Aussitôt
après que la paix de Ryswick eut été
signée, la Compagnie, dont l'existence venait
d'être sérieusement menacée, se
voyait dans la nécessité, sous peine de
déchéance, d'entrer dans une nouvelle phase
d'activité.
Elle
avait établi le compte de ses dettes en France; et
les livres de Surate, que Pilavoine avait
rapportés sur le Pontchartrain, lui avaient
fait connaître une partie de celles qu'elle avait
aux Indes. C'est avec un arriéré de plus de
cinq millions qu'elle allait reprendre ses
opérations commerciales.
Un
armement ayant été projeté pour
l'année 1698, les directeurs avaient dû
commencer par emprunter 1,5 million de L. à la fin
de l'année 1697; ils comptaient sur le
rétablissement du commerce cles Indes pour
s'acquitter.
Dès
lors, nous entrons dans une phase qu'on peut appeler la
période des emprunts annuels d'armement. Pendant
cinq années consécutives, de 1697 à
1701, chaque armement sera précédé
d'un emprunt dont le remboursement restera
malheureusement toujours incomplet, si bien qu'à
la fin de cette période, les dettes de la
Compagnie dépasseront dix millions.
A la
fin de l'année 1697, les directeurs
expédièrent de Lorient un petit navire
d'avis, le Saint-Jean, à destination de
Pondichéry. La paix venait d'être
signée; cependant ce navire fut
arrêté en route et pillé par des
corsaires anglais (1). La Compagnie perdit 44.000 L. dans
cette affaire.
(1)
L'état d'incertitude qui accompagnait l'ouverture
ou la cessation des hostilités était
volontiers exploité par les deux partis ennemis.
Dans un mémoire du mois d'août 1697, nous
voyons un directeur de la Compagnie, le sieur Bar,
proposer de faire partir une escadre avant la publication
de la paix pour tout "raffler" au Cap sur les Hollandais
qui croiraient la paix signée. Ce serait un moyen
de se dédommager de la perte du Coche et de la
Normande en 1689.
En
1698, l'escadre de M. des Augiers que le Roi envoyait aux
Indes ayant pris les devants, la Compagnie fit partir au
mois d'avril son armement régulier, qui se
composait de quatre navires:
1) deux
pour Surate:
- le Pontchartrain de 500 tonneaux commandé par le capitaine Desmonts;
- la Princesse-de-Savoie de 800 tonneaux commandé par le capitaine Le Mayer;
2) deux
pour Pondichéry et le Bengale:
- le Phélypeaux de 400 tonneaux.
- la Perle d'Orient de 300 tonneaux.
En
outre, un petit navire de 140 tonneaux, le
Marchand-des-Indes, commandé par le capitaine du
Bocq, reçut une destination spéciale. Les
fonds du premier emprunt étant employés
à l'armement des autres vaisseaux, on chargea sur
ce navire quantité d'objets usuels qu'on put tirer
des magasins de Lorient. En passant à l'île
Bourbon avant d'aller à Surate, le
Marchand-des-Indes, échangerait tout cela pour de
l'argent; les flibustiers en avaient apporté
beaucoup dans l'île; et, l'on savait depuis le
retour de l'escadre de Serquigny, que les colons
manquaient des objets de première
nécessité. C'était l'occasion d'en
tirer parti.
Le
Marchand-des-Indes partit de la rade de Groix le
14 août, en même temps que le
Pontchartrain et la Princesse-de-Savoie. Il
s'en sépara quelques jours après pour aller
relâcher au Brésil le 4 juin. Il passa
ensuite à Bourbon, et ayant réussi dans ses
opérations commerciales, il prit une cargaison de
poivre à Calicut avant de gagner Surate. Les deux
autres navires y étaient arrivés le 18
octobre 1699.
Le 4
juillet, le petit navire le Postillon de 120
tonneaux, qui avait pu s'échapper du Gange, clans
les circonstances que nous connaissons, arrivait au
Port-Louis avec une cargaison valant aux lndes 51.300 L.
(Ces marchandises produisirent à la vente 208 000
L. soit un gain de 156 700 L) reprit la mer, le 18
octobre de la même année, avec une cargaison
de 40.500 L. pour Pondichéry et le Bengale (Ce
navire resta aux Indes; il termina sa carrière
dans le Gange en janvier 1701).
Les
frais d'expédition de ces navires, compris la
cargaison, l'armement et l'intérêt de 7%
pour l'emprunt montaient à 2,14 millions de L.
dont 1,44 million de L. pour les marchandises.
La
Société Jourdan avait de son
côté fait partir du Port-Louis, au mois de
mars, un navire donné à fret par le Roi,
l'Amphitrite pour le port de Canton en Chine. Au
retour de ce navire, la Compagnie devait recevoir 20 000
L. pour le communication de son privilège à
la société Jourdan.
Enfin
débarrassée des armements mixtes, si
dispendieux et si pleins d'imprévu, la Compagnie
avait ainsi repris le cours de ses affaires dans des
conditions normales. En prenant pour type l'année
1698, elle établissait le taux de ses
dépenses annuelles et constatait que pour
l'entretien de son commerce et le paiement des
intérêts de ses dettes, elle devait
débourser chaque année près d'un
million et demi, ainsi réparti:
Dépenses
en France:
Droits de présence des directeurs et du ministre, président de la Cie, à 3,000 L. par an...........66 000 L.
Location et entretien du bureau à Paris, appointements des employés, etc...................... ........27 750 L.
Etablissement de Lorient et appointements cles sieurs Le Mayer, Le Chevallier, etc .................. 6 750 L.
Entretien de l'établissement de Nantes et frais de transport et de vente des marchandises.... 20 600 L.
Intérêt maritime annuel des intéressés de la Compagnie .........................................................210 500 L.
Intérêts pour 4,5 millions de L. de dettes à 5% par an............................................................. 225 000 L.
Dépenses
aux Indes :
SURATE, frais de comptoir .........................................................................................................60 140 L.
Intérêts pour 600 000 L. de dettes à 9% ........................................................................54 000 L.
BENGALE, frais de comptoir ......................................................................... ..................67 500 L.
Intérêts pour 220 000 L. de dettes à 12% .............................................. ....................... 26 400 L
PONDICHERY, par estimation, le comp-toir étant encore aux mains des Hollandais .............. 48 000 L.
Frais d'armement de cinq vaisseaux en 1698 et amortissement du prix de ces vaisseaux.. ..627 280 L.
Total
des dépenses d'une
année............................
.............................................................
1 440 000 L
Restait
à pourvoir les navires de leur cargaison. Par
l'édit du 27 février 1697, la Compagnie
était obligée à envoyer annuellement
aux Indes pour 500 000 L. de marchandises
françaises; elle y ajoutait pour 800 000 L. de
matière d'argent en barres et ou réaux
d'Espagne.
C'est
cette cargaison de 1,3 millions de L. qui
répondait à tout. Echangée aux
Indes, elle devait, au retour, après la vente
faite à Nantes, produire une somme d'au moins 2,75
millions de L. pour que le budget fût
équilibré ; et encore, ne restait-il rien
pour les dépenses imprévues et pour
l'amortissement de plus de cinq millions de dettes dont
la Compagnie était chargée.
En
attendant que l'armement de 1698 eût produit le
résultat espéré, la Compagnie devait
s'occuper de celui de 1699. Elle avait trois navires dans
le port de Lorient; pour compléter sa flotte, elle
acheta au mois d'août, à Saint-Malo, le
vaisseau le Harcourt, qui devint la Toison-d'or.
Il n'y avait plus qu'à consulter les actionnaires
pour un nouvel emprunt comme on l'avait fait
l'année précédente. Directeurs et
actionnaires, réunis en assemblée
générale au bureau de la Compagnie le 29
décembre 1698, décidèrent du nouvel
emprunt (deuxième emprunt) au taux de 8 %
d'intérêt.
L'armement
de 1699 coûtait à la Compagnie, compris la
cargaison, les frais d'armement et l'intérêt
de l'emprunt à 8%, 3,465 millions de L.
Il se
composait de quatre navires:
1) deux
pour Pondichéry et le Bengale, partis du
Port-Louis le 19 février 1699 avec une cargaison
de 900 000 L en argent et marchandises:
- Le Maurepas, de 500 tonneaux, commandé par le capitaine Fauchol;
- La Toison-d'Or, de 500 tonneaux, commandé par le capitaine Demons.
2) deux
pour Surate, partis du Port-Louis le 7 avril, avec une
cargaison valant 1, 288 million de L.:
- Le Florissant, de 600 tonneaux, commandé par le capitaine de Joucoux, lieutenant de vaisseau du roi
(ordinairement, de moins en temps de paix, la Compagnie confiait le commandement de ses navires à des
capitaines de commerce; cependant elle embarquait quelquefois des officiers de la marine royale qui en
faisaient la demande);
- L'Aurore, de 800 tonneaux, commandé par le capitaine Marquaysac.
Le
retour de l'armement de 1698 s'effectua à
l'époque prévue, mais trois vaisseaux
seulement sur quatre rentraient
La
Princesse-de-Savoie, partie de Surate le1er
février 1699, arriva à Port-Louis le 28
juin.
Le
Phélypeaux et la Perle-d'Orient
venant du Bengale, rentraient au Port-Louis les 6 et 21
août.
Le
Pontchartrain était resté à
Surate, faute de cargaison à rapporter; il fut
frété à des marchands
arméniens qui l'emmenèrent au
Bengale.
Les
cargaisons des trois premiers navires, vendues à
Nantes le 22 septembre et les jours suivants,
produisirent près de 3,5 millions de L., elles
n'avaient coûté aux Indes que 930 000 L.; on
faisait donc cette fois un profit
considérable.
Le
petit navire, le Marchand-des-lndes rentra aussi
cette année-là; il mouilla à Dieppe
le 25 décembre. La traite qu'il avait faite en
passant à Bourbon avait pleinement réussi,
et il revenait de Surate avec une cargaison de 43 000 L.
prix coûtant aux Indes.
Le 5
novembre, le comte de Pontchartrain se rendait au bureau
de la Compagnie pour faire aux directeurs une importante
communication. Naguère, le Roi avait envoyé
aux Indes le chevalier des Augiers avec une escadre pour
rétablir la Compagnie dans son comptoir de
Pondichéry, prendre pied au Siam, en obtenant la
place de Merguy si la chose était possible, et
enfin passer à Surate pour faire entendre raison
au gouverneur indigène qui persécutait les
commis. Sans attendre le retour de Des Augiers, le Roi se
proposait d'envoyer aux Indes l'année prochaine
encore deux ou trois vaisseaux à ses frais, sous
le commandement du chevalier de Châteaumorand pour
purger les mers des forbans qui s'y trouvaient et passer
à Merguy puis à Surate où la
situation était encore tendue.
"
Comme le temps que cette escadre sera aux Indes est
très incertain, ajoutait Pontchartrain, afin
qu'elle ne soit point à charge à la
Compagnie, le munitionnaire avait ordre d'embarquer cent
milles pour les vivres et rafraîchissements qui
seront nécessaires à l'escadre pendant le
temps qu'elle sera aux Imles; et le trésorier, ce
qui sera estimé nécessaire pour les besoins
imprévus."
La
Compagnie était invitée à faire de
son côte tous ses efforts pour développer
son commerce aux Indes et s'assurer la possession sur la
côte de Malabar et sur la côte de Coromandel
de deux nouvelles stations ayant une valeur militaire et
pouvant, avec le poste de Merguy, servir de refuge aux
vaisseaux en temps de guerre. Comme on le voit par ce
détail, le Roi poursuivait la politique qu'il
avait inaugurée aux Indes en 1670.
Quelques
jours après cette conférence, les
directeurs convoquaient les actionnaires à une
nouvelle assemblée générale afin de
prendre les dispositions propres à assurer
l'armement de 1700.
Cette
assemblée générale eut lieu le jeudi
10 décembre 1699. Pour la troisième fois,
les directeurs proposaient un emprunt; la dernière
vente avait produit, tous frais payés, 3,5
millions de L.; c'était un succès, mais
encore insuffisant pour rembourser l'emprunt de cinq
millions contracté pour les deux premiers
armements.
Ainsi,
non seulement la Compagnie n'arrivait pas à se
libérer de ses anciennes dettes, mais elle les
voyait croître à chaque nouvelle entreprise.
Néanmoins, pour ne pas décourager les
actionnaires et pour les disposer à voter le
troisième emprunt, On décida de payer deux
années d'intérêts maritimes en
retard: celui de 1693 comptant et celui de 1694 au
premier octobre de l'année 1700. Cela faisait 420
000 L. à distraire d'abord des 3,5 millions; le
reste, c'est-à-dire 3 millions de L. serviraient
à rembourser une partie des deux premiers
emprunts.
Consultés
sur l'opportunité du troisième emprunt, les
actionnaires s'en remettaient à la décision
des directeurs. Que faire d'ailleurs ? Dans la voie
où l'on se trouvait engagé, il fallait ou
continuer ou liquider et laisser la place à
d'autres. Les directeurs s'en rendaient bien compte; ils
sentaient aussi qu'en cas de liquidation, les effets que
possédait la Compagnie ne suffiraient pas à
payer les dettes et qu'ils demeureraient personnellement
responsables pour les billets qu'ils avaient
signés. Il n'y avait qu'à
persévérer en attendant des jours
meilleurs. Trois années de suite les
assemblées générales des 2 juillet
1697, 29 décembre 1698 et 10 décembre 1699
avaient abouti à la conclusion d'un emprunt; dans
les deux années suivantes, les actionnaires ne
furent même pas consultés.
La
division commandée par le chevalier de
Châteaumorand, neveu de Tourville, partit de la
racle de Groix à la fin de février 1700.
Elle se composait du vaisseau l' Agréable,
du troisième rang et de la frégate la
Mutine. L'armement de la Compagnie comprenait quatre
vaisseaux.
1) deux pour Pondichéry, qui partirent du Port-Louis le 6 mars avec une cargaison de 1,31 million de L. :
- Le Phélypeaux, commandé par le capitaine Le Quentrec
- La Perle-d'Orient, commandé par le capitaine Houssaye.
2) deux pour Surate, qui partirent du Port-Louis le 17 avril avec une cargaison de 633 400 L :
- Le Saint-Louis, commandé par le capitaine Le Mayer, ayant à son bord l'ancien directeur de Surate, le sieur
Pilavoine qui retournait à son poste;
- l' Etoile d'orient, commandé par le capitaine Clavé.
L'ensemble de l'armement avait coûté, cargaisons comprises, 2,4 millions de L. à la Compagnie.
Des
quatre vaisseaux de l'armement de 1699, deux seulement
effectuèrent leur retour à l'époque
régulière. Le Maurepas, venant de
Pondichéry et du Bengale, et l'Aurore,
venant de Surate, arrivèrent au Port-Louis
à la fin de juillet 1700.
Le
Florissant était resté à
Surate faute de marchandises à charger; la
Toison-d'Or, partie de Pondichéry en
retard, n'arriva au Port-Louis le 28 décembre,
ayant manqué le temps de la mousson.
Les
marchandises des deux premiers vaisseaux jointes à
celles du Marchand-des-lndes, rentré
à la fin de l'année
précédente, et vendues à Nantes le 4
octobre 1700 et les jours suivants, produisirent, tous
frais pavés, 2,155 millions de L., somme qui
laissait encore les directeurs à
découvert.
Le
navire du Roi l'Amphitrite que la
société Jourdan avait frété
pour un voyage en Chine, rentra au Port-Louis le 1er
août. La Compagnie des lndes en retirait une
indemnité de 20 000 L. pour communication de son
privilège. ElIe renouvela son traité avec
les sieurs Jourdan, Coulonge et Cie, le 23 octobre 1700,
mais cette fois elle réclamait 25,000 L. et
limitait aux ports de Canton et de Nimpo, les comptoirs
où la société Jourdan pourrait
commercer en Chine. Ce traité fut homologué
le 2 novembre par un arrêt du Conseil d'Etat, et la
société Jourdan put faire placer sur
l'immeuble de son siège social une plaque avec
l'inscription: Compagnie Royale de Chine, mais elle ne
reçut ses lettres patentes qu'au mois d'octobre
1705. Cette fois le Roi intervenait directement et
excluait définitivement la Compagnie des Indes du
commerce de la Chine
L'année
1700 est marquée par une tentative que firent les
direc-teurs pour rentrer en possession de leurs magasins
de Lorient.
La
guerre était terminée, les directeurs
semblaient prendre à cur le
rétablissement de leurs chantiers; ils avaient
même repris leurs constructions navales et en
faisaient part au ministre :
" 15
may 1700.
Les
directeurs de la Compagnie des Indes Orientales ne
pouvant continuer la construction de leur vaisseau qui
est actuellement à l'Orient sur les chantiers
parce qu'il leur manque une partie considérable de
bois que les marchands des environs du Port Louis et de
Brest ne leur fournissent pas sans un ordre exprès
de la Cour, les Directeurs suplient très
humblement Monseigneur d'avoir la bonté de leur
accorder cet ordre en faveur du Sr René Coeven
marchand au Faon proche Brest qui offre de fournir
à la Compagnie une partie de ces bois sans
laquelle ils ne peuvent avancer la construction de leur
Vaisseau avec deffenses à toutes personnes d'y
aporter aucun empêchement. "
Ils
espéraient aussi que le roi leur rendrait les
magasins qu'il avait réquisitionnés en 1689
et 1690, mais ils fuient bientôt instruits des
véritables intentions du Roi; nous en trouvons la
preuve dans les deux lettres suivantes qu'ils
écrivaient au ministre de ce moment.
"
Vous avez eu la bonté, Monseigneur, de donner
ordre à M, de Mauclerc de nous rendre nos magasins
de l'Orient. Mr Bazin nous écrit qu'il y fait
quelque difficulté et comme il nous est
impossible, Monseigneur, de pouvoir nous en passer
à l'arrivée de nos vaisseaux et que ce
n'est que dans un besoin indispensable que nous vous les
avons demandé, nous espérons, Monseigneur,
que vous aurez la bonté de confirmer à Mr
de Mauclerc l'ordre que vous luy avez donné et que
vous nous accorderez la continuation de votre protection
-
SOUELET-DESVIEUX-HEBERT-FONTANIEU-PELETYER-TARDIF-HELISSANT.
à Paris ce 22e May 1700. "
Les
directeurs avaient-ils mal compris les ordres du ministre
ou bien celui-ci avait-il changé d'avis ? Toujours
est-il que rien ne fut modifié la situation de la
Compagnie de Lorient.
" Mr
Bazin nous écrit, Monseigneur, que M. de Mauclerc
luy a dit de votre part que puisqu'il demandait avec tant
d'empressement nos magasins, qu'il pouvoit les rendre,
mais en même temps de luy refuser tous les plaisirs
qu'on pourroit luy faire et de défendre même
au Sr Coulon de travailler aux vaisseaux de la
Compagnie.
Nous
sommes bien malheureux, Monseigneur, si nous nous sommes
attirez votre disgrâce étant aussi soumis
que nous le sommes à vos ordres et ayant autant
d'envie que nous avons de vous plaire.
Quand
nous avons demandé nos magasins, il n'y a eu
Monseigneur que la seule nécessité qui nous
y a engagez; pendant le temps que nous avons pu nous en
passer, nous en avons laissé jouir le Roy sans
faire aucune démarche, mais comme notre commerce
augmente tous les jours, que nos armements et nos
désarmements sont très considérables
et que nous avons fait des pertes considérables
les années précédentes faute d'avoir
nos magasins, nous nous sommes vus dans l'obligation
indispensable de vous faire la très humble
supplication de nous les rendre.
Si
nous avions pu prévoir, Monseigneur, que cette
demande vous eût déplu, nous aurions
sacrifié avec plaisir tous nos magasins et jamais
vous n'en auriez ouy parler. Tout nous engage à
chercher avec empres-sement les occasions de
mériter la continuation de la protection que vous
avez la bonté de nous donner; nous en sommes,
Monseigneur, si pénétrez qu'il n'y a rien
que nous sentions plus vivement.
Dans
cet état, Monseigneur, nous vous supplions
très humblement de nous marquer ce que vous
souhaitez parce que nous n'avons point d'autre
volonté que la vôtre.
Cependant
comme l'on pourroit avoir rendu quelque mauvais service
à Mr Bazin, permettez nous, Monseigneur, de vous
dire que depuis le 12 May que vous lui fîtes
l'honneur de luy écrire de ne point demander nos
magasins, que dans le temps que notre Compagnie en auroit
besoin,
il
n'en a point parlé, nous osons prendre la
liberté, Monseigneur, de vous en assurer parce
qu'il nous l'écrit dans sa lettre du 5 de ce mois.
Il nous mande aussi que le Sr Coulon a cessé de
travailler aussitôt qu'il a été
informé de vos ordres, Monseigneur, et que le d.
Sr Coulon luy a paru mortifié de n'avoir pas le
plaisir d'achever un ouvrage qu'il avait commencé
Ce
fut Mr Céberet qui désira que les
constructeurs et maîtres char-pentiers de vaisseaux
qui servoient le Roy servissent aussy la Compagnie afin
de les attacher par leur intérest à
préférer la résidence de l'Orient
à un autre port, et il congédia en
même temps tous les gens de la
Compagnie.
Nous
attendons, Monseigneur, I'honneur de vos ordres avec
toute la soumission que nous devons et nous prendrons
encore la liberté de vous assurer que nous n'avons
d'autre volonté que la vôtre, Monseigneur,
et que nous y serons toujours entièrement
dévoués.&emdash;
SOUELET-DESVIEUX-HEBERT-FONTANIEU-PELETYER-TARDIF-HELISSANT
à Paris ce XII Juillet 1700. "
Les
navires de la Compagnie le Phélypeaux et la
Perle-d'Orient partis quelques jours après
la division de Châteaumorant, la rejoignirent au
Cap le 27 mai, et les quatre vaisseaux firent voile le 7
juin pour faire ensemble le trajet du canal de Mozambique
que l'on croyait infesté de forbans.
Le
Phélypeaux prit d'ailleurs
immédiatement les devants et mouilla devant
Pondichéry le 12 août. La
Perle-d'Orient, laissant la division
Châteaumorant à l'île Anjouan le 21
juillet, arriva à destination le 22 août
quelques heures seulement avant, l'Agréable
et la Mutine, qui suivaient de
près.
Conférences
avec le directeur François Martin, revue des
troupes de la petite garnison composée de deux
compagnies, installation de quelques nouveaux officiers,
réapprovisionnement du fort en armes et en
munitions, telles furent les occupations de
Châteaumorant et du chevalier de Luzançay,
commissaire de l'escadre, pendant le séjour de la
division à Pondichéry.
Parmi
ses instructions, Châteaumorant avait deux
indications à remplir: nettoyer la mer des forbans
et prendre possession de Merguy, si toutefois les
circonstances Ie permettaient.
Les
forbans avaient bien fait parler d'eux encore
récemment dans le golfe du Bengale en pillant deux
navires de Surate appartenant aux sujets du Mogol, mais
on ne savait où aller les chercher et le temps
manquait, car Châteaumorant avait ordre de se
mettre en route pour Surate vers le 1er octobre. Quant
à Merguy, les négociations
préparatoires du P. Tachart ayant
échoué, un missionnaire, le Père de
Quermener (devenu évêque de Sur,
était arrivé à Surate en 1698 sur le
navire la Princesse-de-Savoie), était passé
au Siam pour en établir de nouvelles, mais il
était encore trop tôt pour se
présenter devant Merguy.
De
Châteaumorant, ayant laissé à
Pondichéry les armes et munitions destinées
à Merguy, partit Ie 2 octobre 1700, à
destination de Surate.
Chemin
faisant, il rencontra, le long de la côte de
Malabar, des navires de la Compagnie; d'abord
l'Etoile-d'Orient, qui venait de charger du poivre
à Calicut, puis le Florissant,
frété à des Arméniens qui
le ramenaient de Banderabassi. A Surate, où il
arriva le 22 décembre, il trouva le Saint-Louis "
qui se dépeschoit de se charger pour s'en
retourner en France ".
En
venant à Surale, de Châteaumorant se
proposait de courir immédiatement sus aux forbans.
Pilavoine, que le navire Saint-Louis venait de
ramener dans ce comptoir, lui fit comprendre qu'il valait
mieux ne pas parler au gouverneur de cette question qui
avait déjà attiré tant de
désagréments à la Compagnie, mais
qu'il était préférable "de
redemander les billets que le Mogol avait exigé
d'elle en garantie des prises qui se feroient sur ses
sujets et de bien tesmoigner que c'étoit
principalement pour les ravoir que le Roi avoit
envoyé notre escadre."
La
présence de deux navires de guerre français
dans le port de Surate ne fut pas sans causer quelque
inquiétude au gouverneur qui fit les
premières avances en envoyant ses compliments.
Mais, quand on réclama les billets, il reprit la
comédie diplomatique familière aux
Orientaux et dont il avait régalé des
Augiers.
A ce
moment, d'inquiétantes nouvelles venant d'Europe
se répandirent des loges des Hollandais et des
Anglais; elles faisaient craindre le réveil de la
guerre. Ces circonstances déterminèrent de
Châteaumorant à presser son
départ.
Le
Saint-Louis, qui était chargé, s'en
allait avec les vaisseaux du Roi; le Florissant,
trop endommagé, restait aux Indes, et la
frégate la Mutine échangeait sept de
ses pièces de huit contre un même nombre de
pièces de canon de douze, empruntées au
Florissant, le navire l'Etoile-d'Orient,
qui n'était pas prêt, devailt partir un peu
plus tard.
L'Agréable,
la Mutine et le Saint-Louis mirent à
la voile le 20 janvier 1701. Sans s'arrêter au Cap,
on gagna l'île Sainte-Hélène,
où l'on mouilla le 14 avril, sans savoir comment
on y serait reçu. Un petit navire anglais qui s'y
trouvait, salua de sept coups de canon.
Le
gouverneur de l'île se montra prévenant. Aux
premières questions sur la guerre, il parut
surpris; il savait bien que le roi d'Espagne était
mort et que le duc d'Anjou était appelé
à la succession, mais il n'avait pas entendu
parler de guerre; pour lui, il n'y croyait pas. Etait-il
sincère? Voulait-il donner le change aux
Français, ne se sentant pas en force ? "Ce fut
à nous d'en croire ce que nous voulions, mais de
nous presser toujours de faire notre eau à tout
événement.
Quelques
jours après, on voyait arriver un petit navire
anglais de 100 tonneaux, venant des mers d'Europe et tout
désemparé; un forban français,
parait-il, l'avait mis dans cet état, mais les
couronnes de France et d'Angleterre n'étaient pas
en guerre, du moins tel était son dire; " nous
n'y fîmes pas plus de cas, le
gouverneur
ayant
despeché au-devant de luy un petit canot sans
doute pour le prévenir et luy faire le bec.
"
Cependant,
des navires anglais venant des Indes commençaient
à se présenter: d'abord deux venant l'un de
Bombay et l'autre de la Chine, puis un troisième
venant du Bengale, un quatrième quelque temps
après; il y en eut bientôt six, et tous
navires de commerce.
En
même temps, de Châteaumorant voyait arriver
les navires de la Compagnie française: le 30 mai,
la Perle-d'Orient, venant du Bengale; le 1er juin,
le Phélypeaux, sur lequel se trouvait le
chef du comptoir d'Ougly, le sieur Boureau-Deslandes, qui
repassait en France avec sa famille (Il mourut du
scorbut, peu de jours après le départ de
Sainte-Hélène).
Le
Saint-Louis, ayant fait route avec la division, il
ne manquait plus au rendez-vous que
l'Etoile-d'Orient, qu'on avait laissé
à Surate. Châteaumorant l'attendit encore
inutilement pendant une semaine et se décida
à lever l'ancre: " Nous partîmes donc de
Sainte-Hélène le sept juin au soir; ce ne
fut pas sans souvent tourner la tête de son
côté et sans faire réflexion aux six
vaisseaux anglais et à prez de neuf à dix
millions de richesses dont ils estoient chargez; quel
dommage c'estoit de les laisser ainsy si par hazard nous
avions la guerre, et de ne pas les emmener en France avec
nous quand ce n'auroit esté que pour grossir notre
escadre. "
On
toucha à l'Ascension et à l'une des
Açores sans trouver plus de renseignements; enfin,
le 2 août, on rencontra deux pêcheurs de
morue français qui firent connaître la
véritable situation.
Quatre
jours après, le 28 août 1701,
l'Agréable, la Mutine, le
Saint-Louis, la Perle-d'Orient et le
Phélypeaux arrivaient dans la rade de
Groix. L'Etoile-d'Orient, qu'ils avaient vainement
attendu à Sainte-Hélène,
était déjà rendu au Port-Louis
depuis le 8 juillet.
Quand
la division de Châteaumorant et les trois vaisseaux
de la Compagnie arrivèrent au Port-Louis, la
France était encore en paix avec l'Angleterre,
mais la guerre dite " la succession d'Espagne" allait
s'ouvrir.
Le roi
Charles II était mort le 30 octobre 1700, laissant
la couronne d'Espagne au petit-fils de Louis XIV, le duc
d'Anjou. Le roi de France le présenta à sa
cour le 16 novembre en disant: "Messieurs, voilà
le roi d'Espagne" et quelques semaines après, le
roi Philippe V parlait pour Madrid.
L'Autriche,
frustrée dans ses espérances,
commença la guerre au printemps de 1701 par
l'invasion du Milanais, dépendant de la couronne
d'Espagne. Seul, l'Empereur ne pouvait espérer
vaincre la France et l'Espagne réunies;
malheureusement, Louis XIV ne fit rien pour s'assurer la
neutralité des autres puissances de l'Europe.
Jacques II étant mort à Saint-Germain le 10
septembre 1701, il salua le prince de Galles sous le nom
de Jacques III, roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande.
C'était un nouveau défi porté
à l'Angleterre qui n'attendait que l'occasion de
se déclarer.
Aussitôt
une nouvelle coalition se forma entre l'Angleterre, la
Hollande, l'Autriche et l'Allemagne; le Portugal y entra
un peu plus tard.
Ces
graves événements allaient créer
à la Compagnie de nouvelles difficultés.
Mais
avant, le 30 décembre 1700, les directeurs avaient
décidé, en séance
particulière, de faire un nouvel emprunt
(quatrième emprunt) à 8 %
d'intérêt pour l'armement de 1701, et,
malgré l'accroissement constant du déficit,
ils croyaient devoir distribuer aux actionnaires le
dixième et le onzième intérêt
maritime; celui de l'année 1695, payable comptant,
et celui de 1696, payable au mois de novembre1701
(reporté de six mois en six mois, et
fractionné, il ne fut complètement
soldé qu'en 1704).
Les
embarras financiers de la Compagnie n'arrêtaient
d'ailleurs pas le développement des
intérêts français aux Indes, car un
autre mobile que l'utilité des actionnaires y
présidait. "Le Roy est tout puissant,
Monseigneur, la Compagnie est faible",
écrivaient les directeurs au ministre, et, de
fait, elle n'avait jamais été
considérée par le Roi que comme un
instrument de domination aux lndes. Pondichéry
devenait de jour en jour une place plus importante et le
Roi y entretenait des troupes payées par la
Compagnie. Un édit royal du mois de février
1701 fît passer le Conseil souverain de Surate
à Pondichéry, qui devenait dès lors
le centre juridique des Indes
françaises.
L'armement
de 1701 se composait de cinq navires, et les frais qui
s'élevaient à 3,8 millions de L.
étaient couverts par le quatrième
emprunt.
1) trois navires étaient pour Pondichéry et le Bengale:
Le Maurepas, de 500 tonneaux;
Le Pondichéry, de 500 tonneaux;
Le Marchand-des-lndes, de 140 tonneaux.
2) deux pour Surate:
La Princesse-de-Savoie, de 800 tonneaux;
Le Bourbon, de 240 tonneaux
Ces
navires quittèrent Lorient en février et
mars avec des cargaisons dont l'ensemble valait plus de
3,2 millions de L. Celles que les navires de l'armement
de 1700, le Saint-Louis, la Perle-d'Orient,
le Phélypeaux, l'Etoile-d'Orient,
rapportèrent au Port-Louis en juillet et
août 1701, jointes à celles de la
Toison-d'Or de l'armement de 1699, rentré
en décembre 1700, ne produisirent à la
vente du mois d'octobre que 2,7 millions de L. L'argent
se faisait rare et une partie des marchandises resta
invendue.
La
situation devenant de plus en plus critique, les
directeurs s'adressèrent au ministre
Jérôme de Pontchartrain, président de
la Compagnie, et au contrôleur
général des finances Chamillard. Ceux-ci
écoutèrent favorablement leurs
doléances et promirent d'en référer
au Roi.
La
faveur dont la Compagnie jouissait auprès des
minisrres n'avait pas faibli; de nouveaux édits
vinrenl affirmer la réalité de son
privilège en punissant les fraudeurs avec un
surcroît de sévérité. Les
commerçants qui introduisaient en France des
marchandises des Indes au détriment de la
Compagnie, étaient privés à tout
jamais du droit de commercer; leurs boutiques
étaient murées, les enseignes
arrachées; leurs commissionnaires mis au carcan
pendant trois jours et les commis des Fermes complices
étaient condamnés aux galères pour
neuf ans. (Edit du 20 septembre 1701)
La
Compagnie obtint aussi quelques nouvelles
facilités pour la vente de ses marchandises:
l'importation des soieries, ordinairement limitée
à 150 000 L. par an, fut portée à
190 000 L.. (édit du 27 septembre 1701).
L'année précédente, les ministres
avaient soutenu la Compagnie contre l'adjudicataire des
Fermes générales le Sieur Thomas Templier
qui prétendait exercer un contrôle direct
sur les marchandises de la Compagnie. Il demandait dans
sa requête que les ballots fussent plombés
à leur arrivée au Port-Louis et
présentés à Nantes munis du plomb
des Fermes. Il réclamait aussi des droits
particuliers sur ces marchandises en sus de ceux
fixés par le tarif de 1664.
Un
arrêt du 2 novembre 1700 avait réduit les
prétentions du fermier général
à la production par la Compagnie d'une copie des
connaissements de ses navires et à la simple
déclaration aux commis des Fermes des marchandises
importées. A la fin de l'année 1701, le Roi
sur les représentations de Pontchartrain et de
Chamillart vint directement en aide à la Compagnie
en lui prêtant 850 000 L. pour une année
sans intérêts (20 décembre 1701) avec
cette condition toutefois que les directeurs
rapporteraient chacun 40 000 L. soit en augmentation de
leur fonds d'actions dans la Compagnie soit à
titre de prêt et que chaque actionnaire fournirait
50% de ses actions.
Les
directeurs étaient prêts à
s'exécuter mais de la part des actionnaires ils
prévoyaient plus de difficultés. Ils
pensèrent que le moment était venu de
provoquer une nouvelle assemblée
générale et terminèrent
l'année en votant le cinquième emprunt
d'armement pour l'année
1702.
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