Antoine
Boucher, alias l'abbé Boucher, alias Labbé
Boucher, alias Desforges, alias Boucher-Desforges,...
marié à une Le Gouzronc, est probablement
né à Brest, fils de Jean Baptiste,
bourgeois de Paris et de Jeanne Blanche Cassan,
originaire du Nord, il changera plusieurs fois de nom au
cours de sa vie et sera tour à tour mousse,
prisonnier des Maures, domestique d'un officier
français, maître à danser à
Pondichéry avant de débarquer à
l'isle Bourbon où il connaîtra une ascension
irrésistible. Aux côtés de
Jean-Baptise de Villers, il déploiera toute son
énergie à développer la petite
colonie. Après avoir occupé les fonctions
de garde-magasin, de procureur et de lieutenant du roy,
il finira sa vie au poste de gouverneur. L'histoire
retiendra ses mémoires dans lesquelles il
règle ses comptes avec la société
bourbonnaise du début de 18e siècle.
"Antoine Boucher
est un personnage singulier, changeant en son
identité mais constant en son ambition,
parachuté au sein d'une société
créole qu'il n'aimait pas et qui ne l'aima pas
davantage". C'est en ces traits que le père Jean
Barassin décrit l'auteur des "Mémoire pour
servir à la connaissance particulière des
habitants de l'isle Bourbon". Paradoxalement, cet
aventurier reste assez méconnu. Et pourtant, son
histoire teintée de nombreuses zones d'ombre
mérite qu'on s'y attarde. Il est vrai qu'il
contribua à brouiller les pistes en changeant
plusieurs fois de noms au cours de sa vie.
Il se nomma ainsi
Antoine L'abbé avant de devenir l'abbé
Boucher lors de son séjour aux Indes et Antoine
Boucher à son arrivée à Bourbon.
Après son second mariage, il se fait appeler
Monsieur Desforges, du nom de son père, puis signe
Desforges-Boucher une fois au poste de gouverneur. Une
particularité qui embrouilla les historiens mais
qui traduit une soif de reconnaissance
insatiable.
Rien ne
prédestinait pourtant ce breton dont personne on
n'a pas encore retrouvé l'acte de naissance
à une telle ascension. Né vers 1679
à Brest, le jeune Antoine Boucher se destine
d'abord à la prêtrise. Une vocation qu'il
abandonne brusquement en quittant le séminaire et
en coupant du même coup les ponts avec sa famille.
Tenté par l'aventure, il embarque alors pour "les
Indes" comme mousse. On le retrouve au Bengale où
il est fait prisonnier par les Maures. En 1695, il est
libéré par un lieutenant au service duquel
il reste trois ans. Mais Antoine Boucher n'est pas homme
à se satisfaire d'une telle situation. Le
gouverneur de Pondichéry, François Martin,
décide d'ailleurs de le prendre sous son aile pour
enseigner la danse à ses enfants. Un poste qu'il
n'occupera pas bien longtemps. Renvoyé pour
débauche, il choisit une nouvelle fois de mettre
les voiles, en embarquant le 17 février 1702 sur
le Maurepas. Un mois plus tard, il accoste
à Bourbon où le capitaine du navire le
recommande à Jean-Baptiste de Villers, alors
gouverneur.
"Il semble que
notre homme ait flairé aussitôt le profit
qu'il pouvait tirer d'un séjour à Bourbon
auprès d'un Villers insouciant et nonchalant",
note le père Jean Barassin dans les commentaires
qui jalonnent la réédition du
Mémoire d'Antoine Boucher.
Il ne tarde
effectivement pas à jouer un rôle majeur
dans le développement de l'île, multipliant
les initiatives pour se rendre indispensable. " Le 6
avril, il contresigne un acte de concession; le 19, il
fait l'inventaire du magasin et entreprend la
rédaction d'un "Journal de l'isle Bourbon" qui
sera d'ailleurs attribué à Jean-Baptiste de
Villers. Il ne lui suffit pas, en effet, de faire la
conquête du gouverneur. Le gain ne serait que
provisoire. Il lui faut aussi emporter l'adhésion
des directeurs parisiens de la Compagnie en
établissant devant eux ses capacités",
analyse le Mémorial de la Réunion. Des
efforts qui ne tardent pas à payer. En
décembre 1703, le Gouverneur de Villiers lui
propose le poste de garde-magasin après le
décès de René le Pontho. il est
officiellement nommé secrétaire, procureur
et garde-magasin de Bourbon. Ce qui fait de lui le second
personnage de l'île. Il en profite pour abandonner
le nom de L'Abbé, synonyme d'un passé peu
glorieux, qu'il remplace par Boucher en souvenir de sa
mère." Il signe d'une graphie large et
dominatrice", note le père Jean Barassin. Il
occupera ces fonctions de 1702 à 1709.
Cette ascension
ne l'empêche cependant pas de porter un regard
sévère sur son entourage. Pour preuve cette
description piquante d'une journée d'un gouverneur
de Bourbon : " Il aime tous les plaisirs, il ne
cherchera point à gêner son inclination et
à se faire de la peine en se privant des choses
qu'il croira le divertir. Il a beaucoup de penchant pour
le jeu : une partie du jour se passera à jouer. Il
aime la compagnie : l'on ne s'assemble pas sans boire " .
"A cette époque, les parties fines et les
histoires de jeu allaient bon train", rapporte
d'ailleurs le père Jean Barassin. Des penchants
qu'il semble lui-même adopter. "Il a beaucoup
gagné au jeu et a dépensé de
même", ajoute l'ecclésiastique. Il vit
avec Marie Touchard, la fille d'Anasthase Touchard qui
assure la vie religieuse de l'île, faute de
prêtre, et dont il aura un enfant : Antoine
Touchard né en 1709. Antoine Boucher décide
cependant de suivre Jean-Baptiste de Villers, lorsque
celui-ci regagne la France. En métropole où
il obtient un poste de Major des Gardes-côtes de
Port-Louis en Bretagne et tient garnison à
l'île de Groix à l'époque de son
mariage avec Renée Le Gouzronc.
Il n'en oublie
pas moins l'isle Bourbon. C'est d'ailleurs à cette
époque où il commence la rédaction
de son mémoire qu'il remet au directeur de la
Compagnie des Indes en 1711 (une seconde version suivra).
Un texte sulfureux dans lequel il règle ses
comptes avec la société bourbonnaise.
"Dans cette galerie de portraits, rares sont ceux qui
échappent à la vindicte de ce gouverneur et
son jugement est sans appel. Ceux qui
bénéficient de son indulgence sont
qualifiés de paresseux, d'ivrognes
invétérés ou de
fainéants", note Jean Alby en préface
d'une réédition de l'ouvrage. A cette
occasion, Antoine Boucher dresse un portrait au vitriol
de tous les habitants de l'île, décrivant
par le détail leurs revenus mais surtout tous
leurs mauvais penchants. Sous sa plume acerbe, personne
ne trouve grâce. A commencer par les premiers
colons et leurs enfants, " des bestes féroces,
des débauchez, comme vous, auxquels vous n'avez
jamais fait donner la moindre éducation (...).
Vous les avez élevés comme des cochons
à l'angrais, dans une honteuse oisiveté.
Vous les avez nourris à la destruction de l'isle,
dont vous avez dépeuplé les bois de
bestiaux (...). Vous leur avez donné l'exemple de
l'ivrognerie et des autres débauches". Il est
également intraitable avec les mulâtres. "
Vous voulez estre blancs et vous pratiquez une vie de
nègre (...). Comme eux, vous fuyez vous cacher
dans les bois pour échapper aux punitions que vous
avez méritées ; comme les nègres,
vous volez et massacrez les bestiaux d'autrui ; les
nègres le font par crainte d'être
maltraitées s'ils ne rapportent pas de gibier,
mais, vous le faites par votre inclination quy vous porte
à piller le troupeau entier de vos voisins".
Son jugement est tout aussi impitoyable vis-à-vis
de tous les flibustiers et autres aventuriers qui ont
trouvé refuge à Bourbon. "Il y a quatre
jours vous étiez l'horreur du genre humain,
errants par les mers sans sçavoir que devenir, ni
quel sort serait le vôtre dans le détestable
métier de pirate que vous exerciez". Il se
fait encore plus virulent, lorsqu'il parle des esclaves.
"Le nègre est plus noir que le diable",
écrit-il sans détour.
Les propos sont
si venimeux que ce texte restera longtemps secret.
"Adressé le 17 février 1711 par la
Compagnie au gouverneur Parat, il fut conservé aux
archives de la Compagnie des Indes puis à celles
de la Marine. Joseph de Villèle, ministre de
Charles X, et marié à une créole que
ses ennemis politiques feignaient d'appeler la
négresse, donna l'ordre, qui fut respecté
jusqu'à nos jours, de garder secret le
Mémoire de Boucher. Cependant, Pierre Margry,
à la fin du 19e siècle, en fit faire une
copie assez fidèle, qui à sa mort, fut
déposée à la Bibliothèque
Nationale, où chacun put avoir le loisir de le
consulter", note le père Jean Barassin dont on
trouve les commentaires dans la réédition
de ce texte réalisée en 1978 par
l'association des chercheurs de l'Océan Indien.
L'ecclésiastique en profite pour mettre à
nu la personnalité d'Antoine Boucher.
"Il souffrait
de complexe de supériorité intellectuelle
et morale, d'autorité et de fonction,
d'honorabilité et de frustration, mais surtout il
était profondément raciste (...).On imagine
ce qu'a dû souffrir Boucher, de se voir
plongé dans un monde constitué aux quatre
cinquième par des gens de couleur",
écrit-il avant de poursuivre sur le même ton
pour analyser l'aversion de l'ancien garde-magasin
vis-à-vis de ses contemporains : "Tous ces
rescapés de la colonie de Madagascar ou du
massacre de Fort-Dauphin, ces revenants de la guerre des
Indes, ces évadés de la flibuste ou de
geôle française, voulaient jouir, pleinement
et sans borne, de leur sursis de vie. La façon de
vivre de ces gens, oisive, simple,
décontractée, sans complexes, dans une
île tropicale et hospitalière, où
l'existence était facile bien que rudimentaire,
heurtait les concepts de vie, civilisée et
policée de l'administrateur Boucher et son
âme de "petit maître" se trouvait
déconcertée par la grossière
simplicité de moeurs et manières, par les
sans-gêne narquois de ses administrés".
Ce qui n'empêche pas le père Jean Barassin
de trouver dans ce Mémoire de nombreux
détails qui permettent de se faire une idée
assez précise de la vie quotidienne de l'isle
Bourbon à cette époque. Une analyse que
partage Daniel Vaxelaire dans "L'histoire de la
Réunion". Mis à part les nombreux partis
pris, ce texte regorge en effet de renseignements sur les
premiers colons. "On y voit une petite
société parfois paresseuse, parfois
industrieuse, vivant de manière fruste dans des
cabanes de bois, un petit monde de métis aux
personnages contrastés : le pire et le meilleur
s'y côtoient...", raconte Daniel Vaxelaire dans
"L'histoire de la Réunion". Mais curieusement,
l'histoire entre Antoine Boucher et Bourbon est loin
d'être terminée.
En 1710, il se
marie par amour avec Renée Le Gouzronc avec qui il
aura deux enfants dont Antoine-Marie qui deviendra plus
tard gouverneur des Isles de France et de Bourbon. Au
décès de son épouse, il
décide de faire, en 1716, un mariage de raison
avec Gilette Charlotte DU HAMEL, fille d'un officier de
marine de la Compagnie et nièce de d'Hardancourt,
futur Directeur de la Compagnie des Indes. Un appui qui
va l'aider à reprendre du service, notamment dans
la perspective de lancer la culture du café
à Bourbon dont il rêve de devenir
gouverneur.
Pour ce joueur,
ce fut son plus beau coup. " Ce Tartuffe qui va se
blanchir aux isles" sera candidat au poste de
Gouverneur de Bourbon en 1718, mais la Compagnie lui
préférera de Courchant. Même sa
nomination comme Lieutenant sur proposition de la
Compagnie des Indes fut contesté par le Conseil de
Marine. Il avait mis son veto arguant "convenant de
mettre dans un pareil poste un homme dont les services et
la naissance soient connus". Position partagée
par le gouverneur Parat qui écrit "le
nommé Boucher, homme de basse extraction qui passa
aux Indes, en 1698 était valet du Sieur de
Séguier, capitaine de Frégate...
s'était attiré le mépris des
habitants de Bourbon par sa mauvaise conduite et il ne
pourra avoir l'autorité nécessaire pour les
contenir dans leur devoir".
Antoine Boucher
n'en reste pas là et joue de ses relations et de
sa connaissance de l'île pour arriver à ses
fins. Des efforts qui finissent par payer. En 1718, il
regagne Bourbon avec le titre ronflant de "chef directeur
et gouverneur général du comptoir de la
Compagnie". Il va alors se dépenser sans compter
pour développer la culture du café. Ce qui
lui vaudra d'être nommé lieutenant
auprès du gouverneur Beauvallier de Courchant puis
de lui succéder en 1723. Antoine Boucher qu'Albert
Lougnon dans sa thèse sur "L'île Bourbon
pendant la régence" dépeint comme un
"pionnier et un "boeuf de labour" doit cependant
composer avec plusieurs fléaux naturels. Des
cyclones et le merle de Bourbon mettent en effet à
mal la production. Un malheur ne venant jamais seul,
Antoine Boucher devenu Desforges-Boucher est
accusé par ses ennemis de faire du commerce pour
son propre compte et du même coup de
négliger les intérêts de la
Compagnie. A tel point que cette dernière
décide de lui retirer sa confiance et nomme un
nouveau gouverneur qu'elle charge d'enquêter sur
les activités de son prédécesseur.
Antoine Boucher décédera cependant avant
que la nouvelle n'arrive à Bourbon. Il n'a alors
que 45 ans et se préparait à coloniser
l'île Rodrigues.
Pionnier
dans la création de la commune de
Saint-Louis
L'histoire de
Saint-Louis commence véritablement avec
l'arrivée du deuxième gouverneur de
l'île le 9 mai 1671, Jacques de la Heure, dit la
Hure. Il fut si intolérant et si brutal que des
colons préférèrent abandonner leurs
maisons et se réfugier dans le Sud (le Quartier de
la Rivière Saint-Etienne - futur St Louis). La
Hure fut révoqué puis arrêté,
mais aucun des fugitifs ne voulut retourner sur sa terre.
L'histoire a conservé les noms de Pierre Cadet,
"Le Chef", Roulof, Payet, Nativel (Pierre et Mathieu),
Fontaine, qui avaient trouvé, outre la
liberté, la fertilité du sol et l'abondance
des tortues et du gibier.
Le premier
propriétaire de la région fut Antoine
Labbé dit Antoine Desforges-Boucher.
Desforges-Boucher obtient en 1718 à sa demande la
concession du Gol. Il s'y établit et fit
bâtir le fameux château qui a disparu depuis.
Il devient le 23 Août 1723 gouverneur de
l'île Bourbon jusqu'en 1725.
A partir de 1727,
le gouverneur Pierre Benoît Dumas. attribue 66
concessions en moins de quatre mois, dont 50
dépassent les limites de la Rivière
d'Abord.
En 1730, le
gouverneur Pierre-Benoît Dumas autorise le
père Carré à construire une
église. La chapelle en bois est
dédiée à Saint-Pierre en
mémoire du fils Pierre Cadet-Louis. Le quartier
Saint-Etienne devient le quartier Saint-Louis.
Détachée
de Saint-Paul dès 1726, la paroisse reste
associée à Saint-Louis jusqu'en 1735. Elle
dénombre alors une centaine de familles, qui
craint l'attaque de marrons, se déplace
difficilement en l'absence de moyens de communications,
se sent oublié et lésée des
autorités coloniales. Pour éviter des
insurrections, Dejean, membre du Conseil Supérieur
de Bourbon et plus tard commandant du quartier,
établit rapidement un plan de ville. Il fait
construire une église, une place d'arme, de beaux
bâtiments, dont plusieurs sont encore
conservées comme la sous-préfecture ou la
mairie de 1767. Mais un autre problème subsiste :
la région manque cruellement d'eau, malgré
une végétation luxuriante.
Mais ce n'est
qu'en 1815 que Saint-Louis sera érigé en
commune indépendante.
Auteur
d'un traité agricole
Antoine Boucher a
complété son Mémoire d'un chapitre
agricole. "Tout ce que l'on y sème ou plante, y
vient parfaitement bien, quoique presque toutes les
plantes, qui y sont, soient venus de différents
endroits et climats", note-t-il. On y apprend que les
colons cultivaient aussi bien le riz que le coton, la
canne, le raisin, le tabac, les choux-fleurs, les melons
et même les asperges. Pour ces deux derniers
légumes, Antoine Boucher reconnaît cependant
que les essais sont loin d'être concluants. Ce qui
n'est visiblement pas le cas des citrons et des oranges.
"Ils sont en abondance à l'Isle Bourbon. Il y en a
même toute l'année qui se perdent sous les
arbres, les habitants n'en faisant aucun usage",
écrit-il.
Antoine Boucher
indique par ailleurs qu'on trouve beaucoup de miel
sauvage. "Les mouches se forment dans les arbres creux
où elles trouvent à nicher. Le miel est des
plus beaux et des plus purs", raconte-t-il. Certains
habitants en font même du vin qu' "on peut garder
tant que l'on veut et qui est comparable à un
très bon vin d'Espagne", ajoute-t-il avant de
mettre en garde les lecteurs sur les effets secondaires
de ce breuvage. "Il donne des coliques
fâcheuses".
Il reproche par
contre aux colons d'avoir décimé les
réserves naturelles de l'île, à
commencer par les tortues, le gibier et les poissons
d'étangs.
d'après
Jean-Yves Bouteloup
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