Automne
57 av. jc. : le sénat romain ordonne 15 jours
de prières d'action de grâces pour remercier
les dieux des victoires de César sur les peuplades
gauloises. Le proconsul, à la tête de 3
légions, vient d'écraser les Nerviens qui
laissent, selon lui, 60 000 cadavres sur le champ de
bataille. Il a également obtenu la reddition des
Atuatuques, un temps alliés des Nerviens, qui lui
aurait fourni 53 000 esclaves.
Au
moment d'hiverner, la Gaule entière semble donc
à portée de main de Jules César et
on peut la croire pacifiée. Même les peuples
de l'Océan ont été
impressionnés par les victoires romaines
successives et ils jugent prudent d'offrir leur
soumission au légat de César, Publius
Grassus. César ne semble pas dupe de cette
soumission : même s'il est
considéré par beaucoup comme une "grande
folle" (ne l'a-t-on pas surnommé la "reine de
Bithynie", allusion à ses rapports très
spéciaux avec le roi Nicodème ?), en
matière militaire, il est particulièrement
vigilant à ce qui lui arrive par
derrière !
Au
printemps 56 donc, Jules César est de retour en
Gaule avec le projet ambitieux de déployer les
aigles romaines sur les côtes bretonnes (il s'agit,
bien sûr, de l'actuelle Grande Bretagne).
Ce
retour et cette envie maritime du proconsul ne font pas
du tout l'affaire des Vénètes
.
Les
cités des Vénètes armoricains
s'étendent sur la côte sud de l'Armorique
(le Morbihan actuel) (mais l'origine de ce peuple
semble plus lointaine : il est connu des Grecs et
Homère en parle dans l'Iliade (les
Hénuètes). On les retrouve en Adriatique,
en Baltique, sur les bords de la Vistule
Ceux
d'Adriatique sont alliés des Romains dès le
IIIème siècle a.c. et leurs fournissent des
auxiliaires au moment de la seconde Guerre Punique. C'est
sous le règne de Marc Aurèle (IIème
siècle a.c.) qu'ils s'installent sur les
îles de l'Adriatique : ainsi débute
l'histoire de Venise
)
Ils
occupent, à l'époque de la conquête
romaine, le territoire bordé au nord par l'Oust
(axe Pontivy - Redon), à l'ouest, par une ligne
reliant Pontivy à Quimperlé et à
l'Ouest par le cours de la Vilaine sur l'axe Redon - la
Roche Bernard. Il est possible que leur emprise ait
débordé au sud sur une partie de la Loire
Atlantique. Ainsi, l'ancien nom de Besné
(près de Guérande) était Vindunita
Insula et le chroniqueur Ermold le Noir (IXème
siècle) cite la localité de Véneda
sur le même secteur.
Ils
contrôlent les estuaires des principales
rivières armoricaines du sud (la Vilaine et le
Blavet en particulier) : il est donc le lieu de
passage obligé pour tout commerce depuis
l'intérieur vers les côtes atlantiques.
Groix et Belle-Ile semblent avoir été
également sous contrôle. Vannes (Darioritum,
puis Gwenned en Breton) est, à l'époque
gallo-romaine, la capitale du peuple vénète
mais il est possible qu'à l'origine ce soit
Locmariaquer qui ait joué ce rôle.
C'est
sans doute le peuple le plus puissant de toute la
Péninsule (qui regroupe les Osismes, les
Coriosolites, les Redones et les Namnètes). Cette
puissance est avant tout économique.
L'étude des monnaies vénètes nous
montre qu'ils furent les premiers, en Armorique, à
frapper des statères d'or dès la fin de
l'hégémonie arverne (défaite du roi
Bituit face aux légions romaines en 121 av.jc.).
Cette organisation économique supérieure
est liée à leur bonne connaissance de la
mer : navigateurs chevronnés, ils gardent la
mainmise sur tout le trafic maritime de la côte
océane et contrôlent, en particulier, les
routes vers la Bretagne. Ces liens avec la grande
île sont importants à double titre :
les échanges commerciaux sont nombreux et les
continentaux trouvent là-bas, entre autres, un
étain d'excellente qualité. D'autres part,
cette "île du bout du monde" reste le centre
religieux du druidisme, son poumon en quelque sorte. Or
il apparaît clairement que si l'unité
politique gauloise continentale est ponctuelle et
précaire, l'unité religieuse autour des
druides est un phénomène
avéré dont César lui-même a
saisi toute l'importance.
Peuple
de marins, de commerçants (ils vendent en
particulier le sel), les Vénètes exploitent
également les ressources de l'arrière
pays : les forêts fournissent le bois de
chêne dont sont construits leurs navires. Ils
travaillent également le fer et sont de
remarquables potiers.
Devant
les risques de perdre le monopole du commerce, ce peuple
refuse d'accepter l'alliance pesante de
César.
Les
besoins en ravitaillement des troupes de Grassus sont
l'occasion de l'arrivée en Armorique de
fourrageurs qui viennent prélever là ce qui
leur est nécessaire. Les Vénètes
trouvent là l'occasion de rappeler à
César qu'ils ne sont pas un peuple soumis et ils
retiennent les Romains dans le but de les échanger
avec les otages remis quelques mois plus tôt. C'est
du moins la version de César qui passe sous
silence son désir de s'assurer une certaine
suprématie maritime. La guerre était
inévitable et les Vénètes ne
semblent pas avoir agi seuls : les Coriosolites et
d'autres sont de la partie, la révolte gagnant
même certaines régions de l'actuelle
Normandie (le territoire des Esuvii par exemple,
situé aux environ de Sées
).
Jules
décrit ainsi les évènements (livre
3ème de Bellum Gallicum - La guerre des
gaules) :
...Ce
peuple (...Les vénètes) est le plus
puissant de toute cette côte maritime. Ils
possèdent un grand nombre de vaisseaux sur
lesquels ils commercent en Bretagne et surpassent leurs
voisins dans l'art de la navigation. Ils occupent
d'ailleurs sur cette mer vaste et orageuse, le
très petit nombre de ports qui s'y trouvent et
rendent tributaires presque tous les navigateurs
étrangers. Les premiers, ils retinrent Silius et
Velanius, espérant recouvrer, par ce moyen, les
otages qu'ils avaient livrés à Crassus. Les
résolutions des Gaulois sont promptes et
subites : les autres, entraînés par cet
exemple, arrêtèrent aussi Trebius et
Terrasidius... Ils encouragent les autres cités
à conserver la liberté qu'elles avaient
reçue de leur pères plutôt que de
supporter l'esclavage des Romains. Ces sentiments furent
bientôt partagés par toutes les
régions maritimes. Ils envoient une
délégation commune à P. Crassus pour
lui signifier qu'il n'aura ses officiers qu'en rendant
les otages.
...César
.. ordonne de construire des galères sur la Loire,
qui se jette dans l'Océan, de lever des rameurs
dans la Province, de rassembler des matelots et des
pilotes. Ces ordres furent promptement
exécutés. Lui-même, dès que la
saison le permet, se rend à l'armée. Les
Vénètes et leurs alliés se sentaient
coupables pour avoir retenu et jeté dans les fers
des ambassadeurs dont la qualité, chez toutes les
nations, fut toujours sacrée et inviolable.
Dès qu'ils connurent l'arrivée de
César, ils se hâtèrent de
proportionner les préparatifs au péril et
surtout d'équiper les vaisseaux : ils se
confiaient aussi à l'avantage des lieux. Les
chemins sur terre étaient coupés par les
marées hautes et la navigation difficile sur une
mer dont les ports étaient rares et peu connus.
Ils espéraient que le manque de vivres nous
empêcherait de faire chez eux un long séjour
et, lors même que leur attente serait
trompée, ils étaient toujours les plus
puissants sur mer. Les Romains n'avaient point de marine,
ils ignoraient les rades, les ports, les îles des
parages où ils feraient la guerre. La navigation
était tout autre sur une mer fermée que sur
le vaste et immense océan. Ces réflexions
les rassurent. Ils fortifient leurs places et
transportent le blé de la campagne dans les
villes. Ils rassemblent le plus de vaisseaux possible
chez les Vénètes contre lesquels ils
pensent que César se dirigera d'abord ... ils
demandent des secours à la Bretagne située
vis à vis de leurs côtes.
(César
)... donne au jeune D. Brutus le commandement de la
flotte et des vaisseaux gaulois qu'il avait exigés
des Pictons, des Santons et autres pays pacifiés
et lui dit de se rendre au plus tôt chez les
Vénètes. Il y marche lui-même avec
les troupes de terre.
...La
plupart des villes de cette côte sont
situées à l'extrémité de
langues de terre et sur des promontoires : elles
n'offrent d'accès ni aux gens de pied lorsque la
mer est haute (ce qui arrive constamment deux fois en
vingt quatre heures) ni aux vaisseaux que le reflux
laisse à sec sur le sable. On ne pouvait donc
aisément les assiéger. Si, après de
pénibles travaux, on parvenait à contenir
la mer par des digues et à élever une
terrasse jusqu'à la hauteur des murs, les
assiégés, lorsqu'ils
désespéraient de leur sort, rassemblaient
leurs nombreux vaisseaux, y transportaient tous leurs
biens et se retiraient dans d'autres villes voisines
où la nature leur offrait les mêmes moyens
de défense. Durant une grande partie de
l'été, cette manuvre leur fut
d'autant plus facile que notre flotte était
retenue par les vents contraires et pouvait à
peine naviguer sur une mer vaste, ouverte, sujette
à de hautes marées et presque
entièrement dépourvue de ports.
...Les
vaisseaux des ennemis étaient construits et
armés de manière à lutter contre ces
obstacles. Ils ont la carène plus plate que les
nôtres : aussi redoutent-ils moins les
bas-fonds et le reflux. Les proues sont très
hautes et les poupes plus propres à
résister aux vagues et aux tempêtes. Les
navires sont tout entier de chêne et peuvent
soutenir le choc le plus rude. Les bancs, faits de
poutres d'un pied d'épaisseur, sont
attachés par des clous en fer de la grosseur d'un
pouce. Les ancres sont retenues par des chaînes de
fer au lieu de cordage. Les voiles sont de peaux molles,
amincies, bien apprêtées, soit qu'ils
manquent de lin ou ne sachent pas l'employer, soit
plutôt qu'ils croient impossible de diriger avec
nos voiles des vaisseaux aussi pesants à travers
les tempêtes et les vents impétueux de
l'Océan. Dans l'action, notre seul avantage est de
les surpasser en agilité et en vitesse. Du reste,
ils sont bien plus en état de lutter contre les
mers orageuses et contre la violence des tempêtes.
Les nôtres, avec leurs éperons, ne pouvaient
entamer des masses aussi solides et la hauteur de leur
construction les mettait à l'abri des traits,
aussi craignent-ils moins les écueils. Si le vent
vient à s'élever, ils s'y abandonnent avec
moins de péril et ne redoutent ni la
tempête, ni les bas-fonds, ni, dans le reflux, les
pointes et les rochers : tous ces dangers
étaient à craindre pour nous.
César
...résolut d'attendre sa flotte. Dès
qu'elle parut et que l'ennemi la découvrit, deux
cent vingt de leurs vaisseaux environ, parfaitement
armés et équipés, sortirent du port
et vinrent se placer devant elle. Brutus, qui en
était le chef, et les tribuns et centurions qui
commandaient chaque vaisseau étaient
indécis sur ce qu'ils avaient à faire et
sur la manière d'engager le combat. Ils savaient
que l'éperon de nos galères était
impuissant, les tours de nos vaisseaux n'étaient
point assez hautes pour atteindre la poupe de ceux des
barbares, nos traits lancés d'en bas seraient sans
effet tandis que les Gaulois nous en accableraient. Une
seule invention fut d'un grand secours :
c'était une espèce de faux
extrêmement tranchante, emmanchée de longues
perches assez semblables à celle qu'on emploie
dans les sièges. Avec ces faux, on accrochait et
on tirait à soi les cordages qui attachent les
voiles aux vergues. On les rompait en faisant force de
rames et les vergues tombaient nécessairement. Les
vaisseaux gaulois, en perdant les voiles et les
agrès qui faisaient toute leur force,
étaient réduits à l'impuissance.
Alors le succès ne dépendait plus que du
courage et en cela, le soldat romain avait
aisément l'avantage, surtout dans une bataille
livrée sous les yeux de César et de toute
l'armée : aucune belle action ne pouvait
restée inconnue puisque l'armée occupait
toutes les collines et les hauteurs d'alentour
d'où la vue s'étendait sur la mer.
...Dès
qu'un vaisseau était ainsi privé de ses
voiles, deux ou trois des nôtres l'entouraient et
nos soldats sautaient à l'abordage. Les Barbares,
ayant perdu une partie de leurs navires et ne sachant que
faire contre cette manuvre, cherchèrent leur
salut dans la fuite. Déjà, ils se
disposaient à profiter des vents lorsque, tout
à coup, il survint un calme plat qui leur rendit
tout mouvement impossible. Cette circonstance
compléta la victoire : les nôtres les
attaquèrent et les prirent l'un après
l'autre. Un bien petit nombre put regagner la terre
à la faveur de la nuit. Le combat avait
duré depuis la quatrième heure du jour ( 10
h du matin ) jusqu'au coucher du soleil.