Histoire de la Compagnie des Indes
... et des Colonies d'orient

  

 

 

 

Sommaire

 

Prémices

Fondation de la Compagnie

1ère grande expédition vers
 Madagascar et
1ère assemblée générale

2ème expédition vers l'Inde

Fondation de Lorient

Projets du Roi 1668/1670
et 
la 1ère escadre aux Indes
         
         
 Opérations 1670/1675
et
Bilan de 1675
         
         
         1eres défaillances
         et
         Bilan de 1684
         

Réorganisation de la Compagnie en 1685

Armements de 1685/1689

Lorient en 1690

L'Affaire du Siam

Armements mixtes 1690/1697

La Compagnie pendant la guerre 1690/1697

Armements 1697/1701

Décadence 1701/1706

Captation de la Compagnie par les Malouins

Liste des bâtiments de la Compagnie

Un exemple de navire .......... "Le Boullongne"

Histoire des Iles mascareignes

Les escales françaises de la route des Indes

Antoine BOUCHER

 

 

 

   

 

 

 

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Réorganisation de la Compagnie en 1685

 

Après l'arrêt du Conseil d'Etat du 18 novembre 1684, le nouveau fonds exigé devait être fourni au caissier de la Compagnie dans le délai d'un mois, délai qu'on reporta ensuite jusqu'au 10 janvier 1685.

Ceux des intéressés qui avaient conservé leurs droits aux termes de la déclaration royale du 13 septembre 1675, c'est-à-dire qui avaient versé avant le 1er janvier 1677 les trois tiers de leur engagement ou au moins 8.000 L., représentaient un capital de 3,35 millions de L. Ce capital, supposé réduit au quart de sa valeur, n'était plus que 838.000 L. C'est cette même somme que les intéressés étaient invités à fournir pour conserver leurs droits.

Or, après le 10 janvier 1685, il n'était rentré que 109.500 L. versés par 88 actionnaires, qui devenaient ainsi intéressés pour la somme du quart restant de leurs anciennes actions et du quart en sus qu'ils avaient apporté. Ce fonds, joint aux effets que possédait la Compagnie, était tout à fait insuffisant pour lui permettre de continuer ses opérations, d'autant plus qu'il fallait rembourser aux intéressés démissionnaires la somme de 729.000 L. constituant le quart restant de leurs actions.

Alors intervint une nouvelle déclaration du Roi en février 1685 pour la réorganisation de la Compagnie. Par cette déclaration, les nouveaux actionnaires ne pouvaient prendre de parts inférieures à 30.000 L.; ils étaient de plus astreints, pour le remboursement des actionnaires déchus, à fournir des sommes proportionnelles au capital qu'ils auraient souscrit.

L'obligation pour les nouveaux actionnaires de prendre des parts d'au moins 30.000 L. avait pour effet, et sans doute pour objet, de mettre la Compagnie entre les mains d'un petit nombre de personnes dont la fortune était assez importante pour leur permettre d'engager d'aussi grosses sommes. Il y avait là une garantie pour l'avenir dans le cas où les nouveaux fonds deviendraient nécessaires ; aucun d'eux n'abandonnerait volontiers un gros capital engagé, et leurs ressources rendraient possibles de nouveaux sacrifices.

Une autre disposition concourait au même but. Comme il était prescrit de choisir douze nouveaux directeurs parmi les actionnaires de Paris ayant fourni au moins 30.000 L., les nouveaux engagés allaient ainsi se trouver les maîtres de la direction Ces directeurs étaient d'ailleurs choisis par le Roi et non pas élus par les intéressés, comme leurs prédécesseurs.

Les anciens directeurs étaient naturellement supprimés ; on supprimait aussi les chambres particulières de province (Lyon, Bordeaux, Nantes et Rouen).

La Compagnie de 1664, lancée à grand renfort de réclame, montée avec les fonds de nombreux actionnaires pris dans tous les ordres, ayant des succursales dans plusieurs des principales villes du royaume, avait ouvert les voies, payé les frais d'apprentissage, crée un personnel subalterne expérimenté, mais tous ces résultats n'avaient pas enrichit les actionnaires et elle avait perdu toute popularité.

La nouvelle Compagnie allait recueillir les résultats acquis. Devenue pour ainsi dire la propriété d'un petit nombre de riches actionnaires, que l'importance de leurs parts désignait pour les fonctions de directeurs généraux, au détriment des 88 actionnaires anciens que la modicité de leur apport écartait de la direction, elle était centralisée à Paris, ayant un port d'armement tout créé à Lorient, deux comptoirs bien assis et des commis bien dressés aux Indes. Avec l'appui d'un roi que, depuis la paix de Nimègue, on nommait Louis le Grand, elle prenait la succession de son aînée sous les meilleurs auspices. Les premières années fournirent de sérieux dividendes et furent pleines de promesses pour l'avenir. La Compagnie semblait réellement marcher sur la voie de la prospérité lorsque éclata la guerre de la ligue d'Augsbourg, qui devait tout changer.

Cette nouvelle Compagnie de 1685 conservait les mêmes privilèges que la Compagnie de 1664, ses droits s'étendaient encore aux Indes, à la Chine, au Japon et à la mer du Sud; elle restait propriétaire exclusive de son privilège, n'admettait plus sur ses vaisseaux de cargaisons étrangères, mais devait aussi construire ses vaisseaux n'en plus affréter (ce qui ne fut d'ailleurs pas rigoureusement exécuté).

On lui proposait même de reprendre Madagascar, sans autre redevance que l'hommage lige au Roi, avec une couronne et un sceptre d'or du poids de 100 marcs à chaque changement de règne. Sur la question de Madagascar, par exemple, la nouvelle Compagnie ne voulut rien entendre, elle savait trop bien ce que l'ancienne compagnie y avait perdu. Elle supplia le Roi de la décharger de cette colonie, et l'île Dauphine fut définitivement réunie au domaine de la Couronne par un arrêt du 4 juin 1686.

Un arrêt du Conseil d'Etat du 21 février 1685 installa les nouveaux directeurs qui satisfaisaient aux conditions requises. Dans la liste de ces nouveaux directeurs, on trouvera plusieurs noms déjà connus; ce sont ceux d'un certain nombre de directeurs de l'ancienne Compagnie qui s'étaient conformés aux nouvelles décisions. Tous avaient souscrit pour des parts d'au moins 30.000 L. et s'engageaient, en outre, à fournir le remboursement des actionnaires déchus.

L'avance de remboursement que chacun de ces directeurs avait à verser en deux ans, et sans intérêts, à partir du 1er mars, était proportionnelle à l'importance de leurs actions; elle montait pour chacun d'eux aux chiffres suivants:

De Frémont

Morel de Boistiroux

Soullet

De Vitry la Ville

Pocquelin

De l'Isle (nouveau)

Desvieux (nouveau) .

Parent (nouveau

Ceberet du Boulay (nouveau)

Le Brun

Tardif

Total de la soumission....

88.250

17.500

138.666

120.000

46.666

58.000

55.000

60.000

50.141

48.250

46.000

728.975

Ces directeurs, qui recevaient un traitement annuel de 3.000 L. à titre de droits de présence et assistance aux séances de la Compagnie établirent leur bureau dans la rue Pavée (partie de la rue Tiquetonne actuelle comprise entre la rue Montorgueil et la rue Dussoubs), paroisse de Saint-Sauveur.

Afin de faciliter la besogne, les travaux du bureau furent divisés en trois départements auxquels furent préposés un certain nombre de directeurs:

- le premier département comprenait la partie juridique et administrative;

- le deuxième, les finances, la tenue des livres ;

- le troisième, la manutention des marchandises, les armements.

À peine installée, la Compagnie eut à faire face aux réclamations d'un certain nombre d'employés de l'ancienne compagnie, qui, dans des circonstances difficiles, avaient eu aux Indes à payer non seulement de leur personne, mais aussi de leur bourse. Les indemnités qu'ils réclamaient n'avaient pas figuré au bilan de 1684. Le commis persan Marcara, qui, victime de Caron, avait été emprisonné ; le sieur de Guilhem, commis à Bantam, pillé par les Hollandais ; la famille de Champmargou mort à Madagascar, et un certain nombre d'actionnaires firent valoir des droits, Leurs réclamations furent examinées par une commission royale et réglées selon l'avis de cette commission.

MÉCANISME COMMERCIAL ET FINANCIER DE LA NOUVELLE COMPAGNIE

Dès que la Compagnie eut repris ses opérations aux Indes avec une nouvelle activité et des moyens plus puissants, elle trouva En France un débit assuré et très fructueux pour les étoffes qu'elle rapportait des Indes.

Les tissus payaient un droit d'entrée en France, et afin de protéger la Compagnie et d'écarter les fraudes, ils ne pouvaient pénétrer que par un certain nombre de villes où étaient installés les bureaux des fermes destinés à percevoir les droits.

Les toiles de coton imprimées, les toiles blanches et autres ouvrages de coton avaient le plus de succès. Ces marchandises ne pouvaient pénétrer en France que par Rouen, le Havre, Dieppe, Calais, la Rochelle, Nantes, Bordeaux, Bayonne, Lyon, Septêmes et Narbonne. Elles payaient:

- deux écus par pièce de dix aunes de toile de coton;

- quatre livres par livre pesant de couvertures, chemisettes, cravates et autres ouvrages de coton.

Quant aux étoffes de soie des Indes, elles payaient selon leur richesse :

- les étoffes de soie riches à fleurs d'or et d'argent : 20 L. par aune;

- Les petites étoffes barrées, mêlées d'or et d'argent : 8 L.

- Le taffetas satin pur : 2 L., 10 sols.

- Les étoffes de soie et écorce d'arbre : 1 livre, 10 sols.

- L'écorce d'arbre pure : 1 livre.

Obligation également d'entrer par les villes frontières que nous avons nommées, avec, en plus, Dunkerque, Besançon, Metz et Luxembourg.

Ce régime ne devait pas durer, du moins pour certains tissus de coton. À peine confirmé par un arrêt royal du mois de mai 1686, il était abrogé à la fin de la même année. En effet, l'importation en France des toiles de coton peintes ou blanches faisait une redoutable concurrence aux manufactures françaises, qui se plaignaient vivement.

Un arrêt du Conseil d'Etat du 26 octobre, considérant que l'importation des toiles peintes des Indes avait tiré de grosses sommes d'argent hors du royaume et atteint le commerce des manufactures en France, en interdisait l'entrée ou l'imitation en France et accordait seulement jusqu'au 31 décembre 1687 pour l'écoulement du stock déjà introduit.

Toutefois, ces mesures trop absolues devant porter un fort préjudice à la Compagnie qui attendait, dans un laps de temps encore incertain, le retour de navires chargés de cette marchandise, un nouvel arrangement, du 27 janvier 1687, intervint, qui laissa plus de latitude à la Compagnie. Celle-ci s'engageait, en retour, à favoriser l'écoulement des produits français dans ses comptoirs.

D'un côté, la Compagnie s'interdisait dans la suite l'importation des toiles de coton peintes des Indes et des toiles blanches destinées à être peintes en France ; elle s'engageait à faire passer chaque année aux Indes pour 500.000 L. de tissus français.

En compensation, elle obtenait le droit d'introduire en France, chaque année, pour 150.000 L. d'étoffes de soie pure ou brochées. Pour l'écoulement de son stock de toiles de coton ou de celles que rapporteraient les navires expédiés en 1685 et 1686, il lui était accordé jusqu'au 31 décembre 1688.

À partir de cette date, les fabriques installées en France pour peindre les toiles blanches des Indes seraient fermées et leurs moules brisés ; la vente des toiles imprimées serait prohibée; celles qui resteraient entre les mains des marchands particuliers seraient reprises par la Compagnie au prix coûtant, et reportées hors du royaume.

Ce règlement donna lieu dans la suite à un certain nombre de décisions destinées à en assurer l'exécution. Les marchands durent déclarer les toiles blanches ou peintes qu'ils possédaient, ceux de Paris au sieur de La Reynie, lieutenant de police, ceux de province aux intendants et commissaires préposés, et ces toiles furent marquées.

Après le 31 décembre 1688, le dernier délai étant écoulé, de nouveaux arrêts rappelèrent à l'exécution des règlements, et même, en 1691 un arrêt du 10 février confirmait la prohibition, avec sanction de confiscation des toiles introduites et d'amende de 3.000 L. Cependant, à cette époque, un vaisseau de la Compagnie arrivait à Brest les Jeux, de 250 tx, parti de Surate le 17 mars 1690, arrivé au Camaret le 6 février 1691, après avoir hiverné à l'Ile Bourbon avec des toiles de coton blanches ; quelques jours après, le 24 février, le Conseil d'Etat autorisait, par exception, la vente de ces toiles, qui devaient être marquées et vendues à Nantes, en payant les droits.

 

Ce fut la dernière concession ; le 13 mars 1691, un arrêt ordonnait de brûler les toiles peintes qui pourraient se trouver sur deux vaisseaux de la Compagnie, le Louray, de 250 tx, parti de Pondichéry le 22 février 1690, arrivé à Brest le 1er mars 1691, et le Saint-Nicolas, de 150 tx, parti de Pondichéry en 1690, arrivé à Roscoff le 5 mars 1691. Ces deux navires avaient, dans leur retour, relâché au Brésil et à la Martinique.

Les étoffes de soie ou d'or et d'argent, etc…, pouvaient seules être vendues à Nantes, après avoir été marquées et avoir payé les droits.

La Compagnie essaya bien souvent d'obtenir quelque relâchement sur cette prohibition, mais le gouvernement se montra constamment protectionniste. Le 22 janvier 1695, le Roi avait bien, par exception, permis à la Compagnie de rapporter sur ses navires pour 150.000 L. de toiles peintes, pendant 3 années mais seulement pour les vendre à l'étranger, et lorsque des prises faites sur l'ennemi apportèrent en France des toiles peintes, il fut toujours prescrit de les faire sortir du royaume. Toute toile indienne peinte trouvée chez un particulier était immédiatement saisie et le délinquant mis à l'amende. Le 12 mars 1700, le portier du bureau de la Compagnie était "jeté à la porte avec femme et enfants", bien qu'il fût bon sujet, parce qu'on trouvait chez lui dix pièces et demie de toiles peintes, et sur le libellé signé des directeurs qui relate ce fait, on voit écrit au crayon : "à la Bastille, M. d'Argenson l'interoge (sic)"

Les autres marchandises importées étaient les épices, le poivre surtout, les drogues, des matières colorantes, des parfums ; la cire, la laque, la myrrbe, l'indigo, le musc, l'aloès, la gomme-gutte, le bois de santal, des cannes, des rotins, etc… de la terre rouge d'Ormis, le salpêtre du Bengale, le thé, le café, etc...

Généralement, les navires effectuaient leur retour en juillet ou août, à Lorient, d'où les marchandises étaient transportées par des caboteurs au Havre, et de là à Rouen, où avait lieu une vente en septembre ou octobre. Un bureau temporaire de vente y était installé, et un ou plusieurs des directeurs de la chambre de Paris étaient détachés dans cette ville pour présider à la vente.

Selon l'importance des arrivages ou le retard des navires attendus, il y avait quelquefois deux ventes dans l'année : une en juin, l'autre en octobre.

Après la déclaration de guerre de 1688, les marchandises furent vendues à Nantes pour éviter la traversée dangereuse de la Manche, et la Compagnie finit par acquérir dans cette ville un poste définitif. Le 9 avril 1693, le directeur Soullet signait, au nom de la Compagnie, un contrat d'acquisition d'un magasin situé au bas de la Fosse de Nantes, au lieudit Chézine, paroisse de Chantenay, pour la somme de 12.000 L. La Compagnie entra en possession de ce magasin le lundi 13 décembre 1694. La vente des marchandises importées dans l'année produisait un bénéfice d'un peu plus de 100 % sur le prix coûtant aux Indes ; les fonds qui en résultaient devaient être employés à payer l'armement de l'année suivante, les frais d'entretien du personnel et du matériel et les intérêts maritimes revenant aux actionnaires.

L.'armement d'exportation était constitué autant que possible avec des vaisseaux de la Compagnie, ou, à défaut, avec des vaisseaux donnés à fret par le Roi ou même par des particuliers. On y chargeait pour 500.000 L. de tissus des fabriques françaises, surtout des draps du Languedoc, et quelques autres marchandises, comme des canons, du fer, des ancres, de la poudre, des caisses de corail, etc…, ainsi qu'une importante cargaison de matières d'argent en barres de Cadix ou en réaux d'Espagne.

Budget d'armement de la Compagnie en 1688 :

" Actuellement la Compagnie, sur le pied qu'elle est présentement, emploie pour son commerce d'une année :

	En marchandises de France envoyées aux Indes . 500.000 L.
	En victuailles et appointements des sujets du Roy 400.000 L.
	En matières d'argent tirées d'Espagne		 800.000 L.

1.700.000 L. "

Les navires quittaient Lorient à la fin de février ou en mars, faisaient aiguade à l'Ile Santiago (iles du Cap Vert), doublaient le cap de Bonne-Espérance, et, s'engageant dans le canal de Mozambique, allaient se rafraîchir à l'une des iles Comores, l'île Moaly ou l'île Anjouan, puis gagnaient Surate ou Pondichéry, où ils arrivaient en juillet ou août. Un peu plus tard, les iles Comores étant devenues un repaire de pirates, les navires prirent ce qu'on appelait la grande route des Indes, et passant à l'est de Madagascar, ils relâchaient à l'île Bourbon.

Les navires ayant abordé aux comptoirs, les directeurs et les commis en tiraient les marchandises de France et les matières d'argent pour payer les cargaisons qu'ils avaient préparées. Ces cargaisons de marchandises des Indes étaient chargées sur les navires qui repartaient en janvier ou février. L'expédition durait ainsi 17 à 18 mois.

La Compagnie restait en communication avec ses comptoirs et leur adressait des lettres par plusieurs voies :

- par ses vaisseaux, ceux des compagnies de Hollande et d'Angleterre en temps de paix ou les navires danois, portugais allant aux Indes;

- par les religieux qui se portaient en Orient par terre ou par mer;

- par la voie du Levant. Les lettres étaient adressées à Alep au consul français et de là elles passaient par les caravanes: soit au supérieur des Capucins de Bagdad puis à Bassora aux Carmes déchaussés et de là à Surate au moyen des navires qui s'y portaient à travers le golfe Persique; soit à Ispahan, au supérieur des Capucins ou au représentant de la Compagnie qui les faisait parvenir à Surate par le Bandarabassi, comptoir établi à l'entrée du golfe Persique.

- par l'Egypte: Alexandrie, le Caire (consul français), la mer Rouge, etc.

Les comptoirs des Indes communiquaient entre eux par les navires de la Compagnie ou des marchands indiens ou bien par la voie de terre au moyen de courriers indigènes appelés pattemars.

Indépendamment de ce transit de France en Inde et retour, il existait un commerce d'Inde en Inde entretenu par les directeurs de Surate et de Pondichéry pour rassembler dans leurs comptoirs les matières destinées à constituer les cargaisons.

Tel était le fonctionnement idéal du commerce de la Compagnie, mais il s'en faut de beaucoup qu'il fût toujours aussi régulier. Sans compter les accidents communs inhérents au commerce maritime, surtout à cette époque, la Compagnie se voyait parfois engagée malgré elle dans des entreprises désastreuses, comme la colonisation de Madagascar, et bientôt l'entreprise au Siam. Enfin, l'état de guerre dans lequel on allait entrer à la fin de 1688 devait l'amener à modifier notablement la nature de ses armements et apporter le plus grand trouble dans ses opérations commerciales. Le seul objectif de la Compagnie était le commerce des Indes, mais elle avait à compter avec la volonté du Roi, qui avait ses desseins. Les opérations de la Compagnie de 1664 avaient été influencées par l'autorité de Louis XIV, qui avait imposé la colonisation de Madagascar; lorsqu'un nouveau courant d'influences porta les vues du Roi sur le royaume de Siam, la Compagnie fut encore entraînée à faire de nouveaux sacrifices qui servaient bien plutôt les desseins politiques du Roi que les propres intérêts de la Compagnie.

Bien des fois, la Compagnie avait donné passage sur ses navires aux missionnaires et aux évêques qui allaient dans l'Extrême-Orient, et dès 1679, le comptoir de Surate avait fourni aux missionnaires un appui matériel en envoyant des vaisseaux au Siam.

Louis XIV, apportant plus d'ampleur à ces relations, avait d'abord envoyé au roi de Siam, en 1685, une première ambassade qui avait fait son retour en France. Il se proposait de faire une expédition plus importante en mars 1687, et la Compagnie fut invitée à prendre part à cette manifestation.

Le 10 février 1687, le marquis de Seignelay faisait savoir à la Compagnie que le Roi avait choisi les sieurs de La Loubère et Céberet pour ses envoyés extraordinaires vers le roi de Siam.

Céberet (1) était envoyé non seulement au Siam, mais aussi vers les rois et les princes des lndes, et, comme il était l'un des directeurs de la chambre générale de la Compagnie, celle-ci avait à payer la moitié des appointements des deux envoyés, appointements que le Roi avait fixés pour chacun d'eux à 1.000 L. par mois durant le voyage. De plus, le Roi donnant sur son trésor 12.000 L. au sieur de La Loubère pour ses frais d'équipage, le sieur Bonnevie, caissier de la Compagnie, fut invité à allouer pareille somme à Céberet. Le Roi stipulait en outre que si Céberet venait à succomber au cours du voyage, sa femme jouirait des droits de présence de 3.000 L. par an attribués aux directeurs, aussi longtemps qu'elle laisserait dans le fonds capital de la Compagnie, la part pour laquelle il y était intéressé.

Ces conditions acceptées, la Compagnie donna, le 6 février, à M. Céberet, député de Siam, pouvoir " d'agir et négocier en son nom avec les dits Rois, Princes et Etats des Indes et autres qu'il appartiendra, de toutes les affaires qui concerneront les Intérêts de la Compagnie, de donner tous les ordres qu'il jugera à propos à tous les chefs de ses comptoirs et habitations, à tous capitaines et officiers de ses navires et autres généralement quelconques auxquels la Compagnie ordonne d'obeir, et à tous ces commis et employés aux dites Indes, de recevoir les ordres du dit sieur Ceberet, et les pourra révoquer s'il le trouve nécessaire, en mettre d'autres à leur place, et faire généralement tout ce qui sera jugé par lui à propos pour le bien et utilité de la Compagnie, promettant d'agréer, ratifier et approuver tout ce qui aura été fait par lui, géré et négocié ".

Lorsque l'expédition fut rentrée en France, le Roi, à la recommandation de Seignelay, décida de payer entièrement les frais de voyage du sieur de La Loubère, et la moitié des appointements de Céberet, ainsi que les débours extraordinaires que ce dernier avait pu faire. La Compagnie, de son côté, paya à Céberet 9.500 L., représentant, l'autre moitié de ses appointements sur le pied de 19 mois, et y ajoutait 4,500 L. de gratification, sans compter ce qu'il avait pu recevoir à titre de fret pour les diamants apportés des Indes sur le vaisseau l'Oiseau, qu'il montait.

(1) Claude Ceberet, fils d'André Ceberet commissaire général de la marine, appartenait à une famille qui donna quatre sujets à la marine: un dans le service militaire et trois dans le service administratif. Né le 16 août 1647 il était en 1669, à vingt deux ans, à la Martinique où il fut établi notaire à Port Royal (Fort de France) pour La Compagnie des Indes Occidentales Peu de temps après son retour de l'ambassade du siam, il fut nommé commissaire général de la marine au département du Port-Louis. Nommé intendant à Dunkerque le 1" janvier 1696, il y mourut le 16 septembre 1702.

On était alors dans la seconde moitié de l'année 1688, et, comme on le voit, la Compagnie payait assez largement ; sa situation à cette époque était relativement prospère, et surtout elle avait, depuis sa réorganisation, encaissé des fonds importants par l'entrée de nouveaux actionnaires.

D'après la nouvelle organisation de la Compagnie, tous les intéressés, directeurs et actionnaires, devaient toucher annuellement un dividende de 10 % de leurs actions, à titre d'intérêt maritime; en outre, on examinerait chaque année si les profits permettaient de faire une répartition supplémentaire.

Les intérêts maritimes des 3 premières années, 1685, 1686, 1687, furent alloués régulièrement et même, le 19 août 1687, dans une des séances du bureau, les directeurs avaient décidé qu'on pourrait faire, à la fin de l'année, une répartition de 20 %, soit, à verser aux actionnaires, 337.100 L.

C'était superbe. Mais la situation répondait-elle réellement à d'aussi brillantes apparences ? Dans un mémoire relatant les résultats des opérations de la Compagnie depuis le 13 novembre 1684 jusqu'au 31 juillet 1687, nous trouvons que le total des recettes des ventes de ces trois années et de bonis divers s'élevaient à la somme de 1.482.900 L. tandis que les dépenses et pertes montaient à 2.204.700 L., soit un déficit de 721.800. Bien plus, on reconnaissait avoir déjà pour plus de 1,3 million de dettes et on proposait de faire encore un emprunt de 1,1 million pour pouvoir effectuer l'armement de l'année suivante.

C'était, en somme, la première mise de fonds qui servait à payer de si beaux dividendes. Néanmoins, l'effet visé par les directeurs fut obtenu, car cette apparence de prospérité provoqua de nouvelles adhésions.

Déjà, par un arrêt du 10 mai 1687, quelques actionnaires de l'ancienne Compagnie qui s'étaient retirés, avaient été admis rentrer dans la nouvelle en versant le quart en sus qu'ils avaient d'abord refusé. Le 26 août, huit nouveaux directeurs étaient reçus, mais on exigeait de chacun d'eux la forte mise de fonds de 60,000 L. On créa 200 nouvelles actions de 3.000 L., dont un très petit nombre seulement fut souscrit par de nouveaux actionnaires autres que ces huit directeurs.

Les nouveaux directeurs étaient les sieurs Lefebvre, Rousseau, Peletyer, Bar, Héhert, Chauvin, Gouault et Bazin.

De sa propre autorité, le Roi avait déjà remplacé le 8 avril 1686, un des directeurs de 1685, Morel de Boistiroux, décédé, par le sieur de Lagny (2), et sans autre forme d'élection, le 25 juillet 1687, il avait remplacé le sieur de Vitry-la-Ville, qui s'était retiré, par le sieur de Bercy, conseiller de son conseil.

(2) Le sieur de Lagny était secrétaire du Conseil du Roi et intendant du commerce; il devint dans la suite l'intermédiaire entre le ministre Seignelay et le bureau de la Compagnie à Paris. Les directeurs lui adressaient souvent des lettres en " cour " à Fontainebleau ou à Versailles, et c'est lui qui d'ordinaire présentait au ministre les mémoires de la Compagnie. Bien qu'il dût être naturellement porté à la soutenir, sa haute situation d'intendant du commerce ne lui permettait pas d'oublier les intérêts du pays tout entier, et il ne se faisait pas faute de signaler au ministre les obligations qu'on pouvait imposer aux directeurs dans telle ou telle circonstance.

En 1688, le sieur Thomas Le Gendre (de Rouen) fut encore admis en versant 60.000 L.

Les nouveaux directeurs semblaient n'avoir été appelés que pour réparer la brèche qu'allait faire au capital la forte répartition de 1687, à laquelle ils ne participaient pas (en effet la répartition de 20 % fut décrétée deux jours après l'admission des nouveaux directeurs). Ils ne s'aperçurent pas tout d'abord du tort qui leur était fait, mais lorsqu'ils furent mis au courant par leurs fonctions, de l'état réel dans lequel se trouvait la Compagnie, ils rédigèrent, en 1689, une protestation qui resta entre les mains de l'un d'eux, le sieur Gouault. Lorsqu'il s'agit, en 1697, de régler les comptes dans cette année de détresse, l'un d'eux, Bar, écrivit en janvier au ministre Pontchartrain pour se plaindre de cette " prévarication ", qu'il attribuait à l'influence du directeur Soullet. '' Il suffisait, écrit-il, que le Sr Soullet tirait par là à luy seul une somme de quarante et tant de mil L., pour par sa toute puissance sur les unze autres qui estoient dans sa dépendance faire passer une telle délibération par laquelle à l'instant mesme ils ne dépouilloient pas seullement ces nouveaux confrères sans le sceuny participation d'lceux, mais la caisse de la Compagnie mesme de ce renfort nécessaire, soubs le simple mais faux exposé de profits, suposez que la Compagnie estoit dizoient-ils en estat de répartir. Il terminait en proposant de faire rendre gorge à tous ces " mal délibérants ". La manoeuvre des directeurs en 1887 faillit avoir une autre conséquence à laquelle ils s'attendaient moins, car " les affaires ayant eu un sy favorable sucez, monsieur le marquis de Seignelay avait projeté de décharger le Roy de la plus grande partie des dépenses et de l'entretien des troupes et des places (des Indes) pour les faire supporter par la Compagnie. " Ce projet n'eut d'ailleurs pas de suite immédiate, à cause de la guerre qui éclata bientôt ; il ne fut mis à exécution qu'après la paix de Ryswick, en 1698.

En 1685, le fonds capital de la Compagnie montait à environ 1,7 million de L., dont 1,3 avaient été versées par 11 directeurs, le marquis de Seignelay et deux gros actionnaires, les sieurs Rousseau et Chauvin, qui devinrent, dans la suite, directeurs. Les 400.000 L. restantes étaient partagées entre 90 actionnaires environ.

En 1688, après l'entrée des huit nouveaux directeurs de 1687 et celle du sieur Le Gendre, le fonds capital atteignait à peu prés 2,3 millions de L., soit 1,6 million de L. pour 20 directeurs et le marquis de Seignelay, et 680.000 L. partagées entre cent actionnaires

Pour Paris, 59 actionnaires, dont le capital pour chacun était de 500 à 4.000 L., sauf le sieur de Vitry-la-Ville, qui s'était retiré de la direction, ayant un capital de 173.000 L. Pour Bordeaux 12 actionnaires, pour Nantes, 10, pour Lyon, 9 ayant des mises de fonds de 500 à 4.000 L.

Ce fonds capital qui avait atteint son maximum en 1688 s'amoindrit constamment ; en 1691, il n'était plus que de 2,24 millions, puis il resta à peu près fixe jusqu'en 1697. A cette époque les directeurs représentaient 1,14 millions de L. et les actionnaires 1,1 million.

La dette annuelle de la Compagnie était de 240.000 L. d'intérêts maritimes, plus 66.000 L. de traitement aux directeurs, mais les emprunts qu'elle était obligée de faire constamment grossissaient la dette chaque année. En 1701, elle avait pour 10,65 millions de L. de dettes, sans compter les intérêts maritimes.

En 1688, l'intérêt maritime de cette année fut encore régulièrement payé pour un capital de 2,295 millions.

Pour l'année 1689, le résultat financier fut moins brillant. Les Hollandais avaient capturé deux navires, le Coche et la Normande, qui portaient d'importantes cargaisons à la Compagnie; le caissier avait dû payer de nombreux billets sur la fin de l'année; néanmoins, dans la séance du 24 décembre, le bureau se résout à payer l'intérêt maritime de 10 % pour ne pas diminuer Ie crédit de la Compagnie, mais les directeurs décident que "pour y parvenir plus facilement, comme ils faisaient entre eux la plus grosse partie, ils prendraient leurs intérêts en billets du sieur Bonnevie (caissier de la compagnie) payables à six mois, et que les intéressés du dehors qui ne sont pas directeurs, seront payés comptant, à leur demande et sur leur quittance ".

L'année 1690 s'écoula entièrement sans qu'on pût payer l'intérêt maritime, et il fut reporté à la fin de l'année 1691. Par une bizarrerie qui semble montrer que les directeurs cherchaient à se payer de mots, il fut décidé, dans le courant de l'année 1691, qu'on y ajouterait une répartition de 10 %, ainsi qu'il résulte de la délibération du 23 juin 1691.

" Sur le rapport fait à l'assemblée par Mrs Soullet, Desvieux, Parent et Voisin de ce qui s'est passé à Nantes à la vente des marchandises de la Compagnie, et après mure réflexion sur l'état présent de ses affaires, il a été jugé nécessaire pour le crédit et la réputation de la Compagnie de payer aux intéressés, outre leurs intérêts de l'année 1690, une répartition de 10 %, n'en ayant pas été payé depuis plus de trois ans, ce qui a été délibéré et résolu d'une commune voix "

Ainsi, après avoir reconnu l'impuissance où l'on était de payer l'intérêt de 1690 aux termes voulus, on décidait de faire une répartition supplémentaire en 1691. Pourquoi ne pas régler d'abord l'intérêt de 1690 qui restait en retard ? On voulait vraisemblablement donner satisfaction aux nouveaux adhérents de 1687 qui avaient encore sur le coeur le coup de flibuste dont ils avaient été les victimes, et tenaient à avoir, eux aussi, leur répartition supplémentaire

Bref, les directeurs pensaient pouvoir payer à la fin de l'année 1691 l'intérêt maritime de 10 % pour l'année 1690, et une répartition supplémentaire de 10 %, c'est-à-dire deux fois la somme de 224.000 L., pour un capital de 2,24 millions, qui était le montant des actions des intéressés en 169l.

Mais, à la fin de l'année, les directeurs devaient emprunter 180.000 L. à 5 pour 100, afin de régler l'intérêt de 1690, et la répartition de 1691. Quant à l'intérêt maritime de 1691, il était reporté à la fin de l'année 1692 (décision du 28 décembre 1691). Le 18 décembre 1692, nouvel emprunt de 180.000 L. pour payer l'intérêt de 1691.

Le 30 décembre 1693, on décidait de l'intérêt de 1692, pour lequel le sieur Le Noir, le nouveau caissier de la Compagnie donna ses billets payables le 30 juin 1694. À cette époque, il dut, faute de fonds, reporter l'échéance des billets à la fin de l'année, en y ajoutant 10 % pour le change. Fort heureusement, trois vaisseaux de la Compagnie étaient rentrés dans l'année, la vente des marchandises faite à Nantes, lui permit de s'acquitter, du moins en partie (La totalité de l'intérêt maritime de 1692 ne fut soldée qu'à la fin de 1696).

Mais ce fut tout jusqu'à la paix, il ne pouvait plus être question d'intérêts ; on était allé déjà trop loin pour soutenir le crédit de la Compagnie, et l'on n'entretenait ce crédit que pour pouvoir trouver des prêteurs.

À la fin de l'année 1694, les intéressés de 1685 avaient touché huit intérêts maritimes de 10 %, une répartition de 20 % en 1687 et une autre répartition de 10 % en 1691, c'est-à-dire, après un exercice de dix ans, 110 % de leur capital, sans compter les 3.000 L. de traitement annuel que chacun des 20 directeurs et le ministre, président de la Compagnie, reçurent régulièrement.

Il n'y avait certes pas à se plaindre de ce résultat, mais nous savons qu'il n'avait été obtenu qu'à force d'emprunts dont restait grevée la Compagnie, et ce fut pour les actionnaires une belle période qu'ils ne revirent plus.

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20 décembre 2001

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