Lorsque
la Déclaration du Roi établit les statuts
de la Compagnie, Louis XIV concédait à
celle-ci, contre son gré d'ailleurs, Madagascar et
les iles voisines ; il entendait se réserver la
nomination du gouverneur, qui relevait ainsi plutôt
de lui que de la Compagnie. Louis XIV prévoyait
alors que cette île lui serait une base
d'opérations de premier ordre pour le
développement de l'empire colonial qu'il
rêvait d'établir dans les Indes, empire
auquel il donnait par avance le nom de France orientale
(Gallia orientalis) ; aussi tenait-il à y engager
d'abord les intérêts de la Compagnie. La
1ère expédition fut ainsi dirigée
sur Madagascar, où la Compagnie Ricault-de La
Meilleraie avait déjà des
établissements.
Elle
fut organisée avec le plus grand soin et avec une
science des choses coloniales inattendue. On fit appel
aux colons par une affiche imprimée,
répandue dans tout Paris, et parmi un grand nombre
d'artisans de tous métiers qui se
présentèrent, attirés par les
avantages qu'on leur promettait, on choisit une
élite, dont les connaissances variées
permettaient d'exploiter les ressources d'une
colonie.
Le
modus vivendi de la colonie et les rapports avec les
indigènes furent réglés par une
sorte de code imprimé ayant pour titre: "Statuts,
ordonnances et règlements que la Compagnie
establie pour le commerce des Indes orientales
"
Parallèlement
à cette expédition vers Madagascar, et pour
donner satisfaction aux actionnaires, une mission
d'exploration du canal du Mozambique, et du Golfe
persique est organisée. L'armement,
préparé au Havre, à la Rochelle et
à Saint-Malo, coûtait à la Compagnie
un peu plus de 500 000 L. et se composait de quatre
vaisseaux qui se rassemblèrent à Brest :
- la frégate le "Saint-Paul", 250 tx, 30 canons, 60 matelots, commandant Véron d'Oléron (amiral),
- la flûte le "Taureau", 250 tx, 22 canons, 64 matelots, capitaine Kergadiou, gentilhomme breton,
- la "Vierge-de-Bon-Port", 300 tx, 30 canons, 60 matelots, capitaine Truchot de la Chesnais (de Saint-Malo),
- une petite frégate, l"Aigle-Blanc", 60 tx, 60 canons, capitaine de La Clocheterie (de La Rochelle).
En tout
230 hommes d'équipage d'élite, et 288
passagers, colons, soldats et fonctionnaires, parmi
lesquels les plus importants étaient le sieur de
Beausse, président du conseil de la France
Orientale, Souchu de Rennefort, secrétaire du
conseil, et de Montaubon, lieutenant civil. Ces trois
personnages devaient former à Madagascar une sorte
de conseil provisoire en attendant la nomination d'un
conseil souverain qu'une autre expédition
amènerait sur l'île
ultérieurement.
La
petite escadre partit, de Brest, le 7 mars 1665. Le 3
juin, un peu avant d'arriver, à la latitude du cap
de Bonne-Espérance, les boîtes
cachetées au sceau de la Compagnie, et conte-nant
les instructions, ayant été ouvertes, des
dissentiments com-mencèrent à se
déclarer entre les chefs de l'expédition
D'autre part, parmi l'équipage de l'Aigle Blanc,
une lutte ouverte éclatait entre catholiques et
protestants qui le composaient.
À
partir du cap de Bonne-Espérance, le "
Saint-Paul ", fit route à part et mouilla
le 10 juillet devant Fort-Dauphin Ce n'est pas sans
surprise et sans défiance que le gouverneur
Champmargou, qui tenait Fort-Dauphin apprit que la
Compagnie de La Meilleraie était
dépossédée.
Le 14
juillet, l'équipage du " Saint-Paul " prit
possession de l'île au nom de la nouvelle
Compagnie, et l'on fit l'inventaire du matériel
appartenant à l'ancienne. L'état des
Français, qui au nombre d'une soixantaine
occupaient Madagascar à ce moment, était
des plus précaires.
Vers la
fin du mois d'août, deux des trois autres vaisseaux
qu'on attendait, le " Taureau " et la "
Vierge-de-Bon-Port ", arrivèrent en vue de
Fort-Dauphin Ils avaient touché à
l'île Mascareignes ou Bourbon et y avaient
laissé une vingtaine de colons.
Le
Conseil particulier de Madagascar fut alors
installé, il se composait de M. de Beausse,
président ; Champmargou, capitaine commandant
d'armes ; Souchu de Rennefort, secrétaire du
conseil ; De Montaubon, juge civil.
Pour
répondre aux instructions, le vaisseau le
"Saint-Paul" partit le 17 septembre pour explorer
la route des Indes par l'île de Socotora,
l'entrée de la mer Rouge et aller jusqu'au golfe
Persique. Mais ce navire ne dépassa pas la pointe
nord de Madagascar ; son équipage lui fit prendra
bientôt la route du retour vers la
France.
Le 3
novembre paraissait enfin l'Aigle-Blanc, Ce petit
navire était d'abord passé à
l'île Bourbon, puis à Galemboule, poste
situé sur la côte nord-est de Madagascar,
où il n'avait trouvé pour seuls colons que
deux Français dans le fort Gaillard. Il y avait
laissé 18 colons et des marchandises et
était encore allé à l'île
Sainte-Marie en face de Galemboule avant de gagner
Fort-Dauphin
Parmi
les instructions données à cette
première expédition, une des principales
était l'ordre d'expédier en France, dans le
plus brefs délais, un navire chargé
d'échantillons de tous les produits qu'on pouvait
retirer de Madagascar et des lles voisines. Il
était essentiel en effet de mettre sous les yeux
et aux mains des intéressés un premier
résultat palpable et plein de promesses pour la
suite de l'entreprise.
Le 12
février 1666, le navire la
"Vierge-de-Bon-Port", bondé de marchandises
était prêt à mettre à la voile
lorsqu'on vit arriver un houcre de 120 tx, le
"Saint-Louis". Ce petit navire était parti
du Havre le 13 juillet 1665, en compagnie du houcre le
"Saint-Jacques" dont il s'était
trouvé séparé en route; il arrivait
de l'île Bourbon où il avait fait
escale.
La
"Vierge-de-Bon-Port" leva l'ancre, le 20
février, à destination du Havre, emmenant
Souchu de Rennefort qui abandonnait la colonie. Sur le
point d'arriver en France, le navire fut attaqué
et coulé à fond par des corsaires anglais
devant Guernesey, le 9 juillet 1666. Son équipage
recueilli par l'ennemi, fut conduit en Angleterre, le
capitaine Truchot de La Chesnaie mourut en
captivité à l'île de Wight, au
commencement d'août ; quant à Souchu de
Rennefort, il revint en France le 25 avril 1667. Ainsi se
trouvait anéanti le seul résultat
commercial qu'avait produit cette première
expédition.
PREMIÈRE
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ACTIONNAiRES
EN 1665.
D'après
les statuts de la Compagnie et la déclaration du
Roi enregistrée le 1er septembre 1664, la
première réunion générale des
actionnaires devait avoir lieu à Paris trois mois
après l'enregistrement, c'est-à-dire le 1er
décembre de la même année. Douze
directeurs généraux pour Paris et neuf pour
la province devaient être élus pour janvier
1665.
L'époque
de cette réunion avait toujours été
retardée par le Roi qui, ayant en main les syndics
directeurs provisoires, pouvait donner aux
premières opérations de la Compagnie
l'impulsion qu'il préférait sans rencontrer
la moindre résistance. Mais cette violation des
statuts jointe à d'autres
illégalités amenait un refroidissement
inquiétant dans l'ardeur déjà bien
tiède des souscripteurs ; et comme sur les 15
millions d'actions, 6,8 millions de L. restaient encore
à souscrire, il était urgent de rentrer
dans la légalité. Toutefois, Louis XIV
entendait bien rester maître de la situation. Aussi
est-ce au Louvre, dans l'appartement même du Roi,
que la première assemblée
générale fut convoquée pour le 20
mars 1665, à une heure de l'après-midi
L'expédition de Madagascar était en route,
c'était tout ce que voulait le Roi.
L'opération
capitale de cette assemblée était la
nomination des directeurs de la Chambre
générale de Paris. Ceux-ci devaient
être choisis parmi les intéressés
ayant souscrit pour 20.000 !ivres et au-dessus, et les
souscripteurs de 6.000 L. au moins avaient seuls voix
à l'élection. Le vote eut lieu à
billet ouvert, sur une liste de 104 personnes
éligibles, et le scrutin fut
dépouillé dans le cabinet particulier du
Roi, sous ses yeux. Si bien des souscriptions avaient
été arrachées par des
procédés d'intimidation, ces derniers
détails montrent également la pression qui
fut exercée sur les électeurs. Le
dépouillement du scrutin donna comme
résultat pour les douze directeurs: élus
Colbert, nommé président de la Compagnie ;
puis, pour les officiers des cours souveraines et les
gens de robe, le sieur de Thou, et pour les officiers de
finance, le sieur Berryer. Enfin pour les marchands, les
sieurs Pocquelin père, Cadeau, Langlois, Jabach,
Bachelier, Herinx de Faye, Chanlatte et
Varennes.
Ces
neuf derniers seuls prirent dans la suite une part
effective aux délibérations courantes du
bureau. Ils étaient nommés pour sept ans et
renouvelables par deux chaque année, mais cette
dernière clause ne fut
qu'irrégulièrement exécutée.
Ajoutons que sauf Bachelier et Hérinx, les
directeurs marchands étaient tous d'anciens
syndics. Le Roi était ainsi rassuré ; si
des irrégularités flagrantes avaient
été commises, les directeurs
n'attaqueraient pas la gestion des syndics. Trois des
principaux officiers attachés au bureau de la
Compagnie, le caissier, le teneur de livres et le
secrétaire, furent élus un peu plus tard
par les actionnaires.
Un
certain nombre de villes qui avaient fourni des
souscriptions suffisamment élevées (Lyon,
Rouen, Bordeaux, Nantes, le Havre), devaient être
le siège de Chambres particulières et
fournir neuf directeurs généraux
provinciaux qui viendraient s'ajouter aux douze
directeurs généraux parisiens pour composer
la Chambre générale. Il ne semble pas que
ce dernier rouage administratif ait reçu son
complet développement; en tout cas, il ne joua
qu'un rôle très effacé dans la
direction des affaires de la Compagnie.
Continuant
les traditions du bureau auquel elle succédait, la
nouvelle direction se mit aussitôt à
l'uvre. Afin de faciliter les adhésions,
plus du tiers des actions émises restant encore
à placer, on reporta la date de la fermeture de la
souscription du 31 mars au 30 septembre 1665.
Partagés
en trois commissions, les directeurs
étudièrent les trois questions qu'il
importait de trancher tout d'abord, celle du personnel
à choisir pour représenter la Compagnie
dans les Indes, celle des régions où l'on
établirait des comptoirs, et la question des
marchandises à négocier et de l'examen des
colons qui se proposeraient.
Pour le
personnel dirigeant, on ne crut pouvoir faire mieux que
de rechercher des employés ayant
déjà acquis l'expérience
nécessaire. Le sieur Caron, ancien directeur aux
Indes pour la Compagnie hollandaise, reçut les
plus grands avantages. Toutefois, ces agents
étrangers étaient, autant que possible,
doublés de représentants français
dont ils devaient faire l'éducation
commerciale.
Quant
aux contrées à exploiter,
indépendamment de Madagascar et des îles
voisines, qu'on était bien obligé
d'accepter, puisque telle était la volonté
du Roi, on désirait surtout s'établir dans
les riches contrées d'où les
Vénitiens d'abord, par la voie du Levant, puis les
Portugais et les Hollandais, par la voie qu'on voulait
suivre, avaient tiré leurs richesses.
C'était la côte d'Afrique,
l'intérieur de la mer Rouge, la côte arabe,
mais surtout le Malabar, la côte de Coromandel, le
Bengale et même la Chine et le Japon.
Enfin,
on prépara la grande expédition qui devait
aller d'abord installer le conseil souverain à
Madagascar et pousser cette fois jusqu'aux Indes pour y
fonder des établissements durables. Cette
expédition, annoncée d'abord pour le mois
de juillet 1665 avait été reportée
à l'année 1666.
En
attendant, on expédiait à Madagascar deux
houcres, le Saint-Louis et le
Saint-Jacques, qui partirent du Havre le 24
juillet 1665 avec 122 hommes, afin de prévenir la
colonie de ce retardement. Le Saint-Louis arriva
à Madagascar le 12 février 1666, tandis que
le Saint-Jacques relâchait au Brésil,
à Pernambuco. où il fut rejoint par la
flotte de Mondevergue. Ce petit armement avait
coûté 60.000 L. à la
Compagnie.
Cependant,
les actionnaires, mécontents de la direction
donnée aux affaires, en particulier de cette
persistance à s'occuper presque exclusivement de
Madagascar, tardaient à fournir le deuxième
versement ; sur 2,7 millions de L. qui auraient dû
rentrer à la caisse à fin décembre
1665, on n'avait reçu que 626.000 L. au 1er
janvier 1666 ; c'était un déficit de 2,1
millions de L. Malgré les sollicitations les plus
pressantes et les marques de mécontentement que le
Roi ne ménageait pas aux retardataires, les
actionnaires récalcitrants
préféraient se désister et perdre
leur premier versement que de s'engager plus à
fond dans une entreprise qui ne leur souriait pas ;
c'était d'ailleurs la seule sanction dont
l'article 1er des statuts les menaçait s'ils ne
continuaient pas leurs versements.
On ne
pouvait cependant renoncer à la grande
expédition dont les préparatifs
étaient déjà bien avancés,
mais la Compagnie, à peine créée,
dut pour l'achever contracter de grosses
dettes.
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