A
partir de l'année 1706, la Compagnie n'entre plus
dans le commerce des Indes que comme prête-nom.
Nous avons vu qu'aussitôt après la paix de
Ryswick en 1697, les directeurs se trouvant en
présence d'un déficit de plus de 5
millions, s'engagèrent dans une série
d'armements considérables (cinq armements), avec
l'espoir que les bénéfices qu'ils en
retireraient leur permettrait de se libérer. Le
résultat, toutefois, ne répondit pas
immédiatement à leur attente, et le chiffre
des dettes ne fit qu'augmenter de 1698 à 1701. Le
cours ininterrompu des intérêts des dettes
antérieures et les cinq emprunts à gros
intérêts qu'ils avaient faits avaient
élevé les dettes à plus de 10
millions en 1701.
Cependant,
les heureux effets de quelques années de paix
commençaient à se faire sentir ; et, en
moins de deux ans, les directeurs avaient
remboursé plus de 6 millions, lorsque la phase de
régénération dans laquelle la
Compagnie semblait devoir entrer se trouva brusquement
interrompue par la guerre de la succession d'Espagne.
Alors, les armements deviennent de plus en plus
dispendieux et de moins en moins profitables ; il faut
recourir aux services des Officiers de la marine royale,
ce qui coûte toujours fort cher, et le
crédit de la Compagnie est tellement usé
qu'on ne trouve plus de prêteurs. Faire de nouveaux
emprunts garantis par l'actif de la Compagnie est devenu
chose impossible; on essaya d'une autre méthode,
celle des contrats à la grosse aventure, qui
offrait du moins aux prêteurs la perspective
d'être désintéressés
aussitôt après le retour des navires. On
n'obtint pas un résultat meilleur, un
résidu de plus de 2 millions de dettes restait
irréductible ; bien plus, si l'on continuait les
opérations pendant la guerre, il allait
certainement s'accroître de nouveau. A quoi bon
s'entêter ? Le seul objectif des directeurs
était l'extinction de leurs dettes ; les armements
entrepris sur le pied où l'on se trouvait ne
permettraient jamais d'arriver à ce
résultat. Ce qu'il fallait, c'était
réduire les dépenses au strict minimum et
trouver un rendement annuel modeste, mais sûr, qui
comblerait peu à peu le déficit
Un
moyen s'offrait aux directeurs. La Compagnie avait
reçu, en 1664, un privilège valable pendant
cinquante années, à partir du 1er avril
1665, jusqu'au 1er avril 1715. Si, pendant les huit ou
neuf années que l'on avait devant soi, on pouvait,
moyennant une redevance, octroyer ce privilège
à des sociétés particulières
qui se chargeraient des armements et de l'exploitation
commerciale, on en retirerait plusieurs avantages.
D'abord, les frais seraient réduits au minimum ;
puis le commerce des Indes serait assuré et le Roi
y tenait ; enfin on retirerait de cette combinaison une
rente qui éteindrait les dettes.
Des
sociétés d'armateurs ne demandaient
qu'à agir ; on avait dû naguère se
défendre contre leurs entreprises ; aujourd'hui,
on les appellerait. Plus habiles ou mieux servies, en
tout cas non obérées, ces
sociétés particulières
étaient appelées au
succès.
Telles
furent les nouvelles dispositions qu'adopta la Compagnie
des Indes dès l'année 1706.
La
Compagnie cédait son privilège à des
sociétés particulières moyennant
soit un droit fixe, soit un droit proportionnel sur la
vente des marchandises au retour, et un droit sur les
prises ; elle se réservait en outre la prime que
le Roi payait pour chaque tonneau de marchandises
exportées ou importées.
En
échange, la Compagnie donnait la disposition de
ses magasins de Lorient et de Nantes ; aux Indes, le
service de ses commis, dont l'entretien restait à
sa charge; de plus, elle prêtait son titre de
Compagnie royale pour les rapports des armateurs avec les
autorités indigènes.
La
Compagnie fit son premier traité le 21 avril 1706
avec le sieur Jourdan et consorts, moyennant un droit
fixe de 30 000 L.. Cette société se
proposait d'envoyer trois vaisseaux aux Moluques, aux
autres îles des mers orientales et dans les ports
de Chine (sauf Canton et Nimpo, réservés
à la Compagnie de la Chine). Au mois d'août,
la Compagnie entra en pourparlers avec la
société Jourdan pour la vente de deux de
ses vaisseaux, le Pondichéry et
l'Aurore.
Ce
premier traité ne fut d'ailleurs pas suivi
immédiatement d'exécution à cause de
l'opposition de la Compagnie de la Chine.
Le 5
novembre 1707, autre traité avec le sieur Martin
de La Chapelle, armateur à Saint-Malo, lui
concédant le droit d'envoyer deux vaisseaux dans
le golfe persique et la mer rouge (à l'exclusion
des autres régions cles Indes), pour y charger du
café et d'autres marchandises. Droit de 7 000 L.
payables en espèces aussitôt après
les passeports délivrés. Cc traité
fut suivi de la première expédition des
Malouins à Moka.
Le
Curieux et le Diligent, deux navires de cinquante canons,
partis de Brest, le 6 janvier 1708 pour Moka,
rentrèrent à Saint-Malo le 8 mai 1710 avec
1 300 milliers de café. En cours de route, ils
avaient rançonné deux navires anglais
à la hauteur de Lisbonne, pris un hollandais de 36
canons, le Grand-Vainqueur-de-Middelelbourg,
auprès de l'Ascension; et, au retour, un autre
hollandais de 40 canons, l'Esquivic, dans les parages des
îles Maldives. Voilà ce qu'on pouvait
appeler une expédition bien
menée.
La
Compagnie, en louant son privilège contre argent
comptant, croyait pouvoir transmettre intacts tous ses
droits, mais il en était au moins un qu'elle
possédait mal. C'était le droit sur les
prises, Et la communication de ce droit à des
particuliers ne pouvait que les rendre encore plus mal
assuré
Le
partage des prises avait jusqu'alors soulevé un
nombre infini de contestations dont la nature variait
avec les circonstances dans lesquelles ces prises avaient
été faites. En principe, les prises faites
"au delà de la Ligne ", appartenaient en
totalité à la Compagnie, d'après
l'article 39 de la déclaration de 1664. Mais les
choses ne pouvaient pas se passer aussi simplement, parce
que, les prises étant faites en temps de guerre
par des armements mixtes auxquels le Roi participait,
indépendamment des parts de prises que la
Compagnie se croyait obligée d'accorder aux
commandants des vaisseaux, il y avait encore celle que
l'Etat réclamait pour le prix de sa participation.
C'est cette part de l'Etat qui donnait surtout lieu
à des chicanes, car les armements mixtes
n'étaient pas toujours faits sur, le même
pied. Tantôt le Roi fournissait une partie
dès vaisseaux et la Compagnie les approvisionnait
et équipait, comme dans l'expédition
commandée par DuQuesne ; tantôt le Roi
armait lui-même ses vaisseaux ; ce fut le cas de
l'expédition de Serquigny. On ne s'expliquait
qu'après le retour et non sans
difficultés.
Un
autre cas pouvait se produire ; par exemple : un navire
de la Compagnie, le Pontchartrain, séparé
depuis plus d'un an de l'escadre de Serquigny dont il
faisait partie, prenait un navire hollandais, la
Vennolle. Cette prise appartenait-elle à
l'armement ou seulement au navire de la Compagnie ?
Procès, requêtes, etc. On pourrait
multiplier les exemples de semblables
difficultés.
Le
partage ne se fît sans contestation qu'après
le retour de l'expédition de Pallières
(1704-1705). Instruit par l'expérience et les
précédents le sieur Raoul-Philippes
Foucquier, écuyer, Sieur de Kersalio, conseiller
du Roy, lieutenant civil et criminel du siège de
l'amirauté à Nantes, fit, le 2 mai 1708,
une répartition des parts de prise entre les
quatre vaisseaux de l'escadre de Pallières, au
prorata de l'importance de leur armement.
Une
difficulté plus grave était venue
compliquer encore cette question des prises. Une haute
autorité maritime qui n'existait pas à
l'époque de la déclaration de 1664 avait
été créée ou plutôt
rétablie en 1609 ; c'était celle de
l'amiral de France, dont les droits et pouvoirs furent
rétablis par le règlement du 12 novembre
1669 et l'ordonnance du mois d'août
1681.
L'amiral,
parmi ses prérogatives, avait celle de donner les
commissions et armement et les passeports aux capitaines
de la marine marchande, et parmi ses droits, celui de
bris et celui du dixième de toutes les prises
faites sur mer. Il y avait là matière
à conflit entre l'amirauté et la Compagnie
; ce conflit n'éclata pas
immédiatement.
Pour la
première fois au mois de juillet 1700, les
officiers du comte de Toulouse, amiral de France depuis
1683, réclamèrent le dixième d'une
prise faite par un vaisseau de la Compagnie. Cette prise
était précisément la Vennolle, dont
nous avons déjà parlé;. La Compagnie
opposait naturellement l'article 39 de la
déclaration de 1664. En 1703, nouvelle
requête au nom de l'amiral, suivie de nouveaux
mémoires au nom de la Compagnie. fin 1707, la
discussion durait encore, l'amiral attaquait l'article 39
et l'article b3 qui accordaient à la Compagnie la
totalité des prises et le droit de bris ; il
prétendait aussi obliger les capitaines et les
maîtres des vaisseaux de la Compagnie à
prendre prés de lui leurs commissions et à
lui remettre, au retour de chaque campagne, les papiers
et les prisonniers des navires
capturés.
Un
édit royal du 26 novembre 1707 intervint pour
décider :
- 1er
que les Officiers et commis des vaisseaux de la Compagnie
prendraient leurs commissions de l'amiral et lui
remettraient au retour les papiers et les prisonniers des
navires capturés ;
- 2eme
que le dixième des prises faites au-delà de
la Ligne reviendrait à la Compagnie et le
dixième des prises faites en deçà,
à l'amiral, conformément à
l'ordonnance de 1681.
Il
semblait que ce règlement dût faire cesser
toute équivoque ; il n'en fut rien. Lorsque la
Compagnie concéda son privilège à
des particuliers, elle crut pouvoir disposer du
dixième des prises et se l'attribuer sur les
contrats; les Officiers de l'amirauté
opposèrent que l'arrêt du 26 novembre 1707
ne concernait que la Compagnie et non ses
associés. On épiloguait même sur le
sens de l'expression "au-delà de la ligne ".
Etait-ce la ligne à l'ouest de l'Afrique ou la
ligne dans la mer des Indes ?
Cependant,
sur la requête de la Compagnie, l'amiral, par
condescendance et sans préjudice pour les droits
de sa charge, consentit à étendre le droit
du dixième des prises au-delà de la Ligne,
aux associés de la Compagnie, mais seulement
jusqu'à l'expiration du privilège de la
Compagnie. Cette concession fut confirmée par un
arrêt du 3 septembre 1712 .
A la
fin de l'année 1707, le 17 décembre, la
Compagnie reprenait le traité qu'elle avait fait
avec Jourdan le 21 avril 1706, et auquel la Compagnie de
la Chine maintenait opposition. Sous les auspices de
l'intendant du commerce Le Haguais, le traité fut
modifié de la façon suivante.
La
société Jourdan enverrait ses vaisseaux aux
Indes dans les régions concédées au
commerce de la Compagnie et non en Chine ; la Compagnie
gardait une somme de 4 4l00 L. qu'elle avait
déjà ; reçue de la
Société Jourdan comme un commencement
d'exécution du traité primitif, et recevait
en outre pour 20 000 L. de contrats à la grosse
sur l'armement des quatre vaisseaux: l'Aurore, la
Princesse, le Diligent et la Découverte qui, avec
la corvette de 100 tonneaux, l'Espérance,
partiraient pour les Indes au commencement de
l'année 1708.
Le 3
septembre 1707, les directeurs avaient écrit
à Pontchartrain qu'ils avaient vendu deux de leurs
vaisseaux, le Pondichéry et l'Aurore pour "payer
ce qui est dû de reste à ses soldats et
matelots pour leur part de la prise du Cantorbéry
; et, comme cela ne suffit pas, nous cherchons,
disaient-ils, à vendre encore trois autres
vaisseaux qui sont au Port-Louis pour satisfaire ceux
à qui il est dû; c'est tout ce que nous
pouvons faire".
Le 10
décembre, ils écrivaient une autre lettre
pour annoncer la vente du Phélypeaux.
Laissant
les armateurs particuliers, pleins d'ardeur, continuer
avec succès le commerce des Indes, les directeurs
ne sont plus occupés qu'à apaiser les
créanciers qui les poursuivent et à les
faire patienter jusqu'au retour des vaisseaux qu'ils
avaient envoyés en 1706 dans la mer du Sud et aux
Indes.
Voici
une lettre, datée du 2 mars 1708, qui
dépeint exactement leur triste
situation.
"
Les affaires de la Compagnie sont dans un estat
très violent, les directeurs sont accablés
de sentences des consuls qu'ils ne peuvent acquitter. Ils
sont poursuivis par leurs créanciers avec toute la
rigueur possible et n'osent sortir de chez eux crainte
d'estre traînez en prison.
Ils
ont fait entre eux des contributions immenses qui leur
causent un dérangement infini dans leurs affaires
particulières. Ils sont dans l'impuissance de rien
faire au delà. Ils auraient besoin d'un secours
actuel pour s'acquitter avec ceux qui les
persécutent et prévenir d'autres
condamnations en payant au moins l'lntérest, ce
qu'ils ne peuvent faire par
eux-mêmes.
Ils
attendent un retour des Indes qui pourroit être
fort avantageux.
Ils
sont en procez avec leurs actionnaires pour leur faire
faire les mesmes contributions que les directeurs ont
fait à proportion. Si le jugement de cette
contestation leur est favorable, comme ils ont raison de
l'espérer ils tireront une somme assez
considérable de cette contribution.
Ils
pourroient par l'un ou l'autre de ces
événemens s'acquitter avec le Roy des
secours que Sa Majesté et Monseigneur auroient la
bonté de leur donner. Cependant ils
périssent s'ils ne sont aidez et ils seront
réduits à la fatale extrémité
de réclamer l'autorité de Monseigneur pour
se mettre à couvert des poursuites rigoureuses de
leurs créanciers.
Monseigneur
est très humblement suplié d'avoir la
bonté de soutenir cette Compagnie dont le
dérangement vient uniquement des malheurs que lay
a causé la guerre."
Et dans
un mémoire du 18 mars :
"...
Après la paix de Ryswick, les directeurs
espérant remplacer ces pertes, ont emprunté
du public des sommes si considérables, qu'au
commencement de 1701, ils devoient près de onze
millions. Malgré toutes ces disgrâces, ils
ont payé à deux millions près ce
qu'ils doivent... "
A ce
moment même, ils recevaient de mauvaises nouvelles
de l'armement de 1706 ; les vaisseaux étaient
encore sur les côtes du Pérou; ils avaient
consommé leurs approvisionnements,
dépensé 45 000 écus pour acheter des
vivres et fait un commerce si peu avantageux qu'un de ces
vaisseaux, peut-être deux, allaient être
forcés de revenir en France sans aller aux Indes.
En effet, le Maurepas et la Toison-d'0r arrivèrent
au Port-Louis le 10 mai 1708, avec de si faibles
cargaisons qu'elles ne permettaient pas de couvrir les
contrats à la grosse ; il s'en fallait de 500 000
L.
"On
nous assure", écrivent les directeurs le 16 mai,
"que les officiers rapportent des cargaisons immenses
pour leur compte, nous ne sçavons point ce qui en
est, nous serions lâches de les accuser mal
à propos, mais nous avons lieu de croire qu'ils
ont eu plus d'attention à leurs
intérêts qu'aux nôtres (1),
Monseigneur en ordonnera comme il le jugera à
propos."
(1)
Dans cette même année 1708, le malouin Alain
Porée rapportait du Pérou sur la
frégate l'Assomption, une cargaison de 8 millions.
L'année suivante, une flottille de sept navires
malouins, de la Compagnie de la mer du Sud. revenait des
mêmes parages avec 30 millions qui furent
prêtés à l'Etat... et jamais rendus !
Quel contraste frappant fait cette splendeur avec la
misère dans laquelle se traînait la
société patentée et patronnée
par l'Etat !
Et
devant ce déficit, ils
s'écrient:
" Ce
malheureux événement augmente nos
disgrâces et nous fait faire de tristes
réflexions sur notre Etat."
Le 4
août, les directeurs signent un véritable
acte de renonciation.
"...
Les directeurs ont eu l'honneur de rendre compte à
Monseigneur le Comte de Pontchartrain de la situation
où elle (la Compagnie) se trouve et de le supplier
très humblement d'en informer le Roy et de faire
agréer par Sa Majesté que la Compagnie lui
remette son privilège et ses établissements
et de faire examiner par les Commissaires de Sa
Majesté ce qui est à faire pour tirer les
intéressés de l'oppression où ils
seront et pourvoir aux moyens de faire continuer ce
commerce par ceux des sujets de Sa Majesté qui
sont les plus capables de soutenir une si importante
entreprise..."
Le
ministre ayant "jeté les yeux sur Messieurs de
Saint-Malo comme étant les plus
considérables négociants du royaume", les
directeurs les invitent à prendre connaissance de
l'état de la Compagnie et ils mettent sous leurs
yeux le document suivant :
"
Estat des dettes de la Compagnie des
lndes.
Billets
sur place 2 537 000
Bénéfice
de la grosse du Maurepas et de la Toison 501
000
Divers
créanciers de la Compagnie 546 000
Grosse
du St Louis et solde des équipages par
estimation
sur le pied de 32 mois de campagne 661 000
A
Surate 1 266 000 )
A
Pondichéry 124 000 ) 1 390 000
Au
Roy, toute compensation faitte 874 000
6
509 000 L.
Effets
de la Compagnie.
Le
Port de l'Orient 400 000
Vaisseaux,
agrez, aparaux et provisions pour armements 200
000
Effets
en caisse 100 000
Magasins
à Nantes 20 000
Le
retour du St Louis 2 000 000
Les
établissements de la Compagnie aux Indes 3 000
000
L'Isle
de Bourbon 400 000
Le
Privilège de la Compagnie 2 000 000
8
120 000 L.
L'estimation
des effets de la Compagnie excède de 1 611 000 L.
le montant de ses dettes.
Les
intéressés auront encore à demander
les principaux de leurs fonds qui se montent à 2
105 000 L.
Les
intérêts qui se montent à 1 333 000
L. (ce qui représente six années
d'intérêt maritime, et montre que les
intéressés avaient reçu les
intérêts arriérés
jusqu'à l'année 1701
inclusivement).
Et
les droits de présence qui se montent à 186
000 L. (les directeurs avaient cessé de toucher
leurs droits de présence depuis 3
ans).
Elle
le se flatte que le Roy aura la bonté d'entrer
dans les expédients qui seront proposez à
Sa Majesté pour le remboursement des
fonds.
Elle
croit pouvoir proposer à Mrs de St-Malo que
l'excédant du produit de ses Effets serve à
payer les intérêts et les droits de
présence.
La
Compagnie leur donnera toutes les facilités qu'ils
pourraient désirer."
Donné
le 8 aoust 1708 en communication à Mrs de St-Malo
chez Mr Daguesseau (conseiller aux finances, l'un des
commissaires nommés par le Roi pour le
règlement des affaires de la Compagnie) en
présence de M. le Haguais (intendant du commerce).
Ce
document qui donne exactement la situation
financière de la Compagnie au moment où
elle faisait tous ses efforts pour entrer en liquidation
d'une manière à la fois honorable et
avantageuse, il est certain que dans ce bilan les effets
furent estimés au maximum de leur valeur ;
remarquons aussi que la Compagnie, pour la
première fois, fait entrer dans son actif la
valeur de son privilège, qu'elle estime à
deux millions
Les
directeurs n'auraient pas confié à tout le
monde le drapeau de la Compagnie. Des armateurs de Nantes
avaient proposé de faire la course aux Indes et
Pontchartrain avait écrit sur ce sujet une lettre
aux directeurs, le 4 avril 1708 ; mais la Compagnie
déclinait l'offre en ces termes : " Il luy
serait très périlleux de permettre à
des particuliers armateurs d'aller fourager dans ces
mers, celà épouvanteroit les Indiens, ils
passeroient pour flibustiers et forbans et comme ils ne
feroient cet armement que pour leur fortune, ils
prendroient sans distinction ni égard tout ce
qu'ils rencontreroient n'ayant d'autres vues que leur
interest sans se mettre en peine des suites qui
ruineroient la Compagnie. "
On
avait déjà fait la course sur les ennemis
aux Indes, mais c'était avec les vaisseaux du Roi
; sous la garantie du pavillon royal, les choses
s'étaient passées
régulièrement ; avec des particuliers, au
contraire, on ne savait pas jusqu'où cela
irait.
Pour
les armateurs malouins, dont les coffres étaient
bien garnis on ne faisait pas tant d'objections, mais il
est probable que ceux-ci ne se montrèrent pas
très empressés de prendre en main les
affaires de la Compagnie; car, le 14 octobre, les
directeurs s'adressaient au Roi lui-même et
présentaient au ministre un mémoire qui
commence par cet exorde :
" La
situation violente dans laquelle se trouve la Compagnie
des Indes Orientales par les poursuites rigoureuses de
ses créanciers ne permettant pas aux directeurs de
garder le silence..." etc.
Suivent
un exposé de cette triste situation et des
doléances sur les pertes immenses (plus de 19
millions) que la guerre et des entreprises très
onéreuses ont causées à la
Compagnie.
"
Monseigneur est très humblement suplié
d'observer que les dépenses que la Compagnie a
fait pour des Etablissements si solides aux Indes luy ont
été ordonnez par Nosseigneurs les
Ministres, les Directeurs bien instruits qu'ils
n'édifiaient aux Indes que pour l'Etat et non pour
eux personnellement..."
Le
mémoire se termine par la "proposition" suivante
:
"On
suplie très humblement Sa Majesté de se
charger 3 600 000 L. que la Compagnie doit, d'en assigner
le payement en rentes sur l'hostel de Ville au denier
vingt. Les arrérages annuels de ces rentes seront
de 180 000 L. "
Les
droits d'entrée que le Roi mettrait sur les
marchandises importées par les Malouins agissant
pour la Compagnie, dépasseraient, disaient-ils, ce
chiffre de 180 000 L. Cependant, les choses ne
s'arrangeaient pas et les directeurs continuaient leurs
plaintes:
"
Nous sommes forcez, Monseigneur, de vous
représenter très respectueusement que la
Compagnie est dans un désordre extrême, les
directeurs sont accablez de sentences des consuls, on a
saisy réellement les charges et les biens des Sr
Desvieux et Mercier, on a exécuté les
meubles des Sr Soullet et Tardif, les uns et les autres
sont obligez de garder leurs maisons et n'en osent sortir
crainte d'estre trainez en prison. Monseigneur
sçait nostre estat, et que nous ne sommes point en
pouvoir de rien faire polir soutenir cette malheureuse
affaire, nous avons épuisé nos fortunes et
nos familles. Vous avez en la bonté de
réfléchir aux expé-diens dont cette
affaire est susceptible, mais en attendant que vous ayez
ordonné de nostre sort, nous osons vous suplier
très humblement, Monseigneur, d'ordonner aux Juges
Consuls de nous admettre à faire des offres d'un
cinquième sur les condamnations qui ont
esté prononcées contre nous, jusqu'à
ce jour, et de nous donner pour les 4/5 restans un
nouveau délay de trois mois en trois mois par
quart. Par ce soulagement nous espérons nous
soutenir jusqu'à ce que Monseigneur ait
décidé sur le sort de la Compagnie. - BAR,
SOULLET, CHAMPIGNY, LEFEBVRE, PELETYER, TARDIF.
"
C'est
la faillite ! Enfin, le Roi s'émeut ; un
arrêt daté de Marly 6 novembre 1708, ordonne
la convocation d'une assemblée
générale des directeurs et des syndics des
actionnaires, en présence du prévôt
des marchands ; ils auront à s'entendre sur les
moyens de soutenir la Compagnie et remettront un
état de leurs effets et dettes entre les mains
cles commissaires que le Roi désignait.
Le Roi
avait été informé, disaient les
considérants de cet arrêt que les directeurs
étaient embarrassés et les
créanciers de plus en plus pressants ; que les
directeurs et les actionnaires étaient
désunis et Sa Majesté en a
été surprise, car jamais la Compagnie
n'avait été aussi prospère, ayant
payé la plus grosse partie de ses dettes avec les
intérêts et possédant les
établissements les plus solides aux Indes. La
Compagnie peut compter que le Roi soutiendra son commerce
que sa Majesté la regarde comme une entreprise qui
intéresse là Religion, la gloire et
l'honneur de la nation. " Les créanciers doivent
se tranquilliser et les intéressés
reprendre confiance.
Certainement,
cet optimisme officiel n'en imposa à personne. Au
reste, un arrêt du 12 novembre, plus
intéressant pour les directeurs, vint surseoir aux
poursuites dont ils étaient l'objet.
Le 1er
décembre 1708, la Compagnie faisait un
traité en treize articles avec les sieurs Crozat
et de La Lande-Magon père et fils, de Saint-Malo,
leur donnant permission d'envoyer, en janvier 1709 deux
vaisseaux et une patache d'avis de huit à dix
canons à Ougly, Pondichéry et à la
côte de Malabar, moyennant un droit de 15 % sur la
vente au retour, 10 % sur les prises au-delà de la
Ligne, et les primes des tonneaux pour la
Compagnie.
En
exécution de ce concordat, les navires le Malo, le
Saint-Jean-Baptiste et la patache la Bien-Aymée
partirent en janvier 1709 pour les Indes et revinrent au
Port-Louis le 23 août 1710.
Le 22
avril 1709, autre contrat en vingt-sept articles avec
Crozat, de Beauvais Le Fer, du Colombier-Gris et
Chapdelaine, leur accordant permission d'envoyer quatre
vaisseaux aux Indes l'année suivante, moyennant 10
% sur la vente, 5 % sur les prises en deçà
de la ligne et 15 % sur les prises faites au-delà,
et les primes des tonneaux; permission également
d'envoyer deux vaisseaux dans la mer Rouge, moyennant 10
% sur la vente au retour
Peu de
temps après, la Compagnie vendait à la
société Crozat-Beauvais Le Fer deux
vaisseaux, le Maurepas et la Toison-d'Or, pour 92 000 L.
à employer dans l'intérêt de 300 000
L. que la Compagnie comptait prendre dans leur armement.
Le 22 juin, le directeur Soullot en donnait avis au
ministre : " Nous avons vendu à Mrs de
Saint-Malo deux vaisseaux, le Maurepas et la Toison, qui
se consommaient dans le port, 92 000 L. ; je crois que
c'est une bonne défaite. "
La
Compagnie se défaisait peu à peu de ses
derniers vaisseaux qui ne lui étaient plus
d'aucune utilité. Quant à
l'établissement de Lorient, il était sous
la direction du sieur Verdier, simple commis, qui avait
succédé au directeur de Boisanger mort en
1707, et la Compagnie en assurait encore l'entretien
ainsi qu'il résulte de la lettre suivante
écrite le 3 juillet 1709.
" Le
Sr Verdier, notre commis à l'Orient, nous
écrit qu'il y a plusieurs réparations
indispensables à faire dans le port pour la
conservation de nos cazernes; comme il nous paroist
nécessaire d'en faire faire la visite par quelque
personne entendue et ensuite le devis, nous suplions
très humblement Monseigneur de donner ses ordres
à M. de Langlade pour en dresser son
procès-verbal conjointement avec le dit. Sr
Verdier et donner leur avis pour les réparations
les plus urgentes... "
Le 13
juillet, ordre était donné de vendre la
Princesse-de-Savoie, si l'on trouve acquéreur,
pour payer ce qui reste encore dû aux matelots
employés dans la dernière
campagne.
Cependant,
un navire de la Compagnie, le Saint-Louis, parti le 14
juillet 1706, était encore en route ;
c'était toute l'espérance de la Compagnie.
Les anciens créanciers, les porteurs de contrats
à la grosse, les "pauvres malheureux matelots" ,
dont la solde n'était pas payée, les
directeurs qui s'étaient engagés à
mettre 300 000 L. dans l'armement des Malouins, tous
l'attendaient avec impatience. On savait qu'il
était bien arrivé à
Pondichéry, mais on tremblait pour le
retour.
Des
corsaires ennemis battaient la mer ; Verdier venait
d'écrire de Lorient, le 26 juillet, que le
vaisseau du Roi, le Superbe, était rentré
au Port-Louis avec un flessinguois de trente canons,
qu'il avait capturé devant les côtes; un
autre de quarante-quatre canons lui avait
échappé ; s'il allait enlever le
Saint-Louis ! On fait appel à tous les corsaires
bretons. Le 10 août, les directeurs promettent 30
000 L. à celui qui ramènera le Saint-Louis.
Le 15, ils s'affolent et supplient le Roi de les
décharger de tout.
En
septembre et octobre, des lettres arrivent des Indes;
elles apprennent que le Saint-Louis est allé
hiverné à Merguy, et qu'il repartira de
Pondichéry vers le 15 ou le 20 février
1709. Il devrait être déjà au
Port-Louis.
En
attendant, c'est la misère et la
persécution, les directeurs ne pouvait plus se
rendre au bureau sans rencontrer des " créanciers
fâcheux " ou des huissiers; ils ne payent
même plus le loyer du bureau. Le sieur Bachelier,
propriétaire de la maison occupée par la
Compagnie, réclamait 3 600 L. pour deux ans et
trois mois de loyer; il a fait saisir les meubles du
bureau et menace de les faire vendre. Les directeurs ne
peuvent plus s'entendre pour réunir les fonds et
il faut un arrêt du Conseil (17 octobre 1709), pour
les obliger à s'acquitter.
Les
employés non plus ne sont pas payés Il faut
16 000 L. et les quelques directeurs de bonne
volonté qui assistent encore aux séances ne
peuvent rien obtenir des autres; ils s'en plaignent au
ministre :
"
... Pour payer les gages des commis et autres
dépenses annuelles, les Directeurs qui conduisent
l'affaire, au nombre de 4, ont fait une
délibération portant que tous les
directeurs, leurs héritiers et ayant cause
payeraient leur part de la d. somme de 16 000
L.
Les
directeurs sont au nombre de 20 ; à ces 4, il s'en
est joint un 5ème qui est un de ceux qui
travaillent, deux ont déclaré qu'ils
n'avoient pas les moyens de contribuer, il en est mort 5
et les 8 autres n'assistent plus aux assemblées
quelque avertissement qu'on leur en donne.
"
En
somme, sur les vingt directeurs qui existaient encore en
1703, cinq étaient morts et non remplacés,
cinq seulement s'occupaient encore activement des
affaires de la Compagnie: les directeurs Soullet,
Desvieux, Lefebvre, de Champigny et Sandrier ; et les dix
autres s'en désintéressaient presque
complètement.
Un
arrêt du Conseil d'Etat du 16 décembre 1709
ordonne que tous les directeurs ou les héritiers
ou ayants cause de ceux qui sont
décédés, remettront leur part de 16
000 L. pour le paiement du plus urgent.
Enfin,
le Saint-Louis paraît ! Il rentre au Port-Louis le
18 décembre.
Pour
transporter les marchandises à Nantes, il y avait
pour 40 000 L. de frais que les directeurs
n'étaient pas en état de fournir.
Impatients, les porteurs de contrats à la grosse
avaient déjà fait saisir les marchandises.
L'opération pourtant si simple et si souvent
exécutée de la vente des marchandises
allait devenir impraticable ; il fallut un arrêt du
Conseil (11 janvier 1710) pour la régler. Les
directeurs étaient autorisés à
emprunter, pour les frais de transport et de vente, 40
000 L. dont le remboursement était garanti sur les
premiers deniers de la vente. Celle-ci une fois
terminée, les commissaires nommés par le
ROi, par les décrets des 6 et 12 novembre 1708,
feraient la répartition entre les
créanciers.
Les
actionnaires et les créanciers se
réuniraient le 18 janvier chez M. Boucher d'Orsay,
maître des requêtes et intendant du commerce,
"pour nommer respectivement des syndics entre eux. "
Le 21 du même mois, les directeurs, les
syndics des actionnaires et ceux des créanciers se
réuniraient encore une fois chez M. d'Orsay pour
prendre les dispositions propres à assurer la
vente des marchandises du Saint-Louis, et défense
à qui que ce soit de faire opposition ou
saisie.
On
décida que la vente aurait lieu à Nantes le
25 mars et que les fonds qui en proviendraient seraient
enfermés dans un coffre fermant à trois
clefs, et confié à la garde du sieur Le
Noir, caissier de la Compagnie; une des clefs serait
remise aux directeurs, une autre au syndic des
créanciers et la troisième au sieur le
Noir.
Pendant
plus de deux ans, ce fut une suite ininterrompue de
requêtes et d'arrêts pour le paiement des
créanciers sur les deniers provenant de la vente
"des marchandises du vaisseau le Saint-Louis, corps et
quille dudit vaisseau." Les créanciers furent
divisés par catégories et certaines
créances réduites. Comme il en restait
toujours, pendant plusieurs années, on dut prendre
sur les revenus que la Compagnie tirait de la
communication de son privilège.
Au mois
de janvier 1710, la flotte que les malouins avaient
armée en conséquence du traité
passé avec la Compagnie le 21 avril 1709,
était prête à partir, bien qu'un
nouvel arrêt du Roi sur le commerce des
étoffes des Indes eût failli tout
compromettre.
Le
régime d'importation des étoffes des Indes
avait été bien des fois remanié ;
mais, d'une façon générale, depuis
1687, les étoffes indiennes peintes étaient
prohibées ; les étoffes de soie et
d'écorces d'arbres, tantôt
tolérées et limitées à 150
000 L. d'importation annuelle et tantôt
prohibées ; les toiles de coton blanches et les
mousselines de coton pouvaient entrer en payant les
droits et avec la formalité de la marque aux deux
bouts des pièces pour empêcher la
fraude.
Or, le
27 août 1709, un arrêt royal interdisait
complètement l'introduction de toutes les
étoffes des Indes, avec défense d'en taire
aucun commerce et aucun usage en France. Ce fut une
protestation générale des directeurs de la
Compagnie, des marchands de seconde main, et des
armateurs malouins qui menaçaient de
déchirer le traité fait avec la Compagnie
et d'attaquer celle-ci en dommages et
intérêts.
Le Roi
céda, et un arrêt du 10 décembre 1703
rapporta celui du 27 août.
La
flotte malouine, composée de quatre navires, le
Maurepas, le François-D'Argouges (du nom de Mgr
d'Argouges, évêque de Vannes, l'Auguste et
le Lys-Brillac partit en janvier 1710. La Compagnie y
avait adjoint le sieur Hardancourt, secrétaire de
son bureau, pour servir d'intermédiaire entre les
malouins et ses commis aux Indes. Elle s'était
intéressée dans l'armement pour 300 000
L.
Cette
flotte rentra au Port-Louis le 8 février 1712; une
prise anglaise qu'elle avait faite au delà de la
ligne, !e Nouveau-Georges était arrivée en
janvier à Morlaix. Le François-d'Argouges
avait également capturé le
Thomas-de-Londres et un brigantin portugais.
Le 27
septembre 1710, la Compagnie, avec l'assentiment de la
société Crozat, Beauvais Le Fer et
consorts, à laquelle elle était liée
concédait à deux autres armateurs, les
sieurs Du Moulin et Delaye le droit d'envoyer deux
vaisseaux aux Indes. La Compagnie se réservait 10
% sur la vente, 10 % sur les prises et les primes des
tonneaux.
La
société Crozat, etc., fit partir de
Saint-Malo, en janvier 1711, deux vaisseaux, la Paix et
le Diligent pour Moka. Ce fut la deuxième
expédition des malouins à Moka. Les deux
navires, chargés de 1 600 milliers de café,
rentrèrent à Saint-Malo en juin et juillet
1711 , avec une prise hollandaise, le Beau-Parterre et
une anglaise, le Princesse; une autre prise anglaise, la
Reine-Anne, avait été vendue aux Indes. Les
Malouins partaient deux, ils revenaient quatre et bien
chargés.
Deux
autres navires, le Saint-Louis et le François,
partirent le 9 juin 1711 pour les Indes; mais,
dépassant les limites concédées par
le traité du 27 septembre 1710, ils firent une
incursion dans les mers du Sud. Pour cette raison,
lorsqu'ils arrivèrent à Pondichéry,
le gouverneur Du Livier fit saisir les deux vaisseaux
avec leurs cargaisons. Le François resta aux lndes
et le Saint-Louis rentra au Port Louis le 4 mai 1715. On
préleva sur la vente de ses marchandises les
deniers nécessaires pour acquitter la saisie Du
Livier.
En
1711, Crozat et un armateur de Marseille, le sieur Bruny,
proposaient d'armer en course et sans marchandises trois
vaisseaux du Roi pour les envoyer aux Indes sous le
commandement de M. de Roquemadore, capitaine de vaisseau.
Par ordre du Roi, le 5 juin, le sieur Fontanieu,
directeur général cles compagnies
établies pour le commerce maritime, stipulant au
nom de la Compagnie des Indes et à son insu, pour
tenir secret cet armement en guerre, fit traité
avec les deux proposants pour envoyer aux Indes les deux
vaisseaux du Roi : l'Eclatant, le Fendant et la
frégate l'Adélaïde, qui devaient
partir de Cadix en janvier 1712, sans marchandises et
avec seulement 10 à 12 000 piastres.
Après
la campagne, quand l'Adélaide rentra au
Port-Louis, le 17 janvier 1713, avec les marchandises
d'un navire anglais le Scherborn capturé
au-delà de la Ligne, et après la vente de
ces marchandises à Rouen le 4 septembre et jours
suivants, la Compagnie réclama comme un droit le
dixième de la prise, mais ce dixième fut
adjugé à l'amiral (arrêt du 24
septembre 1714) parce que la prise avait
été faite par des vaisseaux du
Roi.
Le 5
février 1712, un traité de même
nature fut passé entre le directeur de Champigny
au nom de la Compagnie, d'une part ; et les sieurs
Guymont du Coudray, capitaine des vaisseaux du Roi, Bille
bourgeois de Paris et consorts, d'autre part, pour
expédier aux Indes, le 15 juillet suivant au plus
tôt, trois ou quatre vaisseaux du Roi.
Les
trois vaisseaux de l'expédition rentrèrent
isolément en France :
- Le
Jason, à Brest, le 9 mai 1715.
- Le
Mercure, à Brest, le 25 février
1716.
- La
Vénus, à Nantes, le 28 lévrier
1716.
L'expédition
ayant été malheureuse, les bailleurs de
fonds s'en prirent aux armateurs et leur firent un
procès. La Compagnie n'en tira que peu de chose,
mais du moins, elle n'y perdait rien.
Il y
avait mieux à faire avec les Malouins. Le 20
juillet 1712, la Compagnie avait repris un traité
avec les sieurs Crozat, de Granville-Locquel, de La
Lande-Magon, de Beauvais Le Fer, du Colombier Gris, de La
Saudre Le Fer, de La Chapelle-Martin et Chapdelaine, pour
les années 1713,1714 et 1715, leur
concédant le commerce des Indes, sauf la Chine et
la mer du Sud, moyennant 10 % sur la vente, et la prime
des tonneaux pour la Compagnie. Celle-ci aurait en outre
le dixième des prises faites dans la région
de la concession, et ce droit lui fut confirmé
jusqu'à l'expiration de son privilège par
un nouvel arrêt du 3 septembre 1712. Les armements
des Malouins reprennent alors avec le même
succès.
En
1713, trois vaisseaux: les Deux-Couronnes, le
Lys-Brillac, et I'Auguste partent pour les lndes et
rentrent le 14 juillet 1714
En
1714, la troisième expédition de Moka: le
Chasseur et la Paix partent de Saint-Malo le 21 mars
1714, sous le commandement de Guillaume Dufresne, sieur
d'Arsel, lequel, au retour de Moka, prit possession au
nom du Roi, de l'île Maurice appelée
désormais l'île de France (20 septembre
1715). Celte expédition était de retour en
février 1716.
En
1715, le Lys-Brillac et les Deux-Couronnes parlaient de
Saint-Malo les 22 et 23 janvier pour les Indes et
rentraient au PorT-Louis le 17 juillet 1716.
Dans
chacune de ces expéditions, la Compagnie, qui ne
courait plus aucun risque, prenait un
intérêt comme un simple particulier, et,
à chaque retour, elle recevait, outre ce qui lui
revenait pour cette participation, les redevances qui lui
étaient assurées par les traités.
Alors, les directeurs, les syndics des actionnaires et
ceux des créanciers se réunissaient et l'on
décidait d'une répartition qui était
réglée par les commissaires du Roi et
définitivement fixée par un arrêt du
Conseil d'Etat.
La
Compagnie, d'ailleurs, faisait argent de tout ce qui ne
lui était pas indispensable; après avoir
vendu son dernier vaisseau, elle se débarrassait
du restant de son matériel d'armement.
Le 5
juillet 1713, les directeurs remerciaient le ministre
d'avoir donné ordre à M. Clairambault
à Lorient de recevoir, pour paiement de 3 216 L.
que la Compagnie devait au Roi, " les sept ancres que
nous avons à l'Orient après que la visite
et estimation en auront été faites en
présence du sieur Verdier notre commis audit lieu.
"
Mais
l'extinction des dettes de la Compagnie ne pouvait se
faite que très lentement; car, outre les
intérêts des dettes, elle avait encore
à payer les appointements de ses employés
en France, l'entretien des comptoirs aux Indes (y compris
le solde de la garnison de Pondichéry), les dettes
qu'elle y avait et les droits qu'exigeaient les
autorités indigènes.
Au
commencement de l'année 1714, elle avait encore en
France un résidu de dettes de 1 235 000 L., et
elle se trouvait en état d'en payer le
quart.
Cependant,
l'époque de l'expiration du privilège de la
Compagnie approchait, au moment où la paix des
mers venait d'être rétablie par le
traité d'Utrecht (1713). Cinquante ans avaient
passé sur l'uvre de Colbert; on n'en
était plus à prendre auprès cles
Hollandais des leçons de commerce et de
navigation; l'extinction d'une Compagnie qui languissait
depuis si longtemps semblait ne devoir être qu'un
soulagement pour le commerce maritime français.
Mais la France, affaiblie et ruinée, le Roi
vieilli et humilié, n'avaient plus l'entrain
nécessaire pour se lancer dans une grande
entreprise commerciale; on entrait dans une
période de recueillement et le moment de changer
un organisme qui fonctionnait encore tant bion que mal
n'était pas encore venu; d'ailleurs, la Compagnie
n'avait pas payé complètement ses dettes en
France et encore moins aux Indes.
Pourtant
une déclaration royale donnée à
Fontainebleau, le 29 septembre 1714, prolongea pendant
dix ans, à partir du 1er avril 1715, le
privilège du commerce des Indes Orientales en
faveur de l'ancienne Compagnie. Cette déclaration
fut enregistrée au Parlement, le 15 octobre
1714.
La
Compagnie conservait ses anciens privilèges, mais
se voyait exclue des mers de Chine et de la mer du Sud et
définitivement privée du dixième des
prises, qui revenait à l'Amiral.
Cette
prolongation était accordée aux directeurs
pour les mettre en estat de payer le reste des dettes
qu'ils ont contractées. Presque aussitôt,
les directeurs négocient leur privilège
dans un nouveau traité avec les
Malouins.
Ce
traité, composé de vingt-huit articles, fut
signé au bureau de la Compagnie le 5
décembre, et à Saint-Malo le 14
décembre, et homologué par un arrêt
du Conseil d'Etat le 29 décembre 1711.
Les
traitants étaient d'une part, pour la Compagnie:
les directeurs Soullet, Desvieux, Tardif, Lefebvre,
Hébert, Moufle de Champigny, Hélissant,
Landais et Sandrier; d'autre part: le financier Crozat et
les armateurs malouins, de Beauvais Le Fer, du Colombier
Gris, de La Lande-Magon, de Grandville-Locquet, La
Chapelle-Marlin, La Saudre Le Fer, Jean-Gaubert, de
Carman-Eon, du Fougeray-Nouail, Duval-Baude et de La
Balue-Magon.
Ils
pouvaient envoyer aux Indes autant de vaisseaux qu'ils
voudraient en payant à la Compagnie 10 % sur la
vente des marchandises, 5 % sur le produit des prises,
sans préjudice du dixième revenant à
l'Amiral.
La
Compagnie s'intéressait pour un dixième
dans les armements. Les armateurs prêtaient
à la Compagnie 1 200 000 L. dont 200 000
immédiatement, à charger sur les premiers
vaisseaux, pour payer les dettes au Bengale, et un
million dans les trois premières années du
traité et par tiers, pour payer les dettes
à Pondichéry, au Bengale et à
Surate. Ils s'engageaient aussi à rapporter au
moins pour deux millions de marchandises des Indes chaque
année.
La
prime des tonneaux restait à la Compagnie, et
celle-ci s'engageait à ne pas envoyer de vaisseaux
aux Indes et ne pas en donner la permission à des
tiers.
Les
armateurs seraient tenus, pour obéir aux ordres du
Roi et au comte de Pontchartrain, d'envoyer des navires
à l'île Bourbon et d'y passer gratis les
missionnaires.
Ils
devaient enfin, à chaque expédition,
fournir à la Compagnie une déclaration
exacte du nombre et de la qualité des vaisseaux et
de leurs ports d'armement. La Compagnie assurait aux
armateurs le service de ses commis aux Indes et leur
donnait gratuitement l'usage de ses magasins à
Lorient et; Nantes, s'il en était
besoin.
Ainsi,
en exploitant son privilège par l'activité
des Malouins, la Compagne comblait peu à peu son
déficit. Dans les années suivantes, elle
abandonna peu à peu ses derniers droits pour
quelques milliers de L. encore.
Après
les concordats du 23 décembre 1716 et du 4 janvier
1719, les Malouins sont les maîtres aux Indes; ils
assurent le paiement des droits, l'entretien des
comptoirs du Bengale et celui de la garnison de
Pondichéry. La Compagnie des lndes Orientales
n'est plus une autorité, elle n'est plus qu'un
nom. Ce nom même allait disparaître ou se
modifier en passant à d'autres mains.
Louis
XIV était mort le 1er septembre 1715;
l'administration de la marine était aussitôt
enlevée à Jérôme de
Pontchartrain par le Conseil de régence; et bien
des hommes et des choses du dernier règne allaient
s'éclipser avec lui. Un souffle de réaction
et d'esprit nouveau préparait de grands
changements.
Le
système de l'Ecossais John Law de Lauriston, qui
avait la prétention d'organiser le crédit
sur des bases nouvelles et gigantesques et de permettre
à l'Etat d'éteindre rapidement une dette de
2 400 millions, cherchait un appui dans les entreprises
coloniales.
Law
avait créé une banque particulière
au capital de 6 millions. Au mois de mai 1716, des
lettres patentes du 1toi la transformaient en banque
générale dont les billets étaient
reçus dans les caisses de l'Etat pour le paiement
des impôts:
Pour
appuyer ses entreprises financières sur une base
plausible, Law avait racheté le privilège
de la Louisiane au financier Crozat et celui de la
Compagnie du Canada; on en forma la COMPAGNIE D'OCCIDENT,
qui fut établie par lettres patentes du mois
d'août 1717, au capital de 100 millions avec un
privilège de vingt-cinq années,
Le 4
décembre 1718, une déclaration royale
convertissait la banque générale en banque
royale.
La
Compagnie d'Occident, qui comprenait le commerce de
l'Amérique du Nord, s'augmenta encore de celui du
Sénégal.
Le 17
juin 1719, un arrêt du Conseil d'Etat
réunissait à la COMPAGNIE D'OCCiDENT, la
COMPAGNIE DES INDES ORIENTALES et la Compagnie de
Chine.
Cette
puissante association, qui s'intitula désormais
COMPAGNIE DES INDES, engloba encore la Compagnie de
Guinée en 1720 et le privilège de la vente
du café de Moka et de l'île Bourbon et la
vente du tabac en 1723. C'était presque la
totalité du commerce maritime
français.
La
nouvelle COMPAGNIE DES INDES garda les chantiers du
Faouëdic comme port d'armement, et l'Etat lui
céda en 1720 non seulement les magasins de
l'ancienne Compagnie, mais encore tous les
établissements construits pour le service de la
marine du Roi.
Le 8
novembre 1719, le ministre avait donné ordre
à MM. de Clairambault, de Beauregard et autres
officiers de la marine royale de quitter Lorient et
d'aller se fixer au Port-Louis. Lorient redevint
exclusivement un port de commerce pour une période
de cinquante années, exactement jusqu'au 26 avril
1770.
La
Compagnie, qui avait cessé tout commerce actif aux
Indes, occupait encore ses comptoirs par ses
employés et conservait ses titres. Fin 1719, elle
laissait à ses successeurs :
1°
Sur la côte de Coromandel, Pondichéry, muni
d'une citadelle et d'une garnison de trois compagnies, le
chef-lieu des établissements français et le
siège du conseil souverain depuis 1701. La loge de
Masulipatam, également située sur la
côte de Coromandel, en dépendait.
2°
Au Bengale, le comptoir d'Ougly ou Chandernagor et les
deux loges de Balassor et de Cassembazar.
3°
Sur la côte de Malabar, l'établissement de
Calicut. Le comptoir de Surate était presque
définitivement abandonné; mais, dans la mer
Rouge, les Malouins avaient installé un comptoir
à Moka, Et sur la route des Indes la Compagnie
possédait aussi l'île Bourbon Et l'île
de France, cette dernière occupée depuis
1715.
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