez lui, à l'âge
de 25 mois. Le petit malade qui parlait est devenu muet vers l'âge
de 5 ans et est complètement impotent. Ni l'un, ni l'autre n'est
fils de consanguin. Récemment nous avons été appelé
à constater le décès d'un homme de trente-cinq
ans, trouvé mort dans son lit, et nous avons cru pouvoir affirmer
que couché sur la figure, au moment d'un attaque, il avait dû
s'asphyxier dans ses oreillers.
L'éclampsie
s'est présentée une seule fois depuis deux ans, chez une
femme qui accouchait avant terme, à. sept mois. L'attaque ne
commença qu'après l'accouchement terminé, la mort
survint au bout de dix-huit heures.
Un seul
cas de chorée partielle du membre supérieur chez une petite
fille, et un cas de paralysie spinale chez un autre enfant dont les
membres inférieurs sont restés atrophiés.
Les
migraines, les névralgies diverses et surtout sciatiques sont
très fréquentes, plus encore chez les femmes que chez
les hommes.
Maladies
de l'appareil locomoteur.
Citer
les rhumatismes articulaire, musculaire, noueux, c'est dire qu'ils sont
la règle chez les hommes qui ont passé leur vie à
la mer dans les mauvaises conditions où se trouvent de simples
pêcheurs. La goutte est inconnue, le rachitisme peu répandu.
Maladies
généralisées : poisons telluriques; fièvres
intermittentes.
Les
fièvres intermittentes que nous observons ici proviennent le
plus souvent des pays intertropicaux, ce qui n'a rien que de très
naturel, puisque presque tous les hommes valides qui vont au service
ont forcément passé quelque temps dans des climats à
fièvre. Les convalescents du Tonkin et de Madagascar commencent
à rentrer dans leur famille, et chaque jour nous avons occasion
d'user largement de la quinine. En dehors de ces cas, d'origine étrangère,
quelques enfants des villages de Kerliet, Kerampoulo et Kerlivio qui
se trouvent dans le voisinage de terrains marécageux ont présenté
des accès parfaitement caractérisés et de source
locale.
Observation
de gangrène palustre (personnelle).
Nous
prenons l'observation suivante au numéro d'avril 1884 des Archives
de médecine navale (Dr Boutin). Nous ne nous attendions guère
à voir à Groix un fait aussi intéressant, et nous
en avons fait profiter nos collègues du port de Lorient
X..., rentre
des colonies où il a eu de nombreux accès de fièvre,
dont quelques-uns bilieux. Ces accès n'avaient jamais déterminé
de complications , mais par leur répétition avaient
plongé le malade dans un état cachectique assez avancé.
Il vient à Groix, dans sa famille, en congé de convalescence.
Le soir de son arrivée, accès de fièvre très
intense; frissons, vomissements alimentaires d'abord, puis sanguinolents,
urines sanglantes, teinte itérique très prononcée.
Cet accès dure trois jours plongeant le malade dans un état
de prostration très grand. Il remarque que le dos du pénis
est rouge; au centre de la rougeur est une phlyctène remplie
de sérosité noirâtre. M. Lejanne qui a donné
ses soins au malade pendant toute cette période l'envoie à
l'hôpital de Lorient. A son entrée, la teinte ictérique
est encore très accentuée, la faiblesse extrême,
le dégoût des aliments très prononcé. La
face supérieure au gland et celle du prépuce sont sphacélées,
noires; le méat n'apparaît que lorsque le malade urine.
Un sillon très net sépare les parties saines des parties
mortifiées; ce sillon est situé dans un plan très
oblique à l'axe du pénis. de telle sorte qu'il décrit
autour de l'organe une ellipse dirigée en avant et en bas,
s'arrêtant à la hauteur du frein et laissant au-devant
de lui une bande étroite de prépuce sain. Les signes
fonctionnels sont nuls pas de douleurs spontanées ou à
la pression. Il n'existe ni lymphangite, ni adénite inguinale.
Sur la surface cutanée, pas de taches pétéchiales.
Pas de traumatisme du pénis avant l'accident. La rate est hypertrophiée,
le foie augmenté de volume est douloureux. M. le médecin
en chef Lucas procède à l'ablation de la partie sphacélée
et le membre viril apparaît taillé en bec de flûte.
On panse à l'acide phénique et l'on donne des lavements
quininés, ainsi que de l'eau de Vichy.
16
février. Les urines rendues sont abondantes et couleur acajou
avec des reflets verdâtres ; l'acidité est normale il
n'existe ni albumine, ni sucre; mais on constate la présence
des pigments biliaires au microscope, et dans le dépôt
formé en grande partie par du mucus; quelques cristaux de cholestérine.
Les selles sont noirâtres, goudronnées. L'aspect de la
plaie est satisfaisant.
Le
21, les urines sont moins colorées; la plaie va bien.
Le
23, l'urine est pâle et jaune, presque neutre, sans dépôt,
la bile a presque disparu. L'albumine n'y existe pas, mais le sucre
y fait son apparition en quantité notable.
Le
27, le sucre avait disparu et l'urine était devenue normale.
A ce moment, la plaie est recouverte de bourgeons charnus qu'on doit
légèrement réprimer par le nitrate d'argent.
L'état général est bien meilleur, l'appétit
est bon. Les lavements quininés, continués jusque?là,
sont suspendus le 28 février et l'on prescrit la liqueur de
Fowler.
Le
25 mars, le malade sort; la plaie est cicatrisée. Les désordres
produits par l'accident sont peu considérables; le prépuce
seul a disparu, sauf à la partie inférieure, au niveau
du frein. L'état général est excellent. Cet homme
n'avait pas d'habitudes alcooliques. Le coeur et les vaisseaux étaient
sains. »
Les
faits de ce genre étant encore très peu nombreux, nous
n'avons pas cru pouvoir nous dispenser d'en publier l'observation.
Cette gangrène locale a bien pour cause l'empoisonnement par
le miasme paludéen (Verneuil, Fournier), par le mécanisme
suivant : dyscrasie du fait de l'intoxication, encombrement des
vaisseaux et surtout des capillaires périphériques et
terminaux par le pigment palustre, suspension de l'irrigation sanguine
et de la vie des appendices sous l'influence du spasme produit par
un accès de fièvre. Dans le cas actuel, on n'a d'ailleurs
constaté ni albuminurie, ni lésion cardiaque ou vasculaire,
ni autre affection pouvant modifier la vitalité des tissus.
La présence du sucre dans les urines n'a été
révélée qu'après plusieurs examens qui
avaient donné d'abord des résultats négatifs,
et cette glycosurie a été passagère puisque,
constatée le 23, elle avait disparu le 27.
Choléra.
Historique.
Le rapport du sous-préfet de Lorient, en date du 1er novembre
1832, signalait quelques cas isolés de choléra à
Groix, mais qui ne constituaient pas une véritable invasion.
La mortalité dans l'île fut, en 1832, de 67 au lieu de
45 en 1831. Pendant cette épidémie, le nombre des personnes
atteintes, dans l'arrondissement, s'élevait à 961 et le
nombre des morts à 342.
En 1834,
éclate le choléra à Vannes, en juin pour se terminer
en octobre. Les bulletins sanitaires signalent, pour la ville de Vannes,
283 cas et 92 décès. Son rayonnement est considérable
et la mortalité est encore plus forte. Lorient et l'arrondissement
ne sont envahis que plus tard; c'est le 3 septembre qu'apparaît
le premier cas. Tout le littoral est atteint, et Belle?Ile et Groix
sont envahies. La mortalité totale à Groix, en 1834, fut
de 173, dont 45 dans le seul mois d'octobre, 48 en septembre et 37 en
août. En 1849, Lorient et Port?Louis sont de nouveau atteints
d'une façon très sérieuse. La mortalité
s'élève, à Groix, à 76 décès
au lieu de 46 en 1850. En 1854, d'après le compte rendu des épidémies
du Dr Fouquet, de Vannes, l'épidémie débute
le 5 mai à Napoléonville, puis le 30 juillet à
Vannes, où elle a toute son intensité en septembre. Le
6 novembre, elle s'élance sur Groix où elle tue 71 personnes
en 77 jours, sur une population de 3 356 habitants. Elle en disparaît
le 12 janvier 1855. En 1854, il y eut 136 décès dans l'île.
Les deux villages de Kermarec et de Loqueltas n'en eurent pas un seul
cas, tandis que Quehello et Locmaria furent décimés.
En 1866,
l'arrondissement de Lorient est frappé le15 octobre; l'épidémie
dure jusqu'à la fin d'avril 1866; 29 communes sont atteintes;
il y a 1526 cas et 634 décès (Compte rendu des épidémies
du département du Morbihan, Dr Mauricet, Vannes). La mortalité
à Groix s'élève à 97 en 1865, et à
127 décès en 1866, au lieu de 86 en 1864.
En 1884,
le 25 juin, au moment même où, par les journaux, nous apprenions
l'apparition de l'épidémie à Toulon, nous fûmes
appelé en toute hâte, au milieu de la nuit, à donner
des soins à une femme de Clavesic qui nous présenta tous
les symptômes les plus indiscutables et les plus évidents
du choléra. Le cas fut moyen, et la malade guérit au bout
de huit jours. Aucune autre personne ne fut atteinte. Pendant tout le
temps que dura le choléra à Toulon, nous reçûmes
de loin en loin des matelots congédiés du service provenant
de ce port, pour la grande terreur de la population. Aucun cas ne se
déclara à Groix pendant tout l'hiver, et l'épidémie
était partout éteinte en France, lorsqu'au mois de mars
dernier, nous eûmes à traiter une femme de 55 ans, au village
de Kerliet, qui mourut au bout de trois jours de diarrhée et
de vomissements. Nous recueillîmes avec soin l'observation de
cette malade dans tous ses détails, et nous la fîmes parvenir
à M. le directeur du service de santé de la marine à
Lorient, M. le D Bérenger?Féraud, qui n'hésita
pas à confirmer le diagnostic que nous avions porté de
choléra. Ce cas fut unique. Nous nous dispensons de publier l'observation
qui n'offre aucun intérêt particulier.
Variole.
En 1870,
la variole exerça ses ravages dans l'ile, La mortalité
monta au chiffre de 193 au lieu de 96 en 1869. Nous n'avons trouvé
aucune relation de cette épidémie. Malgré le grand
nombre de victimes qu'elle fit à cette époque, la population
professe aujourd'hui la plus profonde indifférence à l'endroit
de la vaccination. Un grand nombre d'enfants ne sont pas vaccinés;
toutes nos recommandations à cet égard n'aboutissent à
aucun résultat. Nous luttons en vain contre la force d'inertie.
En 1884,
ii y eut quelques cas de rougeole, sans importance et sans gravité.
Fièvre
typhoïde.
En 1883,
une jeune fille de 19 ans, arrivant du continent, non acclimatée,
subissant les influences dépressives de la séparation
d'avec sa famille et du changement de genre de vie, et portant peut?être
avec elle le germe de la maladie, fut atteinte de fièvre typhoïde,
de gravité moyenne, à forme adynamique. Elle guérit
sans accidents. Quelque temps après un jeune homme du même
âge fut pris et guérit aussi. A la fin de 1884, une vieille
femme, dans la misère, en mourut. Mais il n'y avait aucune relation
de cause à effet entre son affection et celles précédemment
observées. Au moment où nos écrivons (juillet 1885)
nous avons deux fièvres typhoïdes en traitement, depuis
trois semaines, et l'affection semble marcher vers une issue favorable.
Il y a une huitaine de jours, un troisième cas s'est terminé
par la mort. Ils semblent être tous les trois d'importation étrangère
et provenir de Belle?Ile, où il y a une épidémie
très sérieuse, et où les trois jeunes malades sur
trois bateaux différents avaient séjourné un certain
temps. Ils ont été isolés complètement,
et tout porte à croire que la maladie ne s'étendra pas
davantage.
Nous
apprenons que, tout récemment (1885) le corps d'une personne
morte de fièvre typhoïde a été transporté
à Groix sans qu'on eût sans qu'on eut pris toutes les mesures
hygiéniques légales. Pendant le transfert du cadavre du
port au cimetière, les liquides cadavériques coulaient
le long de la route. Plusieurs porteurs se sont trouvés mal.
A qui incombe la responsabilité d'un fait aussi grave ?
Chlorose
et anémie.
La chlorose
est très commune parmi les femmes. Comme l'anémie, elle
peut être considérée tantôt comme la conséquence
d'une alimentation insuffisante ou de la misère, tantôt
comme le résultat de la déchéance vitale qui suit
le cours d'une maladie longue, ou d'une perte de sang, ou même
d'influences morales tristes. C'est une affection qui s'établit
généralement petit à petit, et demande un certain
temps pour envahir l'économie. Nous pouvons cependant signaler
le cas d'une jeune fille de 19 ans, de constitution vigoureuse, au teint
coloré, aux joues fraîches et roses, qui, à la suite
d'une indigestion, perdit toutes ses couleurs en une seule nuit et se
réveilla le lendemain matin avec une pâleur que les traitements
les plus variés n'ont pas pu réussir à faire disparaître
depuis plus de deux ans.
Scrofule.
La scrofule
est beaucoup plus rare que dans les communes rurales de la Bretagne;
il en existe bien quelques exemples, mais peu nombreux, et nous croyons
sous ce rapport à l'influence bienfaisante de l'air salin et
des grandes brises qui ont passé sur l'Océan.
Alcoolisme.
S'il
est permis de dire que l'ivresse avec ses manifestations bruyantes et
passagères est un délit fort commun à Groix, pendant
une certaine époque de l'année et au moment du retour
de la grande pêche, on doit aussi reconnaître que l'alcoolisme
chronique avec ses altérations anatomiques et les troubles fonctionnels
dont il frappe un grand nombre d'organes, en imprimant à l'individu
un cachet spécial de dégradation et de déchéance,
est relativement rare. De 1883 à 1885, nous avons eu à
traiter 4 cas seulement de « delirium tremens »,
dont, fait assez rare, un très sérieux, survenu chez un
jeune homme de 18 ans que l'accoutumance n'avait pas encore suffisamment
armé contre les dangers du poison.
Maladies
de la peau.
Très
fréquentes, paraît?il, en 1825, par quel concours de circonstances
ont?elles presque complètement disparu aujourd'hui ? Nous pourrions
chercher l'explication de ce phénomène dans ce fait que
l'alimentation, qui était autrefois presque exclusivement tirée
de la mer, à l'époque ou l'on consommait du poisson dans
l'ile, au lieu de l'expédier sur les grandes villes de l'intérieur,
que l'alimentation, disons-nous, est plutôt végétale
de nos jours ; mais nous aimons mieux croire tout simplement aux heureuses
consquences d'une propreté corporelle plus grande, du fréquent
changement de linge et des ablutions plus répétées.
L'usage des bains de mer n'est pas encore entré dans les habitudes,
mais nous ne désespérons pas d'arriver dans quelques années
à les vulgariser. Nous avons vu seulement quelques cas de gale
chez des ouvriers malpropres, et un certain nombre d'herpès zona
chez des femmes, deux cas d'ichthyose chez la mère et le fils,
trois ou quatre teigneux que nous avons tenus isolés jusqu'à
guérison, un cas d'érythème chez un enfant et quelques
urticaires à la suite d'ingestion de coquillages; mais tout cela
ne constitue pas une prédisposition particulière aux maladies
de la peau et ne nous arrêtera pas plus longtemps.
Accouchements.
Nous
en dirons peu de chose, si ce n'est qu'ils se font naturellement dans
l'immense majorité des cas, et que d'ailleurs le médecin
intervient rarement, l'île possédant une sage?femme communale
chargée de ce service et une matrone auxquelles les femmes donnent
la préférence. Dans l'espace de 2 ans 1/2, il a été
fait une dizaine d'applications de forceps, et deux versions podaliques.
Nous avons eu la satisfaction de ne perdre en tout que trois femmes
en couches l'une en travail depuis trois jours au moment où nous
fûmes appelé, présentation de l'épaule, mode
brachial, s'était jetée du haut de son lit par terre sur
le ventre; l'autre avait ingéré un litre d'eau-de-vie
le lendemain de ses couches, et la troisième est morte d'éclampsie,
et, nous devons ajouter que malgré le profond mépris que
les parturientes professent pour les règles les plus élémentaires
de l'hygiène et du bon sens, les accidents consécutifs
à l'accouchement ont été en somme assez rares et
assez peu graves pour ne pas mériter d'être mentionnés.
Hygiène
de l'enfance.
Elle
est des plus déplorables, et explique la mortalité relativement
élevée de l'enfance. Bien peu de mères allaitent
leurs enfants pendant un an. Un grand nombre les sèvrent beaucoup
plus tôt, au bout de 5 ou 6 mois, et leur donnent dès lors
une nourriture composée de soupes et de bouillies ; beaucoup
d'autres les élèvent au biberon. Quelquefois même
on leur fait prendre du vin sucré et même de l'eau-de-vie.
Aussi l'athrepsie enlève-t-elle chaque année une très
grande quantité de nourrissons.
Maladies
vénériennes.
Cette
classe d'affections n'est pas tout à fait inconnue à Groix,
les urétrites sont même loin d'être rares; mais nous
devons dire pour l'honneur de la population qu'elles sont toutes d'origine
étrangère, et qu'elles ne se rencontrent guère
que chez les jeunes gens. Quant à la syphilis elle-même,
il nous est arrivé deux fois en deux ans de constater des accidents
formidables qui ont évolué avec une très grande
rapidité, depuis le chancre infectant jusqu'à la roséole,
les plaques muqueuses laryngées et anales, l'alopécie,
I'iritis. Un traitement énergique par le sublimé arrêta
là la marche de l'affection. Nous n'avons pas vu d'accidents
tertiaires ni infantiles, et la constitution physique des habitants
ne porte aucune trace de cette diathèse ce qui s'explique par
ce fait, que les rares Grésillon qui étant au service
contractent la maladie, se trouvent forcement soumis à la visite
de leur médecin à bord des bâtiments de guerre et
doivent par conséquent subir, avant de rentrer chez eux, des
traitements appropriés dont ils recueillent plus tard les bienfaits.
Maladies
mentales.
L'hypochondrie
est une affection très commune, et s'il ressort de ce qui précède
qu'il y a à Groix un grand nombre de maladies vraies, il y a
aussi beaucoup de maladies imaginaires. Les femmes surtout, la plupart
névropathes, sont portées à l'hypochondrie, et
parmi elles, celles que leur sort misérable, ou des deuils récents
plongent dans le chagrin et le désespoir. Préoccupées
de trouver une explication à chacune des sensations qu'elles
éprouvent plus ou moins douloureuses, plus ou moins désagréables,
dans les moindres parties de leur corps, elles sont atteintes, croient-elles,
des maladies les plus diverses, et en tout cas les plus rebelles. «
Quelques-unes, désespérées de n'avoir pu trouver
un compagnon pour partager leur triste sort ou inconsolables de l'avoir
perdu, privées de toutes distractions et de toute joie, se lancent
à corps perdu dans les pratiques religieuses, s'acheminant avec
résignation vers la mort, un chapelet à la main, sans
rien goûter ni voir de ce qui fait la vie, et consciences timorées,
s'en vont à tout propos, se croyant damnées, trouver leur
confesseur, dont elles font sans doute le désespoir comme celui
du médecin qu'elles consultent ( Professeur Ball). » Mais
l'on conçoit que nous ne nous appesantissions pas sur un sujet
aussi délicat.
Nous
avons observé ici un cas de folie religieuse dans une de ses
formes les plus éclatantes, chez un homme d'une quarantaine d'années
qui, à la suite d'un naufrage, fut obligé de renoncer
à la navigation. Il abandonna ses filets et sa famille pour tomber
dans la misère la plus noire, et dès que la tempête
se déchaîne, on le voit courant nu-pieds sur les rochers,
tombant à genoux à tout propos, faisant le tour des chapelles,
se signant, récitant des prières et ne recouvrant à
peu près la raison que lorsque le temps revient au beau. Une
jeune fille présenta aussi quelques symptômes du même
genre, mais son état s'améliora et elle n'offre guère
aujourd'hui qu'une légère tendance au délire des
persécutions. Enfin, un jeune homme de 25 ans a été
interné dans un asile, atteint de folie furieuse qui le rendait
très dangereux pour son entourage. Nous connaissons encore deux
cas de démence sénile, et un cas de manie lectuaire.
Maladies
spéciales aux femmes.
Outre
les désordres dans la menstruation par défaut ou par excès,
nous avons rencontré deux cas de métrite chronique avec
ulcérations du col et un cas de tumeur fibreuse de l'utérus,
dont le diagnostic ne fut pas facile à établir et que
nous traitons par les injections hypodermiques d'ergotine.
PATHOLOGIE
EXTERNE.
Ce chapitre
n'offre, à Groix, aucune particularité notoire. Les affections
chirurgicales sont ici ce qu'elles sont surtout le littoral de la Bretagne,
et il est même presque superflu que nous passions en revue l'un
après l'autre les différents appareils et les lésions
chirurgicales qu'ils ont présentées depuis notre arrivée
dans l'île. Ce ne serait qu'une simple énumération,
une sorte de table alphabétique sans intérêt d'aucune
sorte. Nous nous contenterons donc de rapporter les principaux cas de
chirurgie traités, en insistant seulement sur ceux que leur gravité
désigne à l'attention comme dignes de remarque.
Le fait
qui domine dans la pathologie externe est la très grande fréquence
des panaris au mois de septembre seulement. Ils reconnaissent comme
cause les piqûres faites par les hameçons qui servent à
pêcher le thon. Ce poisson, en effet, se pêche à
la ligne de traîne, et il n'est pas facile de le décrocher
tout vivant, sans se blesser aux doigts, car outre qu'il est très
volumineux, il se débat avec force et menace de piquer au moyen
de ses nageoires et de l'hameçon qu'il a avalé. Les soins
médicaux pour ces panaris ne sont employés que longtemps
après que la liste des traitements empiriques a été
épuisée; aussi entraînent?ils très souvent
après eux des accidents très graves qu'une incision opportune
aurait fait éviter. Nous avons vu un de ces panaris déterminer
un phlegmon diffus de l'avant?bras et du bras, qui compromit non seulement
l'existence du membre tout entier, mais la vie même du blessé;
un autre entraîner la perte de deux doigts qui tombèrent
éliminés par la gangrène; d'autres plus nombreux
laisser après eux des cicatrices difformes, des ankyloses des
jointures phalangiennes et des contractures gênantes et irrémédiables.
Maladies
de la peau et du tissu cellulaire.
L'érysipèle
est loin d'être rare, surtout celui de la face; nous en avons
observé un grand nombre, principalement chez des femmes et tous
sans gravité; nous avons rencontre un anthrax au cou chez une
diabétique, deux phlegmons du bras et de la jambe chez des vieillards,
des furoncles, un abcès de la fesse chez un enfant que ses parents
inconscients eurent la cruauté de faire masser par le rebouteur,
qui croyait avoir affaire à un dérangement.
Maladies
du tissu osseux.
Ce sont
exclusivement des fractures; et pour ce genre de lésions, on
consulte rarement le médecin ; aussi le nombre des estropiés
est?il relativement élevé. Nous donnons la relation des
fractures les plus intéressantes. Toutes celles des membres qui
sont passées par nos mains ont été guéries
sans raccourcissement notable, et sans qu'il soit resté aucune
impotence fonctionnelle.
Fracture
du crâne. Issue de substance cérébrale.
Guérison
: L'enfant Nexer, 4 ans,
fait une chute d'une hauteur de 5 mètres sur des rochers pointus
et tranchants; on le rapporte chez lui couvert de sang, et sans connaissance.
A notre arrivée même état de coma, respiration suspirieuse.
La sensibilité paraît éteinte. Nous retirons un
pansement qui recouvre la tête et nous constatons dans l'amadou
qui le constitue un fragment de matière cérébrale
en forme de boudin ayant environ 3 centimètres de long et de
la grosseur d'une plume d'oie. Les assistants s'écrient : c'est
de la cervelle. Il n'y a pas de doute possible, en effet. La pulpe cérébrale
est sortie par une petite plaie qui siège à la région
frontale gauche à peu près au niveau de la suture du temporal
avec le frontal; cette plaie a 2 centimètres de long et laisse
couler avec une très grande abondance un liquide séro?sanguinolent
qui n'est autre que du liquide céphalo?rachidien. Les os sont
enfoncés légèrement à son niveau et la dépression
a les dimensions d'une pièce de deux francs. Après plusieurs
semaines pendant lesquelles nous combattîmes les accidents qui
se présentèrent et fîmes de la médecine de
symptômes, grâce surtout au maintien au niveau de la plaie
d'une vessie pleine de glace et séparée des parties par
un pansement, grâce aux révulsifs sur le tube intestinal,
et les extrémités inférieures, etc..., le petit
malade guérit
Six
mois plus tard, il se présenta quelques convulsions, qui disparurent
au bout de 2 ou 3 jours. La parole est un peu traînante, mais
l'intelligence est très nette, et il ne reste de l'accident qu'une
dépression osseuse peu profonde et une cicatrice blanchâtre.
Fracture
du crâne; mort : Un
ouvrier du port fait une chute sur la tête d'une hauteur de 4
mètre seulement à la renverse sur des rochers. Appelé
en toute hâte, nous arrivons pour constater la mort ; il existe
une petite plaie du cuir chevelu à la région occipitale.
Pas d'autopsie.
Fracture
probable de la base du crâne; mort : A 9 heures du soir, le
23 décembre 1884, une jeune femme de 32 ans tombe dans son escalier,
de la septième marche, à la renverse, sur le béton
qui forme le parquet de sa maison. La blessée avait, dit?on,
perdu beaucoup de sang; nous la trouvons assise dans un fauteuil la
tête appuyée sur un oreiller, et nous constatons l'existence
d'une plaie de 2 centimètres tout au plus siégeant sur
une bosse sanguine à la région occipitale, qui ne paraissait
nullement intéresser les parties profondes. Ce qui nous inquiéta,
c'était le sang que nous trouvâmes dans l'oreille droite.
Nous interrogâmes la blessée ; elle nous répondit
très nettement. Elle n'accusait aucune douleur localisée,
si ce n'est au niveau de l'articulation temporo?maxillaire où
n'existait aucune lésion. Les pupilles étaient également
dilatées, le pouls normal à 72, la sensibilité
et le mouvement des membres supérieurs et inférieurs conservés
intacts. Le corps était seulement refroidi. Après avoir
fait un pansement de la plaie, avoir doucement réchauffé
la malade par des bouteilles d'eau chaude et un peu de vin chaud, et
avoir délivré une potion qui ne devait être administrée
qu'en cas d'agitation et de délire, nous nous retirâmes
assez rassuré par l'intégrité de l'intelligence
et l'état du pouls.
Peu
après notre départ, le coma survint, la respiration devint
anxieuse. Enfin, à 4 heures du matin, la blessée mourait.
Comment expliquer la mort ? Y avait?il eu fracture de la base du crâne
? Cela est probable, étant donnée la rapidité avec
laquelle la mort est survenue; et le sang de l'oreille provenant non
de la plaie, mais du siège de la fracture. Mais aussi comment
s'expliquer l'absence des troubles des facultés et du système
nerveux pendant les deux premières heures au moins qui suivirent
l'accident ? Ou bien une hémorragie cérébrale avait?elle
eu lieu tardivement ? Ou bien encore la mort était?elle due à
une syncope prolongée chez une personne dont le coeur ne fonctionnait
que d'une façon très imparfaite (C4H6O2) ?
Le même
jour, dans la même maison, un vieillard tombe accidentellement
sur le bord d'un banc et se fait à la tête une plaie de
4 à 5 centimètres qui donne lieu à une hémorragie
très abondante des branches de l'artère occipitale. Une
suture fut faite et la perte de sang fut arrêtée. Il était
plus que temps d'intervenir.
Plaies
contuses du cuir chevelu; commotion cérébrale : Le
4 octobre 1884, au village de Kervedan, un enfant de 12 ans fait une
chute d'une hauteur de sept à huit mètres sur les rochers
et de là à l'eau. Il en a été retiré
sans connaissance, nous constatons l'existence de quatre plaies contuses,
dont l'une très nette siégeant à la bosse frontale
droite est parallèle à l'arcade sourcilière et
a 4 centimètres de long. Les trois autres dans différents
sens sur le sommet de la tête ont de 5 à 7 centimètres.
Au niveau de la suture lambdoïde se trouve une dépression
dans laquelle la pulpe de l'index entre en entier. On ne sent pas de
crépitation. Les deux oreilles sont pleines de sang; ce sang
vient?il des plaies de la tête ou de l'oreille interne ! Il nous
est impossible de nous en assurer. Le blessé remue les jambes
et les bras et sent très bien les piqûres d'épingles.
Il ne répond que très lentement aux questions qu'on lui
adresse et n'accuse de douleur qu'à la tète ; mais dès
qu'il a fait sa réponse, il se retourne et semble vouloir dormir.
Il y a de la photophobie. Le corps est refroidi, le pouls petit. Bouteilles
d'eau chaude, frictions, vin chaud, pot. t. de cannelle, lavement sulfaté,
etc... Pansement des plaies avec amadou, charpie arrosée d'eau
alcoolisée camphrée; prévenir en cas d'accidents.
Le 5.
La température s'est élevée, pouls fréquent,
plein, délire dans la nuit agitation, vomissements de sang, douleur
très vive au niveau des plaies et à l'épigastre;
potion perchlorure de fer; potion chloral pour la nuit, pansement humide.
Le 6.
Pouls à 90, langue saburrale, les plaies de la tête sont
en voie de cicatrisation, encore du délire dans la nuit, mais
plus calme, chaleur mordicante de la peau.
Le 7.
La température est tombée, l'intelligence nette l'agitation
disparue, les douleurs de tête médiocres. Il y a une vaste
ecchymose de la paupière supérieure droite.
Le choc
subi par le blessé n'a pas été aussi violent que
nous l'avions cru tout d'abord; l'enfant est tombé, d'après
les nouveaux renseignements recueillis, directement à l'eau,
et c'est la mer, toujours agitée en cet endroit, qui l'a jeté
tête première sur des pierres, déterminant ainsi
les plaies et les troubles nerveux et intellectuels du début,
mais sans fracture du crame, comme nous étions tout disposé
d'abord à l'admettre en présence du sang des oreilles.
Le corps était couvert d'excoriations et d'ecchymoses peu étendues.
Le 8.
L'intelligence est des plus lucides. Il y a encore un peu de lenteur
dans la parole, les plaies sont cicatrisées, pas de photophobie,
pupilles égales; l'état général est bon.
Le blessé demande à manger et à se lever.
Plaie
pénétrante du crâne par arme à feu ; mort
: X.., ayant des habitudes alcooliques solitaires, est trouvé,
à 7heures du matin, inanimé, étendu sur le parquet
de sa chambe, en travers de la porte, baignant dans une mare de sang.
Nous devons faire les constatations médico?légales.La
rigidité cadavérique était déjà commencée
à notre arrivée. La mort remontait à 23 heures
ou minuit, elle était due à une plaie par arme à
feu qui siégeait au milieu du front et qui laissait pénétrer
à peine le bout du petit doigt; sur ses bords se trouvait de
la pulpe cérébrale. Elle était entourée
d'une auréole violacée due à la poudre qui s'était
incrustée dans la peau. La mort a dû être instantanée,
et la scène du suicide, car c'en était un sans aucun doute,
a été facile à reconstituer. Personne n'avait entendu
la détonation de l'arme, mais ce fait s'explique par la presque
surdité de la femme qui habitait la même maison, et surtout
parce que le coup de feu avait été tiré à
bout portant. X..., assis sur une chaise basse, s'était tiré
de la main droite une balle de revolver dans le front, le coude appuyé
sur un pupitre. Le choc venant de droite à gauche, le corps était
tombé sur le côté gauche, en renversant la chaise,
et la main droite, dans la chute, avait lâché le revolver,
qui était en arrière et à droite du cadavre. Aucune
trace de lésion sur le reste du corps. Pas d'autopsie. Ce suicide
fut un véritable scandale, dans une localité où
ce genre de mort est inconnu.
Fracture
du crâne; mort : X..., son voisin, peu de temps après,
rentre chez lui, le soir, en état d'ivresse. Au moment où
il met le pied sur la troisième marche de son escalier, en bois
vermoulu, cette marche casse. X... tombe à la renverse sur les
dalles du couloir. La mort est instantanée; on constate une petite
plaie à la région occipitale. Pas d'autopsie.
Fracture
de la cuisse : X... (Kerdurand), 60 ans. Etant à Belle?Ile,
tombe d'une hauteur d'une quinzaine de mètres dans un endroit
désert où, ne pouvant se relever, il appelle inutilement
au secours et passe la nuit et une partie du lendemain. Le troisième
jour après l'accident, après avoir subi le transport sans
appareil, sur sa chaloupe d'abord et sur une charrette ensuite, où
il est cahoté en tous sens, il est remis entre nos mains. Nous
réduisons la fracture du fémur cassé vers le milieu
de sa longueur. Nous le plaçons d'abord dans un appareil de Scultet
et plus tard dans une gouttière métallique. Le 55°
jour, la fracture est consolidée. Aujourd'hui, le blessé
marche sans claudication notable. Il y a à peine 2 centimètres
de raccourcissement, malgré les mauvaises conditions du début,
l'indocilité et l'âge du malade.
Fractures
de la jambe : X..., 34 ans, Kerlar, met le pied entre deux rochers
en marchant. Il tombe et se casse la jambe, act tiers inférieur;
gonflement énorme, appareil de Scultet. Guérison sans
raccourcissement.
X...,
14 ans, Mené, tombe d'une échelle, fracture de la jambe.
Guérison.
X...,
42 ans, bourg, fracture de l'extrémité inférieure
du radius. Guérison sans impotence fonctionnelle.
X...,
(C4H6O2), 50 ans, même observation.
Fracture
de la clavicule : X..., journalier, bourg 45 ans, tombe sur l'épaule
et se fracture la clavicule. Nous lui appliquons le bandage classique
en lui défendant bien d'y toucher jusqu'à nouvel ordre.
Huit jours à peine après, le blessé enlève
son bandage et reprend son travail accoutumé. Nous ne fumes pas
peu surpris de le voir vaquer à ses occupations. Nous ne pûmes
le visiter que six semaines après l'accident. La fracture était
consolidée sans fausse articulation, mais les deux fragments
avaient chevauché l'un sur l'autre, et l'interne faisait une
saillie très anguleuse au?dessus de l'externe.
Fracture
de la clavicule et des 7 et 8 côtes gauches : X..., femme de 55
ans, du bourg, a été piétinée par un cheval,
ce n'est que quinze jours après que nous la voyons. Tout le côté
gauche du thorax, depuis l'épaule jusqu'à l'hypochondre,
est le siège d'une ecchymose en voie de disparition. Nous constatons
une fracture de la clavicule et des 7ème et 8ème côtes.
Tout récemment, il y a eu des vomissements sanglants, accompagnés
de douleurs très vives à l'épigastre et dans toute
la poitrine.
Traumatismes
des articulations.
Nous
ne ferons que mentionner les lésions de ce genre que la population
persiste à ne pas reconnaître comme étant de la
compétence du médecin nous avons pu voir seulement quelques
rares entorses tiblo?tarsiennes, mais pas une seule luxation articulaire
en deux années. Il est impossible de songer à lutter contre
un préjugé qui est profondément enraciné
et que l'instruction seule arrachera avec les autres en se répandant
parmi les femmes surtout.
Affections
chirurgicales diverses.
On voit
ici comme partout, mais sans fréquence insolite, des cas de varices,
presque exclusivement chez les femmes, en raison de la succession rapide
de leurs grossesses et des troubles circulatoires que celles?ci déterminent
dans les membres inférieurs, en comprimant les vaisseaux situés
dans le bassin; des abcès ganglionnaires, des otorrhées,
des abcès froids chez des enfants chétifs et mal venus,
quelques cas de déviation du rachis chez des enfants et des adultes,
suites de violences extérieures, des abcès du sein, des
engorgements laiteux, des excoriations et des fissures du mamelon, des
hémorroïdes, des hernies nombreuses dont quelques?unes,
non contenues par des bandages,ont des dimensions énormes. Il
nous souvient encore d'un cas de chute du rectum chez une petite fille,
d'une fistule à l'anus qui a été opérée
par le thermocautère et d'un cancroïde de la lèvre
inférieure chez un vieux fumeur de pipe. Mais tout cela ne constitue
pas une pathologie à part et ne mérite pas qu'on s'y arrête.
Quelques
plaies observées ont été remarquables, une entre
autres par sa cause et son siège. Il s'agissait d'un enfant épileptique
tombé pendant une de ses attaques du haut du Trou de l'Enfer
en bas (30 mètres environ) sans se tuer. Dans sa chute, il toucha
quelque aspérité de rocher et présenta une eschare
de la largeur de trois doigts environ, due à ce choc, et qui
siégeait en travers du triangle de Scarpa. Nous eûmes à
craindre que l'artère fémorale ne fût comprise dans
les tissus qui s'élimineraient, mais il n'en fut rien et la plaie
guérit sans encombre.
Coup
de couteau à la région thoracique : X.... Quéhello,
dans une rixe à bord, étant ivre, reçoit un coup
de couteau qui détermine une plaie d'une longueur de 4 centimètres
et qui siège sur la partie postérieure du thorax, dans
la fosse sous?épineuse. Il y a au moment même une hémorragie
abondante. Tous les tissus sont sectionnés jusqu'à l'os
que l'on sent très distinctement sous le stylet. L'arme a été
heureusement arrêtée par l'omoplate. Cette vaste plaie
que nous réunissons par deux points de suture guérit par
première intention.
Brûlure
du siège et du ventre : Enfant, 5 ans, Kermario, tombe à
la renverse assis dans une baille contenant de l'eau qu'on venait de
tirer toute bouillante du feu. Il en est presque immédiatement
retiré, et peu de temps après nous procédons au
pansement. Depuis les genoux jusqu'à l'épigastre tout
le corps est le siège d'une vaste brûlure. Les cuisses,
le périnée, les fesses, les organes génitaux, le
ventre sont couverts de vésicules remplies de sérosité.
Les parties lésées sont limitées par un cercle
violacé, noirâtre et rouge par endroits. Après quelques
accidents d'urémie, caractérisés par du délire,
après une suppuration abondante et très fétide,
l'élimination en certains endroits de quelques lambeaux de peau,
de la diarrhée qui fut très rebelle, de la fièvre
et des douleurs inouïes, l'enfant est aujourd'hui parfaitement
guéri, sans cicatrices difformes ni gênantes. La brûlure
avait été moins profonde qu'on aurait pu le croire tout
d'abord, mais son étendue seule la rendait extrêmement
dangereuse, par la suppuration excessive, par la suppression des fonctions
de la plus grande partie de la peau et surtout par la déperdition
nerveuse occasionnée par la douleur chez cet enfant.
Une
morsure faite par un chien au bras d'un enfant, juste au niveau de l'artère
humérale et au pli du coude, n'intéressa pas le vaisseau,
quoique très profonde, et suppura fort longtemps.
Maladies
des yeux.
Dans
l'année 1884, une épidémie de conjonctivite catarrhale
se déclara dans l'île et dura plus de 6 mois; mais l'affection
fut en général bénigne. Nous devons signaler d'une
façon toute particulière le très grand nombre de
ptérygions qui existe chez les Grésillons. Depuis que
notre attention a été attirée sur ce fait, nous
avons en effet remarqué que cette affection, plutôt gênante
que dangereuse, est extrêmement commune.
TROISIEME PARTIE
- CONSANGUINITÉ.
Il est
difficile de trouver une population au sein de laquelle on puisse mieux
constater les effets de la consanguinité. Les habitants de l'île
se marient presque toujours dans l'île et le plus souvent dans
leur village même; aussi peut?on dire qu'ils sont tous parents
plus ou moins et, par conséquent, consanguins, puisque ces deux
mots sont synonymes au sens médical. Si le très petit
nombre de noms de famille en est une preuve plausible, la statistique
des mariages le démontre d'une façon éclatante.
Nous avons voulu avoir des chiffres exacts à l'appui de notre
affirmation, et pour nous les procurer nous n'avons pas cru mieux faire
que de compulser, non pas les registres de l'état civil, qui,
à ce point de vue, ne donnent pas de renseignement précis,
mais ceux de l'église paroissiale (que M. le docteur Le Bayon
a eu l'obligeance de mettre à notre disposition), où le
degré de parenté est noté d'une façon minutieuse,
en raison des dispenses que cette parenté exige pour la célébration
du mariage religieux.
Or,
nous avons relevé, sur un total de 426 mariages en seize ans,
depuis 1867 jusqu'à 1883 inclus, 102 mariages entre cousins germains,
entre cousins issus de germains, ou bien entre individus nés
d'issus de germains et parents, par conséquent, au point de vue
de la loi ecclésiastique du 2 au 2, du 3 au 3, et du 4 au 4.
La dernière catégorie n'est guère plus nombreuse
que la deuxième, puisqu'elle est de 46 au lieu de 40, et est
la moins intéressante relativement à ses produits, puisque
l'on admet généralement qu'à ce degré de
parenté les effets de la consanguinité peuvent être
considérés comme nuls.
C'est
principalement dans la première catégorie, c'est-à?dire
dans les mariages entre cousins germains, que la consanguinité
exerce librement son action, et cette action, si elle existe, doit être
complexe, car la liste des maladies, infirmités ou imperfections
qui sont considérées comme pouvant être la conséquence
de l'union entre consanguins est longue, si longue même qu'on
a pu dire, sans être taxé d'exagération, qu'elle
comprend toute la pathologie chronique. On y voit figurer en premier
lieu la stérilité, soit des deux conjoints, soit de leurs
enfants si, par hasard, leur union a été féconde,
puis les avortements, les vices de conformation à tous les degrés,
depuis les monstruosités les plus graves jusqu'à l'addition
d'un doigt surnuméraire, ou la suppression d'un doigt, ou le
strabisme, ou le simple bégaiement, en y comprenant la surdi?mutité,
et avec cela les maladies nerveuses, depuis l'idiotisme jusqu'à
la simple obtusion de l'intelligence, en passant par l'épilepsie
et l'aliénation mentale, sans oublier la chorée ; enfin
la certitude pour les enfants de mourir plus jeunes, quelle que soit
d'ailleursla cause de leur mort. La consanguinité, en résumé,
est accusée d'exercer sur la procréation une influence
extrêmement fâcheuse.
Pour
nous, si nous en jugeons d'après ce que nous observons dans ce
milieu restreint où les cas de consanguinité sont très
communs, cette influence fâcheuse ne nous paraît nullement
démontrée. Sur 15 mariages entre cousins germains et 1
mariage entre oncle et nièce, 2 ont été stériles.
Mais pour l'un d'eux l'on pourrait invoquer comme cause de stérilité
la difficulté des rapprochements sexuels, le mari ayant une véritable
éventration herniaire. D'ailleurs cette proportion de 2 mariages
stériles sur 16 (1 pour 8) n'a rien d'excessif, puisque d'après
les statistiques de Spencer Wells et Simpson, il y a une femme stérile
sur 8. En outre, ces mariages, pas plus que ceux dont il est question
plus loin n'ont pas encore produit tous leurs effets, puisque les plus
anciens ne remontent qu'à l'année 1867, et que les plus
récents datent de 1883, et rien ne prouve que ces deux unions
stériles jusqu'à présent, ne seront pas fécondes
dans un temps plus ou moins éloigné. 5 d'entre eux n'ont
donné qu'un seul enfant, 4 en ont donné 2, 4 en ont donné
3, (en a fourni 4, et 1,5 enfants). Ce qui fait un total de 34 enfants
pour 16 unions entre cousins germains. Nous sommes loin de la stérilité
absolue et même relative. Un mariage entre oncle et nièce
a donné 4 enfants.
Sur
ce total de 34 enfants, un seul a présenté des troubles
de la mobilité des membres inférieurs, et une certaine
obtusion de l'intelligence; un autre, à sa naissance, était
porteur d'un doigt supplémentaire; mais son père, à
sa naissance, avait la même malformation, et ici c'est l'hérédité
et non la consanguinité qui en est cause. 6 de ces enfants sont
morts, mais d'affections étrangères à leur condition
d'origine, et aucun des autres ne présente ni bec-de-lièvre,
ni pied bot, ni surdi-mutité, ni cécité congénitale
ou acquise. Tous sont sains de corps et d'esprit.
Le temps
nous a manqué pour faire un recensement général
de tous les mariages entre cousins germains existant dans l'île,
et qui remontent à une date antérieure à 1867;
mais nous pourrions en citer quelques?uns qui ont donné jusqu'à
6 et 7 enfants, et si quelques?uns d'entre eux, au point de vue des
qualités physiques et morales des produits, ont laissé
à désirer, c'est que les conjoints ne jouissaient pas
eux?mêmes d'une constitution irréprochable, et ont transmis
par ce fait à leurs descendants les infirmités qu'ils
tenaient eux?mêmes de leurs ascendants.
Sur
ce chiffre de 40 mariages entre cousins issus de germains, nous trouvons
8 mariages inféconds jusqu'à présent. Cette proportion
est énorme; mais il faut remarquer que, sur ce nombre, il y a
2 femmes mal constituées, 2 autres mortes peu après leur
mariage, et un mari qui est parti au service peu de temps après
son entrée en ménage. 12 de ces unions ont donné
1?seul enfant; 7 en ont donné 2; 6, 3 enfants; 5, 4; 1, 5; et
1, 6. Aucun défaut de constitution, d'ailleurs, chez aucun d'eux.
Sur
un total de 46 mariages entre parents au degré immédiatement
inférieur, c'est-à-dire entre individus nés d'issus
de germains (consanguinité du 4 au 4 d'après la loi religieuse)
nous voyons encore qu'il y a eu 6 mariages sans enfants, sur lesquels
deux dissous prématurément par la mort de l'un des époux.
12 ont donné 4 enfants; 9 > 2 ; 5 > 3; 8 > 4 ; 2, >
5 ; 4 > 6. Parmi tous ceux-ci il n'existe à notre connaissance
aucun cas d'infirmité congénitale morale ou physique.
D'autre
part, en ce moment il y a dans l'île un idiot âgé
de 40 ans, un demi-crétin, une femme aveugle de naissance, six
épileptiques, un sourd?muet, un pied bot et aucun de ces infirmes,
à part le demi-crétin, n'est le produit de mariage entre
parents.
Devant
ces chiffres d'une exactitude scrupuleuse et si l'on s'en rapporte à
ce qui a lieu pour les races animales, que l'on améliore en alliant
à leurs parents les plus rapprochés les sujets que l'on
trouve doués de qualités particulières développées
à un haut degré, si l'on considère ce qui s'est
passé pour la race juive qui été forcée
pendant des siècles de se perpétuer par elle-même
et que ses alliances consanguines répétées n'ont
pas réussi à faire dégénérer, si
l'on tient compte en outre que la race grésillonne qui se trouve
dans des conditions identiques est restée saine, forte et vivace
et que l'absence de conception, le retard de la conception, les conceptions
imparfaites, les monstruosités, les imperfections morales et
physiques, etc., n'offrent parmi elle aucune fréquence spéciale
malgré le très grand nombre de mariages entre parents
rapprochés, nous conclurons, pour terminer, avec M. Gallard (1)
1er
Que les unions consanguines à quelque degré qu'elles soient
contractées n'ont aucune influence fâcheuse sur la santé
des enfants, si les époux sont parfaitement sains, si leur famille
ne présente aucun vice héréditaire apparent ou
caché et s'ils sont d'âge convenablement assortis, etc.
2ème
Que ces unions donnent au contraire des résultats fâcheux
pour peu que l'état sanitaire de la famille laisse à désirer,
et alors les résultats de l'union entre consanguins seraient
infiniment plus déplorables que ceux de l'union de deux étrangers,
alors même que chacun de ces derniers serait plus gravement affecté
du même principe morbide que les époux consanguins.
(1)
Art. : Consanguinité. Nouveau Dictionnaire de médecine
et de chirurgie.
Vu,
le président de la thèse, POTAIN. Vu,
bon et permis d'imprimer, Le vice-recteur de l'Académie de Paris,
GRÉARD.
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