Histoire de la Compagnie des Indes
... et des Colonies d'orient

  

 

 

 

Sommaire

 

Prémices

Fondation de la Compagnie

1ère grande expédition vers
 Madagascar et
1ère assemblée générale

2ème expédition vers l'Inde

Fondation de Lorient

Projets du Roi 1668/1670
et 
la 1ère escadre aux Indes
         
         
 Opérations 1670/1675
et
Bilan de 1675
         
         
         1eres défaillances
         et
         Bilan de 1684
         

Réorganisation de la Compagnie en 1685

Armements de 1685/1689

Lorient en 1690

L'Affaire du Siam

Armements mixtes 1690/1697

La Compagnie pendant la guerre 1690/1697

Armements 1697/1701

Décadence 1701/1706

Captation de la Compagnie par les Malouins

Liste des bâtiments de la Compagnie

Un exemple de navire .......... "Le Boullongne"

Histoire des Iles mascareignes

Les escales françaises de la route des Indes

Antoine BOUCHER

 

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LES CINQ EMPRUNTS ANNUELS D'ARMEMENT

1697-1701
Aussitôt après que la paix de Ryswick eut été signée, la Compagnie, dont l'existence venait d'être sérieusement menacée, se voyait dans la nécessité, sous peine de déchéance, d'entrer dans une nouvelle phase d'activité.

Elle avait établi le compte de ses dettes en France; et les livres de Surate, que Pilavoine avait rapportés sur le Pontchartrain, lui avaient fait connaître une partie de celles qu'elle avait aux Indes. C'est avec un arriéré de plus de cinq millions qu'elle allait reprendre ses opérations commerciales.

Un armement ayant été projeté pour l'année 1698, les directeurs avaient dû commencer par emprunter 1,5 million de L. à la fin de l'année 1697; ils comptaient sur le rétablissement du commerce cles Indes pour s'acquitter.

Dès lors, nous entrons dans une phase qu'on peut appeler la période des emprunts annuels d'armement. Pendant cinq années consécutives, de 1697 à 1701, chaque armement sera précédé d'un emprunt dont le remboursement restera malheureusement toujours incomplet, si bien qu'à la fin de cette période, les dettes de la Compagnie dépasseront dix millions.

A la fin de l'année 1697, les directeurs expédièrent de Lorient un petit navire d'avis, le Saint-Jean, à destination de Pondichéry. La paix venait d'être signée; cependant ce navire fut arrêté en route et pillé par des corsaires anglais (1). La Compagnie perdit 44.000 L. dans cette affaire.

(1) L'état d'incertitude qui accompagnait l'ouverture ou la cessation des hostilités était volontiers exploité par les deux partis ennemis. Dans un mémoire du mois d'août 1697, nous voyons un directeur de la Compagnie, le sieur Bar, proposer de faire partir une escadre avant la publication de la paix pour tout "raffler" au Cap sur les Hollandais qui croiraient la paix signée. Ce serait un moyen de se dédommager de la perte du Coche et de la Normande en 1689.

En 1698, l'escadre de M. des Augiers que le Roi envoyait aux Indes ayant pris les devants, la Compagnie fit partir au mois d'avril son armement régulier, qui se composait de quatre navires:

1) deux pour Surate:

- le Pontchartrain de 500 tonneaux commandé par le capitaine Desmonts;
- la Princesse-de-Savoie de 800 tonneaux commandé par le capitaine Le Mayer;

2) deux pour Pondichéry et le Bengale:

- le Phélypeaux de 400 tonneaux.
- la Perle d'Orient de 300 tonneaux.

En outre, un petit navire de 140 tonneaux, le Marchand-des-Indes, commandé par le capitaine du Bocq, reçut une destination spéciale. Les fonds du premier emprunt étant employés à l'armement des autres vaisseaux, on chargea sur ce navire quantité d'objets usuels qu'on put tirer des magasins de Lorient. En passant à l'île Bourbon avant d'aller à Surate, le Marchand-des-Indes, échangerait tout cela pour de l'argent; les flibustiers en avaient apporté beaucoup dans l'île; et, l'on savait depuis le retour de l'escadre de Serquigny, que les colons manquaient des objets de première nécessité. C'était l'occasion d'en tirer parti.

Le Marchand-des-Indes partit de la rade de Groix le 14 août, en même temps que le Pontchartrain et la Princesse-de-Savoie. Il s'en sépara quelques jours après pour aller relâcher au Brésil le 4 juin. Il passa ensuite à Bourbon, et ayant réussi dans ses opérations commerciales, il prit une cargaison de poivre à Calicut avant de gagner Surate. Les deux autres navires y étaient arrivés le 18 octobre 1699.

Le 4 juillet, le petit navire le Postillon de 120 tonneaux, qui avait pu s'échapper du Gange, clans les circonstances que nous connaissons, arrivait au Port-Louis avec une cargaison valant aux lndes 51.300 L. (Ces marchandises produisirent à la vente 208 000 L. soit un gain de 156 700 L) reprit la mer, le 18 octobre de la même année, avec une cargaison de 40.500 L. pour Pondichéry et le Bengale (Ce navire resta aux Indes; il termina sa carrière dans le Gange en janvier 1701).

Les frais d'expédition de ces navires, compris la cargaison, l'armement et l'intérêt de 7% pour l'emprunt montaient à 2,14 millions de L. dont 1,44 million de L. pour les marchandises.

La Société Jourdan avait de son côté fait partir du Port-Louis, au mois de mars, un navire donné à fret par le Roi, l'Amphitrite pour le port de Canton en Chine. Au retour de ce navire, la Compagnie devait recevoir 20 000 L. pour le communication de son privilège à la société Jourdan.

Enfin débarrassée des armements mixtes, si dispendieux et si pleins d'imprévu, la Compagnie avait ainsi repris le cours de ses affaires dans des conditions normales. En prenant pour type l'année 1698, elle établissait le taux de ses dépenses annuelles et constatait que pour l'entretien de son commerce et le paiement des intérêts de ses dettes, elle devait débourser chaque année près d'un million et demi, ainsi réparti:

Dépenses en France:

Droits de présence des directeurs et du ministre, président de la Cie, à 3,000 L. par an...........66 000 L.
Location et entretien du bureau à Paris, appointements des employés, etc...................... ........27 750 L.
Etablissement de Lorient et appointements cles sieurs Le Mayer, Le Chevallier, etc .................. 6 750 L.
Entretien de l'établissement de Nantes et frais de transport et de vente des marchandises.... 20 600 L.
Intérêt maritime annuel des intéressés de la Compagnie .........................................................210 500 L.
Intérêts pour 4,5 millions de L. de dettes à 5% par an............................................................. 225 000 L.
             

Dépenses aux Indes :

 SURATE, frais de comptoir .........................................................................................................60 140 L.
             Intérêts pour 600 000 L. de dettes à 9% ........................................................................54 000 L.
             BENGALE, frais de comptoir ......................................................................... ..................67 500 L.
             Intérêts pour 220 000 L. de dettes à 12% .............................................. ....................... 26 400 L
             PONDICHERY, par estimation, le comp-toir étant encore aux mains des Hollandais .............. 48 000 L.
             
            Frais d'armement de cinq vaisseaux en 1698 et amortissement du prix de ces vaisseaux..  ..627 280 L.

 Total des dépenses d'une année............................ ............................................................. 1 440 000 L

 Restait à pourvoir les navires de leur cargaison. Par l'édit du 27 février 1697, la Compagnie était obligée à envoyer annuellement aux Indes pour 500 000 L. de marchandises françaises; elle y ajoutait pour 800 000 L. de matière d'argent en barres et ou réaux d'Espagne.

 C'est cette cargaison de 1,3 millions de L. qui répondait à tout. Echangée aux Indes, elle devait, au retour, après la vente faite à Nantes, produire une somme d'au moins 2,75 millions de L. pour que le budget fût équilibré ; et encore, ne restait-il rien pour les dépenses imprévues et pour l'amortissement de plus de cinq millions de dettes dont la Compagnie était chargée.

En attendant que l'armement de 1698 eût produit le résultat espéré, la Compagnie devait s'occuper de celui de 1699. Elle avait trois navires dans le port de Lorient; pour compléter sa flotte, elle acheta au mois d'août, à Saint-Malo, le vaisseau le Harcourt, qui devint la Toison-d'or. Il n'y avait plus qu'à consulter les actionnaires pour un nouvel emprunt comme on l'avait fait l'année précédente. Directeurs et actionnaires, réunis en assemblée générale au bureau de la Compagnie le 29 décembre 1698, décidèrent du nouvel emprunt (deuxième emprunt) au taux de 8 % d'intérêt.

L'armement de 1699 coûtait à la Compagnie, compris la cargaison, les frais d'armement et l'intérêt de l'emprunt à 8%, 3,465 millions de L.

Il se composait de quatre navires:

1) deux pour Pondichéry et le Bengale, partis du Port-Louis le 19 février 1699 avec une cargaison de 900 000 L en argent et marchandises:

- Le Maurepas, de 500 tonneaux, commandé par le capitaine Fauchol;
- La Toison-d'Or, de 500 tonneaux, commandé par le capitaine Demons.             

2) deux pour Surate, partis du Port-Louis le 7 avril, avec une cargaison valant 1, 288 million de L.:

- Le Florissant, de 600 tonneaux, commandé par le capitaine de Joucoux, lieutenant de vaisseau du roi 
(ordinairement, de moins en temps de paix, la Compagnie confiait le commandement de ses navires à des 
capitaines de commerce; cependant elle embarquait quelquefois des officiers de la marine royale qui en 
faisaient la demande);
- L'Aurore, de 800 tonneaux, commandé par le capitaine Marquaysac.

Le retour de l'armement de 1698 s'effectua à l'époque prévue, mais trois vaisseaux seulement sur quatre rentraient

La Princesse-de-Savoie, partie de Surate le1er février 1699, arriva à Port-Louis le 28 juin.

Le Phélypeaux et la Perle-d'Orient venant du Bengale, rentraient au Port-Louis les 6 et 21 août.

Le Pontchartrain était resté à Surate, faute de cargaison à rapporter; il fut frété à des marchands arméniens qui l'emmenèrent au Bengale.

Les cargaisons des trois premiers navires, vendues à Nantes le 22 septembre et les jours suivants, produisirent près de 3,5 millions de L., elles n'avaient coûté aux Indes que 930 000 L.; on faisait donc cette fois un profit considérable.

Le petit navire, le Marchand-des-lndes rentra aussi cette année-là; il mouilla à Dieppe le 25 décembre. La traite qu'il avait faite en passant à Bourbon avait pleinement réussi, et il revenait de Surate avec une cargaison de 43 000 L. prix coûtant aux Indes.

Le 5 novembre, le comte de Pontchartrain se rendait au bureau de la Compagnie pour faire aux directeurs une importante communication. Naguère, le Roi avait envoyé aux Indes le chevalier des Augiers avec une escadre pour rétablir la Compagnie dans son comptoir de Pondichéry, prendre pied au Siam, en obtenant la place de Merguy si la chose était possible, et enfin passer à Surate pour faire entendre raison au gouverneur indigène qui persécutait les commis. Sans attendre le retour de Des Augiers, le Roi se proposait d'envoyer aux Indes l'année prochaine encore deux ou trois vaisseaux à ses frais, sous le commandement du chevalier de Châteaumorand pour purger les mers des forbans qui s'y trouvaient et passer à Merguy puis à Surate où la situation était encore tendue.

" Comme le temps que cette escadre sera aux Indes est très incertain, ajoutait Pontchartrain, afin qu'elle ne soit point à charge à la Compagnie, le munitionnaire avait ordre d'embarquer cent milles pour les vivres et rafraîchissements qui seront nécessaires à l'escadre pendant le temps qu'elle sera aux Imles; et le trésorier, ce qui sera estimé nécessaire pour les besoins imprévus."

La Compagnie était invitée à faire de son côte tous ses efforts pour développer son commerce aux Indes et s'assurer la possession sur la côte de Malabar et sur la côte de Coromandel de deux nouvelles stations ayant une valeur militaire et pouvant, avec le poste de Merguy, servir de refuge aux vaisseaux en temps de guerre. Comme on le voit par ce détail, le Roi poursuivait la politique qu'il avait inaugurée aux Indes en 1670.

Quelques jours après cette conférence, les directeurs convoquaient les actionnaires à une nouvelle assemblée générale afin de prendre les dispositions propres à assurer l'armement de 1700.

Cette assemblée générale eut lieu le jeudi 10 décembre 1699. Pour la troisième fois, les directeurs proposaient un emprunt; la dernière vente avait produit, tous frais payés, 3,5 millions de L.; c'était un succès, mais encore insuffisant pour rembourser l'emprunt de cinq millions contracté pour les deux premiers armements.

Ainsi, non seulement la Compagnie n'arrivait pas à se libérer de ses anciennes dettes, mais elle les voyait croître à chaque nouvelle entreprise. Néanmoins, pour ne pas décourager les actionnaires et pour les disposer à voter le troisième emprunt, On décida de payer deux années d'intérêts maritimes en retard: celui de 1693 comptant et celui de 1694 au premier octobre de l'année 1700. Cela faisait 420 000 L. à distraire d'abord des 3,5 millions; le reste, c'est-à-dire 3 millions de L. serviraient à rembourser une partie des deux premiers emprunts.

Consultés sur l'opportunité du troisième emprunt, les actionnaires s'en remettaient à la décision des directeurs. Que faire d'ailleurs ? Dans la voie où l'on se trouvait engagé, il fallait ou continuer ou liquider et laisser la place à d'autres. Les directeurs s'en rendaient bien compte; ils sentaient aussi qu'en cas de liquidation, les effets que possédait la Compagnie ne suffiraient pas à payer les dettes et qu'ils demeureraient personnellement responsables pour les billets qu'ils avaient signés. Il n'y avait qu'à persévérer en attendant des jours meilleurs. Trois années de suite les assemblées générales des 2 juillet 1697, 29 décembre 1698 et 10 décembre 1699 avaient abouti à la conclusion d'un emprunt; dans les deux années suivantes, les actionnaires ne furent même pas consultés.

La division commandée par le chevalier de Châteaumorand, neveu de Tourville, partit de la racle de Groix à la fin de février 1700. Elle se composait du vaisseau l' Agréable, du troisième rang et de la frégate la Mutine. L'armement de la Compagnie comprenait quatre vaisseaux.

1) deux pour Pondichéry, qui partirent du Port-Louis le 6 mars avec une cargaison de 1,31 million de L. :
- Le Phélypeaux, commandé par le capitaine Le Quentrec 
- La Perle-d'Orient, commandé par le capitaine Houssaye.
             
2) deux pour Surate, qui partirent du Port-Louis le 17 avril avec une cargaison de 633 400 L :
- Le Saint-Louis, commandé par le capitaine Le Mayer, ayant à son bord l'ancien directeur de Surate, le sieur 
Pilavoine qui retournait à son poste;
- l' Etoile d'orient, commandé par le capitaine Clavé.
             L'ensemble de l'armement avait coûté, cargaisons comprises, 2,4 millions de L. à la Compagnie.

Des quatre vaisseaux de l'armement de 1699, deux seulement effectuèrent leur retour à l'époque régulière. Le Maurepas, venant de Pondichéry et du Bengale, et l'Aurore, venant de Surate, arrivèrent au Port-Louis à la fin de juillet 1700.

Le Florissant était resté à Surate faute de marchandises à charger; la Toison-d'Or, partie de Pondichéry en retard, n'arriva au Port-Louis le 28 décembre, ayant manqué le temps de la mousson.

Les marchandises des deux premiers vaisseaux jointes à celles du Marchand-des-lndes, rentré à la fin de l'année précédente, et vendues à Nantes le 4 octobre 1700 et les jours suivants, produisirent, tous frais pavés, 2,155 millions de L., somme qui laissait encore les directeurs à découvert.

Le navire du Roi l'Amphitrite que la société Jourdan avait frété pour un voyage en Chine, rentra au Port-Louis le 1er août. La Compagnie des lndes en retirait une indemnité de 20 000 L. pour communication de son privilège. ElIe renouvela son traité avec les sieurs Jourdan, Coulonge et Cie, le 23 octobre 1700, mais cette fois elle réclamait 25,000 L. et limitait aux ports de Canton et de Nimpo, les comptoirs où la société Jourdan pourrait commercer en Chine. Ce traité fut homologué le 2 novembre par un arrêt du Conseil d'Etat, et la société Jourdan put faire placer sur l'immeuble de son siège social une plaque avec l'inscription: Compagnie Royale de Chine, mais elle ne reçut ses lettres patentes qu'au mois d'octobre 1705. Cette fois le Roi intervenait directement et excluait définitivement la Compagnie des Indes du commerce de la Chine

L'année 1700 est marquée par une tentative que firent les direc-teurs pour rentrer en possession de leurs magasins de Lorient.

 La guerre était terminée, les directeurs semblaient prendre à cœur le rétablissement de leurs chantiers; ils avaient même repris leurs constructions navales et en faisaient part au ministre :

" 15 may 1700.

Les directeurs de la Compagnie des Indes Orientales ne pouvant continuer la construction de leur vaisseau qui est actuellement à l'Orient sur les chantiers parce qu'il leur manque une partie considérable de bois que les marchands des environs du Port Louis et de Brest ne leur fournissent pas sans un ordre exprès de la Cour, les Directeurs suplient très humblement Monseigneur d'avoir la bonté de leur accorder cet ordre en faveur du Sr René Coeven marchand au Faon proche Brest qui offre de fournir à la Compagnie une partie de ces bois sans laquelle ils ne peuvent avancer la construction de leur Vaisseau avec deffenses à toutes personnes d'y aporter aucun empêchement. "

Ils espéraient aussi que le roi leur rendrait les magasins qu'il avait réquisitionnés en 1689 et 1690, mais ils fuient bientôt instruits des véritables intentions du Roi; nous en trouvons la preuve dans les deux lettres suivantes qu'ils écrivaient au ministre de ce moment.

" Vous avez eu la bonté, Monseigneur, de donner ordre à M, de Mauclerc de nous rendre nos magasins de l'Orient. Mr Bazin nous écrit qu'il y fait quelque difficulté et comme il nous est impossible, Monseigneur, de pouvoir nous en passer à l'arrivée de nos vaisseaux et que ce n'est que dans un besoin indispensable que nous vous les avons demandé, nous espérons, Monseigneur, que vous aurez la bonté de confirmer à Mr de Mauclerc l'ordre que vous luy avez donné et que vous nous accorderez la continuation de votre protection - SOUELET-DESVIEUX-HEBERT-FONTANIEU-PELETYER-TARDIF-HELISSANT. à Paris ce 22e May 1700. "

Les directeurs avaient-ils mal compris les ordres du ministre ou bien celui-ci avait-il changé d'avis ? Toujours est-il que rien ne fut modifié la situation de la Compagnie de Lorient.

" Mr Bazin nous écrit, Monseigneur, que M. de Mauclerc luy a dit de votre part que puisqu'il demandait avec tant d'empressement nos magasins, qu'il pouvoit les rendre, mais en même temps de luy refuser tous les plaisirs qu'on pourroit luy faire et de défendre même au Sr Coulon de travailler aux vaisseaux de la Compagnie.

Nous sommes bien malheureux, Monseigneur, si nous nous sommes attirez votre disgrâce étant aussi soumis que nous le sommes à vos ordres et ayant autant d'envie que nous avons de vous plaire.

Quand nous avons demandé nos magasins, il n'y a eu Monseigneur que la seule nécessité qui nous y a engagez; pendant le temps que nous avons pu nous en passer, nous en avons laissé jouir le Roy sans faire aucune démarche, mais comme notre commerce augmente tous les jours, que nos armements et nos désarmements sont très considérables et que nous avons fait des pertes considérables les années précédentes faute d'avoir nos magasins, nous nous sommes vus dans l'obligation indispensable de vous faire la très humble supplication de nous les rendre.

Si nous avions pu prévoir, Monseigneur, que cette demande vous eût déplu, nous aurions sacrifié avec plaisir tous nos magasins et jamais vous n'en auriez ouy parler. Tout nous engage à chercher avec empres-sement les occasions de mériter la continuation de la protection que vous avez la bonté de nous donner; nous en sommes, Monseigneur, si pénétrez qu'il n'y a rien que nous sentions plus vivement.

Dans cet état, Monseigneur, nous vous supplions très humblement de nous marquer ce que vous souhaitez parce que nous n'avons point d'autre volonté que la vôtre.

Cependant comme l'on pourroit avoir rendu quelque mauvais service à Mr Bazin, permettez nous, Monseigneur, de vous dire que depuis le 12 May que vous lui fîtes l'honneur de luy écrire de ne point demander nos magasins, que dans le temps que notre Compagnie en auroit besoin,

il n'en a point parlé, nous osons prendre la liberté, Monseigneur, de vous en assurer parce qu'il nous l'écrit dans sa lettre du 5 de ce mois. Il nous mande aussi que le Sr Coulon a cessé de travailler aussitôt qu'il a été informé de vos ordres, Monseigneur, et que le d. Sr Coulon luy a paru mortifié de n'avoir pas le plaisir d'achever un ouvrage qu'il avait commencé

Ce fut Mr Céberet qui désira que les constructeurs et maîtres char-pentiers de vaisseaux qui servoient le Roy servissent aussy la Compagnie afin de les attacher par leur intérest à préférer la résidence de l'Orient à un autre port, et il congédia en même temps tous les gens de la Compagnie.

Nous attendons, Monseigneur, I'honneur de vos ordres avec toute la soumission que nous devons et nous prendrons encore la liberté de vous assurer que nous n'avons d'autre volonté que la vôtre, Monseigneur, et que nous y serons toujours entièrement dévoués.&emdash; SOUELET-DESVIEUX-HEBERT-FONTANIEU-PELETYER-TARDIF-HELISSANT à Paris ce XII Juillet 1700. "

Les navires de la Compagnie le Phélypeaux et la Perle-d'Orient partis quelques jours après la division de Châteaumorant, la rejoignirent au Cap le 27 mai, et les quatre vaisseaux firent voile le 7 juin pour faire ensemble le trajet du canal de Mozambique que l'on croyait infesté de forbans.

Le Phélypeaux prit d'ailleurs immédiatement les devants et mouilla devant Pondichéry le 12 août. La Perle-d'Orient, laissant la division Châteaumorant à l'île Anjouan le 21 juillet, arriva à destination le 22 août quelques heures seulement avant, l'Agréable et la Mutine, qui suivaient de près.

Conférences avec le directeur François Martin, revue des troupes de la petite garnison composée de deux compagnies, installation de quelques nouveaux officiers, réapprovisionnement du fort en armes et en munitions, telles furent les occupations de Châteaumorant et du chevalier de Luzançay, commissaire de l'escadre, pendant le séjour de la division à Pondichéry.

Parmi ses instructions, Châteaumorant avait deux indications à remplir: nettoyer la mer des forbans et prendre possession de Merguy, si toutefois les circonstances Ie permettaient.

Les forbans avaient bien fait parler d'eux encore récemment dans le golfe du Bengale en pillant deux navires de Surate appartenant aux sujets du Mogol, mais on ne savait où aller les chercher et le temps manquait, car Châteaumorant avait ordre de se mettre en route pour Surate vers le 1er octobre. Quant à Merguy, les négociations préparatoires du P. Tachart ayant échoué, un missionnaire, le Père de Quermener (devenu évêque de Sur, était arrivé à Surate en 1698 sur le navire la Princesse-de-Savoie), était passé au Siam pour en établir de nouvelles, mais il était encore trop tôt pour se présenter devant Merguy.

De Châteaumorant, ayant laissé à Pondichéry les armes et munitions destinées à Merguy, partit Ie 2 octobre 1700, à destination de Surate.

Chemin faisant, il rencontra, le long de la côte de Malabar, des navires de la Compagnie; d'abord l'Etoile-d'Orient, qui venait de charger du poivre à Calicut, puis le Florissant, frété à des Arméniens qui le ramenaient de Banderabassi. A Surate, où il arriva le 22 décembre, il trouva le Saint-Louis " qui se dépeschoit de se charger pour s'en retourner en France ".

En venant à Surale, de Châteaumorant se proposait de courir immédiatement sus aux forbans. Pilavoine, que le navire Saint-Louis venait de ramener dans ce comptoir, lui fit comprendre qu'il valait mieux ne pas parler au gouverneur de cette question qui avait déjà attiré tant de désagréments à la Compagnie, mais qu'il était préférable "de redemander les billets que le Mogol avait exigé d'elle en garantie des prises qui se feroient sur ses sujets et de bien tesmoigner que c'étoit principalement pour les ravoir que le Roi avoit envoyé notre escadre."

La présence de deux navires de guerre français dans le port de Surate ne fut pas sans causer quelque inquiétude au gouverneur qui fit les premières avances en envoyant ses compliments. Mais, quand on réclama les billets, il reprit la comédie diplomatique familière aux Orientaux et dont il avait régalé des Augiers.

A ce moment, d'inquiétantes nouvelles venant d'Europe se répandirent des loges des Hollandais et des Anglais; elles faisaient craindre le réveil de la guerre. Ces circonstances déterminèrent de Châteaumorant à presser son départ.

Le Saint-Louis, qui était chargé, s'en allait avec les vaisseaux du Roi; le Florissant, trop endommagé, restait aux Indes, et la frégate la Mutine échangeait sept de ses pièces de huit contre un même nombre de pièces de canon de douze, empruntées au Florissant, le navire l'Etoile-d'Orient, qui n'était pas prêt, devailt partir un peu plus tard.

L'Agréable, la Mutine et le Saint-Louis mirent à la voile le 20 janvier 1701. Sans s'arrêter au Cap, on gagna l'île Sainte-Hélène, où l'on mouilla le 14 avril, sans savoir comment on y serait reçu. Un petit navire anglais qui s'y trouvait, salua de sept coups de canon.

Le gouverneur de l'île se montra prévenant. Aux premières questions sur la guerre, il parut surpris; il savait bien que le roi d'Espagne était mort et que le duc d'Anjou était appelé à la succession, mais il n'avait pas entendu parler de guerre; pour lui, il n'y croyait pas. Etait-il sincère? Voulait-il donner le change aux Français, ne se sentant pas en force ? "Ce fut à nous d'en croire ce que nous voulions, mais de nous presser toujours de faire notre eau à tout événement. „

Quelques jours après, on voyait arriver un petit navire anglais de 100 tonneaux, venant des mers d'Europe et tout désemparé; un forban français, parait-il, l'avait mis dans cet état, mais les couronnes de France et d'Angleterre n'étaient pas en guerre, du moins tel était son dire; " nous n'y fîmes pas plus de cas, le gouverneur ayant despeché au-devant de luy un petit canot sans doute pour le prévenir et luy faire le bec. "

Cependant, des navires anglais venant des Indes commençaient à se présenter: d'abord deux venant l'un de Bombay et l'autre de la Chine, puis un troisième venant du Bengale, un quatrième quelque temps après; il y en eut bientôt six, et tous navires de commerce.

En même temps, de Châteaumorant voyait arriver les navires de la Compagnie française: le 30 mai, la Perle-d'Orient, venant du Bengale; le 1er juin, le Phélypeaux, sur lequel se trouvait le chef du comptoir d'Ougly, le sieur Boureau-Deslandes, qui repassait en France avec sa famille (Il mourut du scorbut, peu de jours après le départ de Sainte-Hélène).

Le Saint-Louis, ayant fait route avec la division, il ne manquait plus au rendez-vous que l'Etoile-d'Orient, qu'on avait laissé à Surate. Châteaumorant l'attendit encore inutilement pendant une semaine et se décida à lever l'ancre: " Nous partîmes donc de Sainte-Hélène le sept juin au soir; ce ne fut pas sans souvent tourner la tête de son côté et sans faire réflexion aux six vaisseaux anglais et à prez de neuf à dix millions de richesses dont ils estoient chargez; quel dommage c'estoit de les laisser ainsy si par hazard nous avions la guerre, et de ne pas les emmener en France avec nous quand ce n'auroit esté que pour grossir notre escadre. "

On toucha à l'Ascension et à l'une des Açores sans trouver plus de renseignements; enfin, le 2 août, on rencontra deux pêcheurs de morue français qui firent connaître la véritable situation.

Quatre jours après, le 28 août 1701, l'Agréable, la Mutine, le Saint-Louis, la Perle-d'Orient et le Phélypeaux arrivaient dans la rade de Groix. L'Etoile-d'Orient, qu'ils avaient vainement attendu à Sainte-Hélène, était déjà rendu au Port-Louis depuis le 8 juillet.

Quand la division de Châteaumorant et les trois vaisseaux de la Compagnie arrivèrent au Port-Louis, la France était encore en paix avec l'Angleterre, mais la guerre dite " la succession d'Espagne" allait s'ouvrir.

Le roi Charles II était mort le 30 octobre 1700, laissant la couronne d'Espagne au petit-fils de Louis XIV, le duc d'Anjou. Le roi de France le présenta à sa cour le 16 novembre en disant: "Messieurs, voilà le roi d'Espagne" et quelques semaines après, le roi Philippe V parlait pour Madrid.

L'Autriche, frustrée dans ses espérances, commença la guerre au printemps de 1701 par l'invasion du Milanais, dépendant de la couronne d'Espagne. Seul, l'Empereur ne pouvait espérer vaincre la France et l'Espagne réunies; malheureusement, Louis XIV ne fit rien pour s'assurer la neutralité des autres puissances de l'Europe. Jacques II étant mort à Saint-Germain le 10 septembre 1701, il salua le prince de Galles sous le nom de Jacques III, roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. C'était un nouveau défi porté à l'Angleterre qui n'attendait que l'occasion de se déclarer.

Aussitôt une nouvelle coalition se forma entre l'Angleterre, la Hollande, l'Autriche et l'Allemagne; le Portugal y entra un peu plus tard. Ces graves événements allaient créer à la Compagnie de nouvelles difficultés.

Mais avant, le 30 décembre 1700, les directeurs avaient décidé, en séance particulière, de faire un nouvel emprunt (quatrième emprunt) à 8 % d'intérêt pour l'armement de 1701, et, malgré l'accroissement constant du déficit, ils croyaient devoir distribuer aux actionnaires le dixième et le onzième intérêt maritime; celui de l'année 1695, payable comptant, et celui de 1696, payable au mois de novembre1701 (reporté de six mois en six mois, et fractionné, il ne fut complètement soldé qu'en 1704).

Les embarras financiers de la Compagnie n'arrêtaient d'ailleurs pas le développement des intérêts français aux Indes, car un autre mobile que l'utilité des actionnaires y présidait. "Le Roy est tout puissant, Monseigneur, la Compagnie est faible", écrivaient les directeurs au ministre, et, de fait, elle n'avait jamais été considérée par le Roi que comme un instrument de domination aux lndes. Pondichéry devenait de jour en jour une place plus importante et le Roi y entretenait des troupes payées par la Compagnie. Un édit royal du mois de février 1701 fît passer le Conseil souverain de Surate à Pondichéry, qui devenait dès lors le centre juridique des Indes françaises.

L'armement de 1701 se composait de cinq navires, et les frais qui s'élevaient à 3,8 millions de L. étaient couverts par le quatrième emprunt.

1) trois navires étaient pour Pondichéry et le Bengale:
Le Maurepas, de 500 tonneaux;
Le Pondichéry, de 500 tonneaux;
Le Marchand-des-lndes, de 140 tonneaux.
            
2) deux pour Surate:
La Princesse-de-Savoie, de 800 tonneaux;
Le Bourbon, de 240 tonneaux

Ces navires quittèrent Lorient en février et mars avec des cargaisons dont l'ensemble valait plus de 3,2 millions de L. Celles que les navires de l'armement de 1700, le Saint-Louis, la Perle-d'Orient, le Phélypeaux, l'Etoile-d'Orient, rapportèrent au Port-Louis en juillet et août 1701, jointes à celles de la Toison-d'Or de l'armement de 1699, rentré en décembre 1700, ne produisirent à la vente du mois d'octobre que 2,7 millions de L. L'argent se faisait rare et une partie des marchandises resta invendue.

La situation devenant de plus en plus critique, les directeurs s'adressèrent au ministre Jérôme de Pontchartrain, président de la Compagnie, et au contrôleur général des finances Chamillard. Ceux-ci écoutèrent favorablement leurs doléances et promirent d'en référer au Roi.

La faveur dont la Compagnie jouissait auprès des minisrres n'avait pas faibli; de nouveaux édits vinrenl affirmer la réalité de son privilège en punissant les fraudeurs avec un surcroît de sévérité. Les commerçants qui introduisaient en France des marchandises des Indes au détriment de la Compagnie, étaient privés à tout jamais du droit de commercer; leurs boutiques étaient murées, les enseignes arrachées; leurs commissionnaires mis au carcan pendant trois jours et les commis des Fermes complices étaient condamnés aux galères pour neuf ans. (Edit du 20 septembre 1701)

La Compagnie obtint aussi quelques nouvelles facilités pour la vente de ses marchandises: l'importation des soieries, ordinairement limitée à 150 000 L. par an, fut portée à 190 000 L.. (édit du 27 septembre 1701). L'année précédente, les ministres avaient soutenu la Compagnie contre l'adjudicataire des Fermes générales le Sieur Thomas Templier qui prétendait exercer un contrôle direct sur les marchandises de la Compagnie. Il demandait dans sa requête que les ballots fussent plombés à leur arrivée au Port-Louis et présentés à Nantes munis du plomb des Fermes. Il réclamait aussi des droits particuliers sur ces marchandises en sus de ceux fixés par le tarif de 1664.

Un arrêt du 2 novembre 1700 avait réduit les prétentions du fermier général à la production par la Compagnie d'une copie des connaissements de ses navires et à la simple déclaration aux commis des Fermes des marchandises importées. A la fin de l'année 1701, le Roi sur les représentations de Pontchartrain et de Chamillart vint directement en aide à la Compagnie en lui prêtant 850 000 L. pour une année sans intérêts (20 décembre 1701) avec cette condition toutefois que les directeurs rapporteraient chacun 40 000 L. soit en augmentation de leur fonds d'actions dans la Compagnie soit à titre de prêt et que chaque actionnaire fournirait 50% de ses actions.

Les directeurs étaient prêts à s'exécuter mais de la part des actionnaires ils prévoyaient plus de difficultés. Ils pensèrent que le moment était venu de provoquer une nouvelle assemblée générale et terminèrent l'année en votant le cinquième emprunt d'armement pour l'année 1702. 

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20 décembre 2001

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