Histoire de la Compagnie des Indes
... et des Colonies d'orient

  

 

 

 

Sommaire

 

Prémices

Fondation de la Compagnie

1ère grande expédition vers
 Madagascar et
1ère assemblée générale

2ème expédition vers l'Inde

Fondation de Lorient

 

Projets du Roi 1668/1670
et 
la 1ère escadre aux Indes
         
         
 Opérations 1670/1675
et
Bilan de 1675
         
         
         1eres défaillances
         et
         Bilan de 1684

Réorganisation de la Compagnie en 1685

Armements de 1685/1689

Lorient en 1690

L'Affaire du Siam

Armements mixtes 1690/1697

La Compagnie pendant la guerre 1690/1697

Armements 1697/1701

Décadence 1701/1706

Captation de la Compagnie par les Malouins

Liste des bâtiments de la Compagnie

Un exemple de navire .......... "Le Boullongne"

Histoire des Iles mascareignes

Les escales françaises de la route des Indes

Antoine BOUCHER

Laurent BARIZY

 

 Depuis le 20 octobre 2001, vous êtes

à avoir visité ce site,

Merci de votre intérêt.

 


 

adhérent CGSB n° 1503

 

"Les escales françaises sur la route de l'inde 1638 / 1731"

par Paul Kaeppelin - 1908
 

CHAPITRE V - ILE DE FRANCE 1709-1731

Depuis la double tentative des aventuriers dieppois du Saint-Alexis en 1638 et en 1610, les Français s'étaient totalement désintéressés de l'île Maurice, devenue colonie hollandaise (les Hollandais, qui l'avaient abandonnée en 1658, s'y étaient réinstallés en 1664). Les documents du XVIIème siècle n'y font que de très rares allusions, car les vaisseaux de la Compagnie n'y touchaient point. La seule relâche remarquable est celle du bâtiment de guerre le Breton, envoyé par le gouvernement à l'escadre De la Haye, en un moment où les Français considéraient encore, officiellement au moins, les Hollandais comme des alliés: les officiers de ce vaisseau, se trouvant le 12 septembre 1671 en vue de Maurice et espérant y être bien reçus, décidèrent d'y faire escale pour embarquer des vivres et mettre à terre leurs scorbutiques ; on voit par leur journal de navigation qu'ils ignoraient les ports de cette île, car ils ne trouvèrent pas sans peine celui du S.- E. où le Breton entra le 13 septembre au soir ; ils furent accueillis avec méfiance par les Hollandais qui prétendaient que le mouillage n'était pas suffisant pour un bâtiment de cette taille (800 tx.) ; aussi, après avoir pris quelques vivres, ils repartirent dès le 15 septembre pour gagner Bourbon, non sans avoir remarqué, d'une part la valeur de l'île " la plus belle qui soit dans les Indes", et de l'autre la faiblesse des Hollandais qui n'y étaient alors que quarante-huit et n'avaient pas de fort digne de ce nom.

Les guerres qui remplirent toute la fin du XVIIe siècle écartèrent de Maurice les vaisseaux français qui, même dans les intervalles de paix, ne pouvaient plus compter sur un bon accueil des Hollandais; plusieurs passèrent en vue de cette île avant de toucher à Bourbon, mais ils ne s'y arrêtaient jamais (comme le Saint-Paul, le 29 août 1669 , Sieur du Bois, 1674, le Vautour, le 2 juillet 1676, journal du Vautour, par André Boureau-Deslandes). Il faut aller jusqu'en 1709 pour trouver une escale notable de navire français à Maurice et celle-ci est d'autant plus digne d'attention qu'elle eut lieu en temps de guerre : il est vrai qu'il s'agissait de navigateurs malouins, hardis et batailleurs. Le Curieux et le Diligent, partis de Brest en janvier 1708 et qui s'étaient emparé, en allant à Moka, d'un fort vaisseau hollandais, en prirent un autre au retour, près des Maldives, qu'ils menèrent à Maurice pour en débarquer l'équipage. Or la Compagnie hollandaise négligeait depuis longtemps cette possession, qu'elle était à la veille d'évacuer : il ne s'y trouvait déjà plus que 80 hommes ; aussi le Gouverneur, malgré la guerre, fit le meilleur accueil aux Malouins qui purent s'installer dans la baie de la Maison blanche (baie du Tombeau, la première au N. E. de Port-Louis), prendre eau et vivres, chasser, réparer leurs quatre vaisseaux et ne repartirent pour Bourbon et la France, qu'après un séjour de plus de deux mois (7 octobre-16 décembre 1709) La Roque, Voyage de l'Arabie heureuse, 1716, Relation du Sieur de la Merveille.

Cette remarquable escale ne put passer inaperçue du gouvernement royal ni de la Compagnie des Indes Orientales, d'autant moins qu'ils avaient reçu, peu auparavant, du Directeur Hébert des renseignements assez précis sur Maurice (lettre d'Hébert, 12 février 1709, apportée en France par le Saint-Louis le 17 décembre). Il signalait la faiblesse de la garnison hollandaise et le grand avantage qu'offrait l'île : " Au N. 0. de Maurice, il y a un beau port, dont je vous envoie ci-inclus le plan et où l'on peut tranquillement caréner un vaisseau.... Le Gouverneur de l'île Bourbon (De Villers, jusqu'en avril 1709) me dit que ce serait une entreprise à faire que de s'en rendre les maîtres et qu'avec 100 hommes l'on en viendrait à bout, qu'on enlèverait les habitants, qui y sont en petit nombre, que l'on vendrait les noirs et que. l'on y pourrait laisser des gens de Mascarain ; je lui ai rnarqué que je donnais assez dans son sens".

Mais cette proposition du Gouverneur de Villers et d'Hébert, la première faite d'une expédition contre Maurice, ne convenait nullement aux Directeurs, absorbés à ce moment par leur laborieuse liquidation financière : alors qu'ils répondent à tous les autres articles des lettres d'Hébert, on ne lit aucune note en marge de celui qu'il avait consacré à Maurice. Et, malgré la relâche qu'y avaient faite les vaisseaux malouins - et qui était connue en France - en mai 1710, cette indifférence persista ; la Compagnie était alors si évidemment impuissante à entreprendre la moindre expédition qu'on ne peut lui faire grief des prétextes misérables par lesquels elle cherchait à justifier son abstention : dans ses instructions du 3I octobre 1710 à Parat, arrêtées le 17 février 1711 par le.s autres Directeurs, de Foucherolles déclarait : " Pour l'île Maurice il n'y faut pas penser, car, quand les Hollandais l'abandonneraient et qu'on en prendrait possession, on n'en ferait rien puisqu'ils n'en peuvent rien faire. Sa situation, avec son port, n'est pas plus avantageuse que celle de l'île de Bourbon (Il voulait dire par là que, malgré son bon port, Maurice avait, comme escale, le même inconvénient que Bourbon, c'est-à-dire était trop loin de France sur la route de l'Inde) et, dans la suite, les Hollandais, par pure malice, en redemanderaient la propriété. "

Ce n'est donc certainement pas des Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales que vint l'initiative du projet d'occupation de l'île Maurice que les Hollandais, cette même année 1710, achevaient d'évacuer ; ce n'est pas non plus du gouvernement royal, mais de l'auteur inconnu d'un mémoire que, le 25 août 1713, Pontchartrain communiquait à de Torcy pour avoir son avis avant d'en parler au Roi (et retrouvé aux Archives des Affaires Étrangères). Il y était exposé que, depuis le départ des Hollandais, l'île était absolument déserte et deviendrait par conséquent légitime propriété de la première nation qui s'y établirait ; aussi n'y parlait-on point de conquête, mais d'une simple prise de possession, en profitant de la paix toute récente. (Traité d'Utrecht, avril 1713) : "On ne répétera pas ici combien cette île est nécessaire aux sujets du Roi, ni combien leur navigation dans les Indes Orientales est nécessaire à la religion glorieuse au Roi et utile au commerce de ses sujets, ni combien Mgr l'Amiral est intéressé dans cette navigation qui forme des officiers, des matelots et des hydrographes, pour la conservation desquelles la nation ne saurait avoir trop de colonies, manquant absolument de ports en propre dans tout l'Océan oriental, parce que ces faits sont trop connus. On se contentera seulement de dire que la France serait bien malheureuse si elle n'osait s'emparer d'un bien libre et abandonné parce qu'on penserait que les Anglais y auraient quelques vues, étant plutôt un soupçon qu'une certitude, cette île leur étant au fond inutile puisqu'ils ont celle de Sainte-Hélène en deçà du Cap de Bonne-Espérance. "

On doit s'en tenir à des conjectures sur l'origine de ce mémoire important : son auteur était certainement alors en France, pour connaître à cette date la conclusion de la paix ; peut être est-ce de Villers, l'ancien gouverneur de Bourbon qui avait précédemment proposé à Hébert d'enlever Maurice aux Hollandais, ou encore son ancien garde-magasin Boucher, revenu en France en même temps que lui et qui prendra plus tard une si grande part à l'occupation effective de l'île. Quoi qu'il en soit, il ressort nettement des lettres de Pontchartrain accompagnant ce mémoire que c'est par lui que le gouvernement royal, frappé des avantages qu'assurerait la possession de Maurice au commerce de la Compagnie, fut amené à l'idée de s'en emparer. (Pontchartrain à de Torcy, 25 août et 13 septembre 1713)

Une année entière s'écoula cependant avant qu'il se décidât à agir ; la question n'étant pourtant pas oubliée, comme on le voit par une lettre du Ministre aux Directeurs, du 27 juin 1714, relative à plusieurs îles inhabitées de l'Océan Indien que de Foucherolles proposait d'occuper (sans doute Maurice et Jean de Lisboa que ce Directeur s'obstinait à croire réelle; Pontchartrain aux Directeurs, 27 Juin 1714). Enfin les ordres furent donnés en octobre 1714 : le 31, Pontchartrain délivrait des instructions royales que le Sieur de la Boissière, capitaine de l'Auguste, vaisseau malouin en armement pour Moka, devait porter au Sieur Dufresne, commandant le Chasseur parti de Saint-Malo pour la même destination le 21 mars précédent : " Sa Majesté, ayant été informée que l'île Maurice est absolument déserte,... veut que vous en preniez possession en son nom si cette île n'est pas occupée par aucune puissance étrangère et que vous en dressiez un acte en bonne forme, que vous m'enverrez à votre retour. Vous donnerez à ce lieu le nom d'Ile de France et vous suivrez, pour cette prise de possession les instructions que la Compagnie des Indes Orientales doit vous faire remettre -21 novembre 1714. " Et, le même jour, Pontchartrain invitait les Directeurs à expédier ces instructions au capitaine malouin "afin de le mettre au courant de ce qu'il doit faire. Cependant si on avait pu laisser en cette île quelques familles avec les moyens de subsister et d'y former un établissement, on en retirerait par la suite beaucoup d'utilité ou du moins on saurait celle qu'on en peut espérer ". Dans leur réponse du 10 novembre, les Directeurs observaient "que le nom d'Ile de France que Mgr ordonne qu'on donne à cette île pourra faire confusion avec ce qu'on appelle ici Ile de France, qui est des grands gouvernements", à quoi le Ministre répliquait péremptoirement que cette confusion n'était pas possible (21 novembre 1714). Par cette même lettre du 10 novembre, les Directeurs se ralliaient au projet de colonisation de Maurice et, bien qu'attardés encore à une vieille erreur traditionnelle, ils exprimaient des idées intéressantes sur le futur rôle des Mascareignes : " Cette île, en temps de guerre, peut donner retraite à quatre frégates de 40 canons, avec lesquelles rien ne pourra entrer dans le détroit de la Sonde ni en sortir, ni passer au Cap Comorin et autour de Ceylan ; si on avait le malheur de rentrer en guerre par la suite, la nation se trouverait fort bien de cette nouvelle découverte. L'île de Bourbon peut peupler l'île Maurice et celle de Jean de Lisboa, et, par le progrès du temps, le Royaume aura dans l'Inde trois colonies qui tiendront en respect ce vaste Océan Oriental." Ils annonçaient aussi au Ministre qu'ils envoyaient à Saint-Malo leurs instructions au capitaine de l'Auguste, avec un procès-verbal de prise de possession ; mais ces pièces n'y parvinrent qu'après le départ du vaisseau (Pontchartrain à Lempereur, 28 novembre 1714), ce qui explique que l'acte effectivement rédigé ne fut pas celui préparé par les Directeurs (Guet, dans Les origines de l'île Bourbon, en conclut faussement que la Compagnie des Indes Orientales ne fut pour rien dans la prise de possession de l'Ile de France, qu'il croit avoir été décidée uniquement entre Pontchartrain et les capitaines malouins)

L'ordre de faire de Maurice une terre française fut donc un acte du gouvernement de Louis XIV, mais seulement rendu après délibération et avec le concours des Directeurs de la Compagnie des Indes Orientales. Rien n'est plus inexact que de représenter celle-ci comme demeurée étrangère à la conception et à l'organisation de l'entreprise. Seulement ses agents, et cela est assez naturel, considéraient Maurice comme une simple escale plutôt que comme une terre à coloniser : il y avait tant à faire sous ce dernier rapport à Bourbon et les Hollandais avaient obtenu à Maurice si peu de résultats. Par exemple ; quand Pontchartrain recommande à du Livier, alors Gouverneur de Pondichéry, de favoriser la prise de possession dont sont chargés les vaisseaux malouins (Pontchartrain à du Livier, 9 janvier 1715), il lui répond qu'il ne faut pas espérer développer dans l'île la culture du café ou du poivre, à cause des dégâts commis par les singes et les chiens qui ont déterminé l'exode des Hollandais, et que le seul avantage à en attendre est la commodité de ses deux bons ports, du S. E. et du N. O., où les plus grands vaisseaux peuvent hiverner et caréner et où il est facile de faire du bois et de l'eau. D'ailleurs du Livier ne parlait que par ouï-dire et était singulièrement mal renseigné : ainsi il prétend préciser la situation de l'île Jean de Lisboa, à 120 lieues au Sud de Bourbon, affirme-t-il, et il ajoute que la rade y est bonne et la tortue abondante (Du Livier à Pontchartrain; 10 février 1716).

Beaucoup mieux informés étaient les rapports que Parat gouverneur de Bourbon, alors convaincu de l'insuffisance des ports de cette île, adressait au Ministre Pontchartrain pour recommander à la Compagnie l'acquisition de Maurice. Déjà en décembre 1712, il lui avait annoncé le départ des Hollandais ; dans ses mémoires de 1714, il insistait surtout sur les avantages du mouillage : " Cette île conviendrait fort à la Compagnie des Indes y ayant deux beaux ports qui mettent les navires à l'abri de tout vent ; la terre y est fort bonne, le terrain est plus plat que l'île de Bourbon , si les Hollandais ne se sont pas réservés quelques droits sur cette île, la Compagnie ne pourrait jamais mieux faire que de s'en emparer et d'y passer une partie des habitants de l'île de Bourbon qui commencent à être en grand nombre et qui ont de la peine à vivre" (mémoire à Pontchartrain, du 19 septembre 1714 - D'après Parat, la population de Bourbon s'élevait alors à 643 personnes ; sans compter les esclaves.). Et, dans son second mémoire, il revenait à l'idée d'établir à Maurice l'entrepôt du commerce des Indes : une fois en possession de l'île, la Compagnie " y pourrait faire des magasins y ayant des ports fort commodes et y avoir des vaisseaux qui iraient aux Indes charger des marchandises pour ceux qui viendraient de France, dont le voyage se pourrait faire en moins d'un an". (Etat présent de l'Ile de Bourbon, 1714. Mémoire de Parat à Pontchartrain).

Ces conseils étaient tardifs puisqu'à ce moment les ordres étaient déjà donnés par le gouvernement royal pour assurer la prise de possession de Maurice : les capitaines malouins les exécutèrent ponctuellement. L'Auguste avait rejoint le Chasseur à Moka, en juin 1715 ; pendant que de la Boissière, commandant du premier de ces deux vaisseaux, transportait à Bourbon en septembre des plants de caféier, ce qui entraîna immédiatement la découverte de cette plante à l'état sauvage dans l'île même, Guillaume Dufresne, capitaine du second, se rendit au port N. 0. de Maurice en septembre 1715 ; il trouva, mouillé au port de la Maison blanche, un petit bâtiment français de 60 tx., le Succès, sur lequel de Grangemont, agent commercial d'armateurs particuliers aux Indes, revenait en France ; parti de Chandernagor fin février 1715, il était arrivé à Maurice le 7 mai (Du Livier à Pontchartrain, 10 février 1716.). Dufresne apprit de lui que l'île était totalement inhabitée, et, après avoir fait tirer le canon et attendu plusieurs jours pour vérifier cet abandon, il prit possession de Maurice le 20 septembre 1715 et lui donna, suivant les ordres ministériels, le nom d'Ile de France. Mais, probablement parce que l'Auguste n'avait pu emporter, à son départ de France, les instructions des Directeurs de la Compagnie, Dufresne négligea de faire ce qu'ils avaient recommandé, à savoir de transporter quelques habitants de Bourbon à Maurice pour maintenir la prise de possession, en sorte que l'Ile de France, après le départ du Chasseur, ne resta française qu'en droit .

Cependant elle ne pouvait plus être oubliée désormais, d'autant moins que Parat s'était embarqué sur l'Auguste en novembre 1715 pour porter en France la nouvelle de la découverte du café indigène à Bourbon. Il avait rédigé pour les Directeurs de la Compagnie un mémoire fort précis sur l'IIe de France, surtout au point de vue hydrographique : après avoir indiqué, avec exactitude, sa position et ses dimensions, il passait tout de suite aux deux ports. " L'un est exposé au S. E. à l'entrée duquel il y a une islette fort commode pour y poser une batterie qui en défendrait l'entrée (Ile de la Passe, à l'entrée du chenal sud) ; mais à côté de ce port du Sud il y a un récif qui a une fort grande étendue, ce qui serait fort dangereux si on voulait y entrer de nuit. Le port y est fort commode, pouvant amarrer les vaisseaux à terre. L'autre est situé au N. O. ; belle entrée, point de rochers aux environs, aussi commode que le premier en meilleur, n'étant point exposé au vent, pouvant sortir en tel temps que l'on veut, ce que l'on ne pourrait faire dans l'autre, étant exposé à la brise qui règne ordinairement pendant le jour dans le pays. A côté du port N. O. il y a une rivière où de moyens vaisseaux peuvent entrer (la Grande Rivière immédiatement à l'O. de Port-Louis ); l'eau de cette rivière est excellente et c'est de cette eau que prennent les vaisseaux qui y vont relâcher." On voit que Parat avait été bien renseigné par les officiers malouins : il appréciait sainement les avantages des deux ports et la supériorité de celui du N. O. sur celui du S. E., moins accessible à cause des récifs et constamment battu par l'alizé. Il ajoutait que l'île présentait de belles plaines, comme il n'y en avait pas à Bourbon, que la culture du café y réussirait aussi bien et concluait, comme dans ses mémoires de 1714 : " Cette île est fort commode pour y faire un entrepôt des Indes, et les vaisseaux qui partiraient de France à la fin de mars pourrait faire leur voyage en moins de dix mois" (Mémoire concernant l'Ile Maurice, 1715 ou 1716).

Bien que la Compagnie des Indes Orientales fût alors incapable de rien faire d'important par elle-même, elle ne négligea nullement les avis de Parat : à ce rnoment en effet, les Directeurs voulaient agir aux Mascareignes où ils espéraient réaliser, par la culture du café, d'importants bénéfices ; aussi dans un mémoire adressé en 1716 au Conseil de Marine, ils insinuent qu'il serait nécessaire d'envoyer à Maurice 200 hommes de garnison pour s'en assurer la propriété , et dans un autre, du 11 décembre, ils exposent nettement leurs prétentions : la Compagnie demande "que l'île Maurice dont elle a fait prendre possession le 20 septembre 1715 (ce qui était inexact, c'est le gouvernement royal qui avait fait prendre possession de Maurice, en son propre nom, par les capitaines malouins) soit nommée île d'Orléans et unie à son domaine suivant l'Édit de son établissement (de 1664), que ces deux îles ne fassent qu'un gouvernement ". Et les Directeurs exprimaient leur intention d'envoyer l'année suivante un petit bâtiment à Bourbon pour porter des colons à Maurice et leur espoir d'y établir, grâce ses ports, un actif entrepôt commercial. Au début de 1718 ils expédièrent en effet le Courrier de Bourbon dans l'île du même nom, dont le nouveau gouverneur, Beauvoillier de Courchant, proposa à plusieurs familles de passer à l'Ile de France, mais elles s'y refusèrent. Celle-ci resta donc encore inhabitée. (A. d Épinay. Renseignements pour servir à l'histoire de l'Ile de France jusqu'à l'année 1810, Analyse des lettres de Desforges-Boucher et de Beauvoillier de Courchant, 28 octobre 1719).

Cette inaction de la métropole, où disparaissait à ce moment la Compagnie des Indes Orientales, fžnit par lasser les habitants mêmes de Bourbon où Beauvoillier de Courchant et surtout Desforges Boucher déployaient alors une grande activité pour répandre la culture du café et construire des routes (1719-1720) ; de violents ouragans survenus en 1720 et 1721 firent encore sentir le grand avantage qu'il y aurait à posséder des ports sûrs, alors que plusieurs passages de pirates anglais à l'Ile de France (juin 1720, février 1721) pouvaient faire craindre que la prise de possession de 1715 ne restât illusoire 4. Aussi Beauvoillier de Courchant et Desforges-Boucher firent arrêter par le Conseil provincial de Bourbon, le 10 octobre 1721, la décision suivante : "L'Ile de France, ci-devant île Maurice, étant de la dernière conséquence pour la conservation de l'île Bourbon et ne voyant pas venir le bâtiment de la Compagnie qu'on attend depuis longtemps pour l'habiter, dans la crainte que quelque nation étrangère ne nous prévienne et ne s'en empare . . ., le Conseil a jugé absolument nécessaire de faire incessamment construire aux frais de la Compagnie une barque de 24 à 25 tx. pour porter sur ladite Ile de France 12 ou 15 habitants, un aumônier et un chirurgien aux appointements de la Compagnie, comme aussi de nommer M. Duronguët, major de l'île Bourbon, pour gouverner celle de France, en attendant que la Compagnie y envoie une colonie". (cité par Hermann)

Cette initiative coïncida avec les premières manifestations d'activité de la nouvelle Compagnie des Indes : les premiers vaisseaux qu'elle avait armés au début de 1720 pour Pondichéry avaient ordre, à leur retour, de relâcher à l'Ile de France, où les Directeurs, dans leur dépêche du 24 février, annonçaient leur intention d'expédier en mars suivant deux bâtiments avec des troupes et des colons (Les Directeurs généraux de la Compagnie des Indes au Conseil de Pondichéry, 24 février 1720). Ce projet cependant ne fut pas exécuté en 1720, ce qui. s'explique assez par les embarras où la débâcle du système de Law jetait alors la Compagnie ; elle se contenta de charger le capitaine d'un vaisseau armé à Saint-Malo pour Moka, le Triton de renouveler, lors de son retour, la prise de possession de 1715. Ce bâtiment parvint à Maurice en septembre 1721 et son capitaine, Dufougeray Garnier, érigea sur l'île aux Tonneliers, à l'entrée du port N. O., une croix avec fleur de lis et inscription latine, puis, sur l'île même, un grand pavillon blanc et un poteau où était gravé, également en latin, la formule de prise de possession (23 septembre 1721). Dix jours après, le Triton repartait pour Bourbon, où étaient enregistrés par le greffe de Saint-Paul les procès-verbaux des actes accomplis à l'Ile de France, puis appareillait le 15 novembre pour la France où il arrivait en avril 1723. ( Procès-verbal touchant l'Ile de France et l'île aux Tonneliers, du 23 septembre 1721, pour la prise de possession de ladite île).

Cette seconde prise de possession n'affaiblissait en rien les raisons qui avaient décidé le Conseil de Bourbon, le 18 octobre précédent, à envoyer quelques habitants à l'Ile de France : la construction de la barque fut donc continuée. Puis, comme le Courrier de Bourbon revint sur ces entrefaites, le 26 novembre, c'est par ce petit bâtiment que Beauvoillier de Courchant et Desforges-Boucher firent passer à l'Ile de France, avec 6 habitants, Duronguët le Toullec, nommé gouverneur provisoire (décembre 1721) : ce furent les premiers colons français de l'île (lettres de Desforges-Boucher et Beauvoillier de Courchant, 22 décembre 1721).

Ils ne précédèrent que de quelques mois le personnel envoyé de France : la Compagnie des Indes s'était en effet résolue, cette même année 1721, à effectuer ce qu'elle avait dû négliger l'année précédente, c'est-à-dire l'occupation réelle de l'Ile de France. Au début de 1721, elle choisit pour cette entreprise l'ancien ingénieur de Pondichéry, de Nyon, dont les services avaient été fort appréciés à son retour de l'Inde (le Conseil de Marine à de Nyon, 29 juillet 1716), et lui fit délivrer le 2 avril des provisions de Gouverneur et Ingénieur en chef de l'Ile-de-France (Le Conseil de Marine à de Nyon, 11 avril 1721). En les lui expédiant, le Conseil de Marine se déclarait " persuadé que vous ferez tout ce qui dépendra de vous pour remplir les vues que la Compagnie a d'y former un port et de mettre cet établissement en valeur ", et il ajoutait la recommandation de l'informer de tout ce qu'il ferait et de lui envoyer cartes et plans. On voit que, dans les préoccupations de la Compagnie et du gouvernement au moment de s'installer effectivement à l'Ile de France, c'était la question du port qui passait en première ligne (Dans les premières lettres que les Directeurs écrivirent à de Nyon, le 3 avril 1722, ils disaient : "Nous espérons que le premier soin de M. de Nyon en arrivant aura été de mettre les ports en sûreté ", et ils demandaient des informations sur les fortifications faites et à faire). Peu après un autre ordre royal nommait un lieutenant du Roi à l'Ile de France, le Sieur Duval de Hautville; ce même poste était confié, pour Bourbon, à Desforges-Boucher (1er juin 1721).

Deux bâtiments expédiés aux Indes emmenèrent le personnel destiné à l'Ile de France, quelques ouvriers et employés, plus une compagnie de 210 Suisses, officiers et soldats : l'Atalante et la Diane mirent à la voile de Port-Louis, le 29 juin 1721 (Lettre des Directeurs aux agents de Bourbon, 31 mai 1721).

Elles n'arrivèrent à Bourbon qu'en avril 1722. De Nvon, qui avait hâte de savoir ce qu'était devenu Duronguët, passa immédiatement à l'Ile de France, et trouva le major au port du S. E. Duronguët lui remit le commandement et lui communiqua les connaissances qu'il avait acquises sur l'île, qu'il avait traversée et contournée, notamment sur le port du N. O. dont il signalait les avantages. Après avoir pris possession de son gouvernement et fait chanter un Te Deum, de Nyon établit tout son personnel dans ce port du N. O. sous les ordres du lieutenant de Hautville et repassa aussitôt à Bourbon avec Duronguët, pour y chercher des approvisionnements et des esclaves (Procès-verbal d'Installation du chevalier de Nyon, premier Gouverneur, publié par Magon de Saint-Elier&emdash; Lettre de Beauvoillier de Courchant, 10 mars 1722).

Les débuts de cette installation des Français à l'Ile de France ne furent pas sans difficultés ; ils nous sont surtout connus par la correspondance du Gouverneur avec son lieutenant. De Hautville, laissé au port du N.O. qu'on appelait déjà Port-Louis, était fort embarrassé par le manque de vivres et la mauvaise volonté des soldats suisses qui refusaient de travailler à la construction d'un magasin commencé par de Nyon.

Celui-ci quitta Bourbon le 3 juin avec 6 créoles et 30 noirs aux gages de la Compagnie et arrivait le 13 au port du S.E. " Cet endroit est le plus beau qu'on puisse voir, écrivait-il le même jour à de Hautville, le port en est excellent et infiniment au-dessus du votre " ; aussi lui ordonnait-il d'envoyer par terre trente hommes sous l'aide-major d'Hauterive pour occuper ce poste qu'il nommait Port-Bourbon, lui-même devant incessamment retourner à Bourbon. Ce détachement arrivé, de Nyon fit immédiatement commencer des bâtiments, des magasins de vivres, une batterie ; il envoya du biscuit au port du N O, où l'on souffrait toujours de, la disette ; il voulait repartir au plus tôt pour Bourbon, après avoir touché à Port-Louis, mais des vents contraires l'empêchèrent plusieurs jours de sortir du port : il expérimentait ainsi lui-même l'inconvénient majeur du poste qu'il avait choisi comme future capitale. Il arriva à Saint-Denis le 21 juillet 1722. (De Nyon à de Hautville, 13 juin, 1er et 3 juillet 1722 ; De Hautville à de Nyon, 12 et 20 juin, 9 juillet. C'est pendant ce second séjour à l'Ile de France que de Nyon releva la carte générale des côtes et les plans détaillés des deux ports, avec indication précise cles profondeurs et de la route à suivre pour y entrer ; sur cette carte, datée du 15 juillet 1722 et signée de Nyon ajoutait cles projets de forts pour chacun des deux ports, l'un à Port-Louis sur l'emplacement des magasins élevés par les Hollandais, l'autre plus important, régulier et pourvu de quatre bastions à Port-Bourbon, sur les ruines du fortin hollandais).

Il y resta quatre mois et demi, occupé de fortifications et de relèvements cartographiques (Carte de Bourbon, avec plans des rades de Saint-Denis et de Saint-Paul et projets de forts et batteries pour chacune d'elles, signée et datée du 15 septembre 1723. C'est pendant ce troisième séjour de De Nyon à Bourbon que mourut à Saint-Paul, le 29 juillet 1722, du Livier, l'ancien Gouverneur de Pondichéry envoyé par la nouvelle Compagnie sur les mêmes bâtiments que de Nyon en 1723, en qualité de Commissaire général de tous ses comptoirs. Ordre du Roi, 2 avril 1721) ; mais il envoya, à plusieurs reprises, la barque enfin achevée, la Ressource, porter des vivres, du matériel, des plants aux deux établissements de l'Ile de France où de Hautville avait toujours fort à faire pour réprimer l'indiscipline des Suisses (en août 1722, le capitaine Witz dut être suspendu de ses fonctions par le Conseil provincial de Bourbon et renvoyé en France, pour insultes graves envers de Hautville). En août et septembre : arrivèrent de France la Vierge de Grâce, le Saint-Albin et le Rubis, armés pour les Indes, qui devaient déposer dans les deux îles des approvisionnements et 20 soldats ; de Nyon, qui trouvait ce secours insuffisant, réclamait à la Compagnie des vivres, des munitions et des hommes ; et, comme le manque de main-d'œuvre menaçait à chaque instant de famine le personnel de l'Ile de France, d'accord avec Beauvoillier de Courchant et Desforges-Boucher, il envoya le Rubis à Madagascar chercher des esclaves et du riz ; puis, avec une dizaine d'ouvriers arrivés par les vaisseaux, il passa à Port-Bourbon, sur le Saint-Albin, le 4 décembre 1722. Quatre jours après y arriva le Rubis, qui n'avait fait à Madagascar qu'une traite peu considérable et n'amenait que 27 noirs adultes, 18 garçons et 20 femmes ; presque aussitôt d'ailleurs, 15 hommes et 4 garçons " se rendirent marrons ". (De Nyon à de Hautville, 4 novembre, 4 et 18 décembre 1722).

Il n'entre pas dans le cadre de ce travail de dépasser la période d'installation des Français dans l'Ile de France, où ils trouvent enfin l'escale si longtemps cherchée sur la route de l'Inde. Au début de 1723 les établissements de la Compagnie s'organisent aux deux points qui sont restés les capitales de Maurice. Le principal est alors à Port-Bourbon, où commande le plus souvent de Nyon, où il commence le Fort-Royal et d'où il envoie à l'autre poste une partie des approvisionnements qu'il reçoit de Bourbon et de Madagascar par la Ressource. (De Nyon continuait activement son travail de relèvement cartographique de l'Ile de France : sa carte du 15 septembre 1723 n'est que la reproduction plus soignée de celle de juillet 1722. Celle du 25 novembre 1725 porte non seulement sur les côtes, mais aussi sur l'intérieur de l'île, dont les officiers français avaient sommairement reconnu le relief et les rivières dans leurs courses à la poursuite des noirs marrons ; les plans particuliers de Port-Bourbon et de Port-Louis indiquent les travaux déjà effectués au Fort-Royal et à la Batterie royale). Mais la difficulté de faire vivre la colonie, sans cesse renaissante par suite de la rareté de la main-d'œuvre, lassa peu à peu de Nyon qui en mars 1723 est déjà tout à fait découragé ; en septembre 1724 il se déclare malade et n'attend qu'une occasion de rentrer en France (lettre à de Maurepas, 22 septembre 1724) : il partit en 1725.

Dans l'autre établissement français, Port-Louis, placé sous le commandement de De Hautville, les premiers colons ne vivaient d'abord que des secours venus de Port-Bourbon ou de Bourbon même ; mais, dès janvier 1723, ils commençaient à défricher les environs ; de Nyon y entreprenait la construction de fortifications dites Batterie royale ; et c'est là que, par la force des choses, allait se placer la principale escale. Le 10 février 1723 de Nyon avouait que le Rubis et le Saint-Albin ne pouvaient sortir de Port-Bourbon, faute de vent de terre, et ces deux bâtiments n'arrivaient que le 18 et le 20 mars à Port-Louis, où le Gouverneur les envoyait se caréner, ce qu'ils firent en avril. (lettres de De Nyon, janvier, 10 et 18 février, 5 mars, etc.., lettre de De Hautville, 27 mars, etc…)

Au total, ces débuts de la colonisation furent très pénibles ; jusqu'à la fin du gouvernement de De Nyon, l'Ile de France ne fut qu'une escale où les navires français pouvaient s'abriter et se réparer, mais non se ravitailler ; la population était presque uniquement composée du personnel de la Compagnie, comme le montre le premier recensement, du 18 octobre 1725:

Officiers et employés	20
Troupes 		       100
Ouvriers			28
Domestiques		    5
Femmes 		       13
Enfants 			13
Noirs de la Compagnie       24
Noirs de divers particuliers  10
                   			   213	

Lenoir déclarait encore en septembre 1726 qu'il n'y avait à l'Ile de France que les employés et les soldats de la Compagnie.

Et cependant, malgré le manque de ressources, l'Ile de France devenait déjà l'escale principale des vaisseaux sur la route de l'Inde. Sa supériorité sur Bourbon fut démontrée d'une façon éclatante en 1723 : deux navires revenant des Indes, l'Atalante et le Bourbon, avaient relâché en mars à Saint-Paul ; mais ils furent surpris en rade par un violent ouragan et fortement avariés ; il fallut des efforts prodigieux pour calfater tant bien que mal le Bourbon, en pleine rade de Saint-Paul ; pendant ce temps, le Triton avait fait escale à l'Ile de France.

En 1724, la Compagnie avait ordonné aux cinq vaisseaux qu'elle expédiait dans l'Inde de rassembler à l'Ile de France ; deux mouillèrent à Port-Bourbon, la Vierge de Grâce le 17 juillet et le Duc de Chartres le 21 août, mais ce dernier n'en put sortir, faute de vent de terre, pendant cinq semaines ; aussi son capitaine, Desboisclairs, commandant général de tout l'armement, en envoyant à de Maurepas des plans détaillés des deux ports signalait le danger de donner ainsi rendez-vous à toute une escadre dans l'Ile de France qu'elle courait risque d'affamer si elle y était ainsi retenue par des vents contraires. L'inconvénient du port S.E. apparaissait de plus en plus évident : c'est à Port-Louis que les deux vaisseaux allèrent réparer leurs voies d'eau, en décembre (De Nyon à de Maurepas, 22 septembre et 4 décembre 1724. - Desboisclairs au même, 15 novembre). La flottille de Desboisclairs mouilla sans nul doute à l'Ile de France, lors de son retour de l'Inde; Dioré, gouverneur intermédiaire de Bourbon, depuis la mort de Desforges-Boucher (novembre 1725) jusqu'à l'arrivée de Dumas, écrivait par ces mêmes navires au Ministre qu'il fallait s'attacher à l'établissement de l'Ile de France " très nécessaire par rapport à ses ports " et où l'on trouvait des terrains propres à la culture (27 décembre 1725).

Cependant, malgré une expérience plusieurs fois répétée, l'hésitation persistait sur le choix du meilleur mouillage de l'IIe de France : en avril 1723, en réponse aux mémoires de De Nyon, la Compagnie approuvait l'idée de fortifier les deux ports; mais en septembre 1724, évidemment influencée par les plaintes du Gouverneur, elle y renonçait et n'ordonnait qu'une batterie dans l'île aux Tonneliers 4. Lenoir, nommé en septembre 1725 commandant supérieur des établissements français des Indes et chargé par la Compagnie de faire une enquête sur les Mascareignes, notamment sur la culture. au café à Bourbon, parvint sur le Jason au port S. E. le 20 mai 1726 ; il se rendit immédiatement à Port-Louis, mais son vaisseau dut attendre huit jours un vent favorable pour sortir du port et ne le rejoignit que le 8, juin ; il s'y embarqua aussitôt pour arriver le 8 à Bourbon.

Malgré ce séjour si court à l'Ile de France, Lenoir prétendit indiquer la solution de la question du meilleur port : dans le grand mémoire qu'il termina le 28 septembre 1726 à Pondichéry sur les Mascareignes, il déclarait qu'il fallait absolument conserver l'Ile de France, et placer le principal établissement au port du S. E. ; la difficulté de l'entrée ne devait pas être un obstacle : les marins de la Compagnie finiraient par la connaître et, pour cela, il lui suffirait d'y entretenir un pilote avec une bonne chaloupe ; il convenait pourtant que ce port, fort commode pour les vaisseaux venant de France, devait être évité par ceux partant des Indes en janvier ou février : ils pourraient y être retenus par des vents contraires et perdre la saison de doubler le Cap ; aussi devaient-ils relâcher à Port-Louis. Il avouait encore que les officiers de marine préféraient ce dernier, par la facilité d'y entrer et d'en sortir, que le ravitaillement s'y faisait par la chasse plus aisément qu'en l'autre établissement, en attendant que l'île fût peuplée et cultivée ; son seul argument contre Port-Louis, c'était le mauvais emplacement choisi par De Nyon pour ses fortifications que dominaient des hauteurs. Et il concluait : " Je suppose, Messieurs, que vous garderez l'Ile de France à cause de ses ports et que la terre étant cultivée produira de quoi fournir la subsistance à ses habitants et des rafraîchissements aux vaisseaux ", ajoutant que, si l'on voulait tirer quelque utilité de cette colonie, il fallait avant tout la peupler (mémoire de Lenoir, Pondichéry, 28 septembre 1726).

Momentanément convaincue par ce rapport, la Compagnie donna ordre, en décembre 1727, de travailler aux fortifications du port S. E. Mais, déjà les conclusions de Lenoir étaient discutées : Le capitaine Desboisclairs, en 1727, se prononçait contre son opinion sur l'emplacement du fort de Port-Louis, qu'on ne pouvait mieux choisir, et assurait que le ravitaillement y était beaucoup plus aisé que partout ailleurs ; pourtant et contrairement à Lenoir, il recommandait le port du S. E. pour les vaisseaux revenant de l'Inde; mais il le déclarait surtout commode pour ceux qui devaient hiverner, reconnaissant par là qu'on courrait risque d'y être retenus par des vents contraires. Cependant un projet dressé en avril 1729 par le capitaine Jonchée de la Goletrie pour indiquer aux Directeurs les fonctions à créer à l'Ile de France, proposait encore d'installer le Capitaine de port à la marine de Port-Bourbon, et seulement un Lieutenant de port à celle de Port-Louis (Jonchée de la Goletrie, capitaine du Mars, avait relâché à Port-Bourbon en revenant de Pondichéry, du 11 au 21 novembre 1728, puis avait embarqué à Port-Louis des passagers pour Bourbon, d'où il était reparti le 7 décembre pour la France).

Enfin ces hésitations cessèrent sur les avis de Maupin ; commandant particulier de l'Ile de France sous les ordres de Dumas, Gouverneur général des Mascareignes; sans doute de Maupin se montra plus tard très mal disposé à l'égard des habitants de la colonie et très porté à lui dénier ses avantages les plus évidents, même comme relâche (lettre du 18 mars 1732 où il déclare que l'Ile de France ne peut servir ni pour habitation, ni pour ancune idée d'entrepôt), alors qu'il établit lui-même dans ses rapports que les vaisseaux de la Compagnie fréquentaient régulièrement les deux ports ; c'est cependant lui qui le premier fît reconnaître en France le grand inconvénient de Port-Bourbon, à savoir la difficulté d'en sortir contre le vent et par suite le risque d'y être longtemps retenu. Les Directeurs le proclamaient dans leur dépêche du 22 septembre 1731 : ils avouaient leur erreur d'avoir cru jusque-là à la supériorité du port du S. E., où les retards des vaisseaux exposaient la Compagnie à de grandes pertes ; ils déclaraient qu'ils fixaient désormais leur relâche à celui du N. O. , d'accès si facile, et leur interdisaient de toucher à Port-Bourbon ; en même temps, ils nommaient un ingénieur en chef à l'Ile de France, De Cossigny, avec ordre de s'appliquer surtout aux fortifications de Port-Louis où ils avaient l'intention, affirmaient-ils, de réunir toutes leurs forces (lettre du 22 novembre 1731). C'est donc à de Maupin et non à de la Bourdonnais, arrivé à l'Ile de France en juin 1735 qu'il faut attribuer ce choix définitif du port principal et de la capitale de l'Ile de France.

CONCLUSION

Au total le gouvernement royal et la Compagnie des Indes Orientales ne portèrent jamais à cette question, pourtant essentielle, des relâches sur la route de l'Inde qu'une attention intermittente et peu durable. Seul, Colbert l'avait envisagée avec suite et clairvoyance : quand il prétendit introduire, par une Compagnie à monopole, le commerce français dans les Indes, il comprit la nécessité de lui ménager des escales dans une aussi longue navigation et chercha successivement plusieurs solutions de ce problème à Madagascar et, après l'échec de la colonisation de cette île, dans le Sud de l'Afrique; là il commença réellement une tentative d'établissement français dans les baies voisines de celles du cap de Bonne-Espérance, puis il songea à ce poste hollandais lui-même dont il convoitait la conquête. C'est seulement le double désastre de l'escadre de la Haye aux Indes et de la colonie française de Fort-Dauphin qui, joint à la guerre européenne, ruina ses entreprises et ses espérances.

La seule autre occasion où le gouvernement royal déploya quelque activité à propos de cette question des escales fut, longtemps après Colbert, en 1714, la décision des derniers Ministres de Louis XIV, J. Ponchartrain et de Torcy, de prendre possession de l'île Maurice abandonnée par les Hollandais; et encore l'occupation n'en fut-elle effectuée que huit ans plus tard.

Entre ces deux dates de 1611 et de l714, le gouvernement royal et la Compagnie des Indes Orientales ne manifestèrent guère qu'indifférence à ce sujet. Pour celle-ci les raisons étaient l'insuffisance de ses ressources, ses embarras de toute nature, les interruptions si fréquentes de son commerce, son empressement à profiter, dès que la paix le permettait, de la relâche du Cap, si commode pour la navigation ordinaire par le canal de Mozambique, la plus pratiquée. Pour les successeurs de Colbert, c'était faute de comprendre la condition primordiale du succès. Seule, comme ce grand Ministre l'avait vu dès l'abord, la possession de bonnes escales sur la route de l'Inde pouvait assurer à la Compagnie un commerce régulier en temps de paix et permettre aux Français une action offensive et heureuse en temps de guerre. Ils ne semblèrent pas s'en soucier : la seule tentative faite pendant cette longue période fut l'essai de colonisation de Bourbon, ordonné en 1689 par Seignelay, dont l'échec, d'ailleurs tout relatif, fit abandonner pour longtemps toute idée de ce genre.

Et cependant les suggestions ne manquèrent pas aux Ministres du Roi ou aux Directeurs de la Compagnie, soit pacifiques comme celle de De la Haye d'établir à Bourbon un centre de ravitaillement et des ports à Madagascar ou comme les nombreux projets de ports artificiels à créer à Bourbon présentés a partir de 1687, soit belliqueuses comme la proposition traditionnelle, renouvelée au commencement de chaque guerre, d'attaque du cap de Bonne-Espérance. Ni les unes, ni les autres n'attirèrent l'attention du gouvernement royal, absorbé presque uniquement, depuis la mort de Colbert, dans ses entreprises continentales.

Et cette indifférence fut de grande conséquence. D'abord pour Bourbon : si les Directeurs se désintéressèrent longtemps de cette île, c'est qu'ils n'y trouvaient pas l'escale pratique et sûre que les navires allaient chercher, dès qu'ils le pouvaient, au cap de Bonne-Espérance ; ce fut la raison essentielle de l'extrême lenteur de la colonisation de Bourbon, seule terre que les Français possédaient sur la route des Indes. Et pourtant elle pouvait rendre, même comme relâche, de grands services, et elle en rendit en effet quand la nécessité ou la guerre forcèrent les vaisseaux de la Compagnie ou du Roi a y toucher ; les Directeurs, toujours prompts à rappeler le naufrage du Saint-Jean-Baptiste en 1689, ne semblèrent jamais s'apercevoir qu'il fut le seul sinistre maritime qui survint à Bourbon pendant la longue période de temps dont nous nous sommes occupé et que, par conséquent, à condition de régler méthodiquement leur navigation par la grande route, ils y auraient pu trouver de grandes commodités.

Si le manque de ports naturels entrava longtemps la colonisation de Bourbon, c'est au contraire parce que l'île Maurice en possédait qu'elle attira l'attention du gouvernement royal et devint effectivement, en 1722, après de longues hésitations, I'Ile de France. Alors seulement les Français acquirent sur la route de l'Inde une bonne escale dont le rôle, tant pour le commerce que pour la guerre, devait être considérable au XVIIIème siècle.

Cet avantage, la Compagnie des Indes Orientales fondée par Colbert ne le posséda jamais : il n'est pas douteux que le défaut de port de relâche n'ait été une des causes et non des moins graves de l'impossibilité où elle fut toujours, pendant ses cinquante-cinq années d'existence, d'établir un commerce régulier avec l'Inde et d'échapper aux conséquences désastreuses des guerres de Louis XIV.

 

 haut de page

suite

retour

Site réalisé par P. Leplat et Enguerrand

 dernière mise à jour

11 mai 2002

 Pout tout contact, vous pouvez nous joindre à pat.leplat@wanadoo.fr ou enguerrand.gourong@free.fr