Histoire de la Compagnie des Indes
... et des Colonies d'orient

  

 

 

 

Sommaire

 

Prémices

Fondation de la Compagnie

1ère grande expédition vers
 Madagascar et
1ère assemblée générale

2ème expédition vers l'Inde

Fondation de Lorient

Projets du Roi 1668/1670
et 
la 1ère escadre aux Indes
         
         
 Opérations 1670/1675
et
Bilan de 1675
         
         
         1eres défaillances
         et
         Bilan de 1684
         

Réorganisation de la Compagnie en 1685

Armements de 1685/1689

Lorient en 1690

L'Affaire du Siam

Armements mixtes 1690/1697

La Compagnie pendant la guerre 1690/1697

Armements 1697/1701

Décadence 1701/1706

Captation de la Compagnie par les Malouins

Liste des bâtiments de la Compagnie

Un exemple de navire .......... "Le Boullongne"

Histoire des Iles mascareignes

Les escales françaises de la route des Indes

Antoine BOUCHER

 

 

 

   

 

 

 

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L'affaire du Siam

En l'année 1690, les intérêts français en Orient n'étaient pas limités aux seules opérations de la Compagnie. Louis XIV, après l'échec de l'expédition de M. de La Haye, n'avait pas abandonné la suite de sa politique en Orient. Il avait un nouvel objectif : le royaume de Siam.

Depuis les croisades jusqu'à une époque très récente de notre histoire, la religion fut constamment l'introductrice de l'influence française au Levant et en Orient. Lorsque les progrès des découvertes géographiques eurent ouvert le chemin de l'Extrême-Orient au monde européen, capucins, missionnaires, jésuites et autres religieux furent les premiers pionniers français qui suivirent les traces des Portugais et des Hollandais dans les Indes orientales, et frayèrent même des voies nouvelles inconnues à ceux-ci. Puis, les progrès de la Compagnie française des Indes et des expéditions ayant un cachet plus militaire, ordonnées par Louis XIV, firent pénétrer à leur suite des marchands, des soldats et des diplomates. La religion, le commerce et la politique se prêtèrent alors un mutuel appui.

En 1658, à l'instigation du R.P. Alexandre de Rhodes, natif d'Avignon, trois Français furent envoyés, avec le titre de vicaires apostoliques, pour entreprendre les missions de Chine, du Tonquin, de Cochinchine et du royaume de Siam. Ces trois évêques étaient:

- Mgr François Pallu, évêque d'Héliopolis, originaire de Tours où il fut chanoine de Saint-Martin;
- Mgr Pierre Lambert, évêque de Béryte, détaché de Rouen où il avait une charge à la cour des comptes de 
Normandie;
- Mgr Ignace Cotolendy, évêque de Metellopolis, natif de Provence et ayant un bénéfice à Aix.

La première difficulté qu'ils eurent à vaincre, était d'ordre politique et avait sa source dans les résistances d'une cour européenne. Le Portugal, en effet, s'appuyant sur la bulle surannée du pape Alexandre VI (Inter cætera... de 1494 divisait toute la partie du monde terrestre à découvrir par une ligne idéale passant 6176 milles à l'est des Açores et rejoignant les deux pôles. Toutes les terres à découvrir à l'est étaient du domaine des Portugais (Indes Orientales) et toute la partie à l'ouest (Indes Occidentales) était dévolue à l'Espagne. L'autorité du pape était si grande à cette époque quo la décision d'Alexandre Vl fut acceptée par toute la chrétienté, mais on comprend combien dans la suite elle dut aliéner à la papauté l'esprit des Hollandais et des Anglais), s'opposait à la nomination d'évêques français dans les Indes. Mgr de Béryte obtint cependant gain de cause auprès du pape Clément IX, ce qui n'empêcha pas le Portugal, lors de l'élection de son successeur Clément X, de réclamer encore et sans plus de succès la révocation des évêques français.

Ces évêques, accompagnés par d'autres ecclésiastiques, partirent successivement de Marseille pour la voie du Levant, et, traversant la Syrie, la Perse et les Indes, se dirigèrent vers la presqu'île malaise.

Mgr Cotolendy n'arriva pas au terme de son voyage; il mourut le 16 août 1662, aux environs de Masulipatam. Les deux autres évêques parvinrent, à travers la presqu'île malaise, jusqu'à Juthia ou Siam, ville capitale du royaume de Siam: Mgr de Béryte, le 22 août 1662 et Mgr d'Héliopolis le 27 janvier 1664. Leur influence s'établit immédiatement prépondérante auprès du roi Phra-Naraï, élevé sur le trône de Siam depuis l'année 1656.

Appuyés par un aventurier, le Grec Constance Phaulkon, qui avait su gagner la confiance du roi, ils obtinrent l'autorisation de construire un séminaire et un hospice, et s'occupèrent immédiatement da propagande religieuse, enseignant en même temps les langues et les sciences mathématiques.

Dès que les progrès de la mission commencèrent à se dessiner, l'évêque d'Héliopolis reprit le chemin de l'Europe, qu'il quitta de nouveau en 1670 sur un vaisseau de la Compagnie, le Phénix, et passant par les comptoirs des Indes, il arriva au Siam en 1673, avec des lettres du pape et du roi de France, pour le souverain du pays.

Il fut reçu cette fois avec magnificence, et, à cette occasion, les évêques obtinrent (concession énorme) d'être introduits devant le roi à la mode européenne, c'est-à-dire qu'ils ne furent plus astreints à se mettre pieds nus et à se prosterner le visage contre terre. À partir de ce moment les évêques devinrent de plus en plus les familiers du roi. Celui-ci avait fait bâtir une villa de plai-sance à Louvo, comme une sorte de Versailles, à deux journées de la capitale; c'est dans ce lieu qu'il se plaisait à les recevoir en audience particulière, s'entretenant avec eux de sciences et même de ques-tions religieuses, apprenant par leurs récits à considérer le roi Louis XIV comme le triomphateur de l'Occident.

Le roi de Siam en vint à désirer lui-même d'envoyer à ce puissant monarque une ambassade solennelle pour solliciter son amitié, et il voulait en confier immédiatement la conduite à Mgr de Béryte. Malheureusement, l'état de guerre existant entre la France et la Hollande rendait les mers peu sûres, surtout pour les navires français, depuis la reddition de Saint-Thomé, et les évêques différaient cette expédition à une époque plus favorable, sans faire connaître au roi le motif de ce retardement.

Quand la paix de Nimègue (16 août 1678) fut connue dans l'Orient, ce projet fut repris et fortement secondé par des influences nouvelles. Jusqu'alors, la propagande religieuse était seule entrée en action, ayant d'ailleurs à lutter, non seulement contre les résistances indigènes, mais aussi contre les menées des Hollandais et surtout des Portugais. Malgré ces obstacles, l'influence catholique française devenant prépondérante en Orient, de nouveaux vicaires apostoliques subordonnés aux évêques de Béryte et d'Héliopolis, furent créés pour assurer la propagation de la foi catholique dans la Chine, le Tonquin, la Cochinchine et le Japon éventuellement, le foyer principal de l'oeuvre restant fixé au Siam. Après la paix de Nimègue, lorsque la Compagnie française des Indes eut fondé des comptoirs bien assis dans les Indes, les missionnaires songèrent à s'appuyer sur ces établissements tout en les faisant profiter des résultats qu'ils avaient eux-mêmes acquis.

Déjà, en 1672, Mgr d'Héliopolis, lors de son retour au Siam, avait, en passant à Surate, engagé les directeurs Gueston, Blot et Baron à se mettre en communication avec les rois de Siam et du Tonquin pour préparer l'établissement de comptoirs dans ces pays après la paix.

En 1679, nous voyons le supérieur des missionnaires installés à Surate, M. Duchesne, obéissant aux mêmes inspirations, obtenir du directeur chef du comptoir, François Baron, l'envoi au Tonquin et au Siam de trois navires: le Tonquin, à destination du Tonquin ; la Vierge, pour Tenasserim ; et le Vautour qui devait aborder à l'embouchure du Menan, le fleuve de Siam.

Lettre datée de Brodera, 10 janvier 1682, que le sieur Roques, commis du comptoir de Surate, adressait aux directeurs de la chambre générale, à Paris. Tous les agents de la Compagnie aux Indes n'avaient pas pour les religieux la même déférence que le directeur François Baron ; Roques, dans sa longue lettre, se plaint des menées accaparantes des missionnaires, et détaille les frais qu'il en coûte à la Compagnie.

" Voyez, écrit-il, s'il vous plaist, Messieurs, quand ils trouvent la bonne veine comme ils purgent . Qui souffre de tous ces projets, c'est vous, Messieurs, payez les intérêts des sommes qui furent empruntées en ce temps-là, pour condescendre aux institutions de ces Messieurs qui viennent toujours à la charge pour vous engager davantage, comme se peut remarquer par le traité que je viens d'escrire qui ne manqueroit pas de matière sur un si digne sujet de remplir une main entière de papier à !aire des réflexions sur tant d'inconvéniens que ces Mes-sieurs pourront vous causer ".

Ce dernier navire, chargé de présents pour le roi de Siam, emportait M. Duchesne et M. Boureau-Deslandes, un des principaux agents de la Compagnie des Indes. Les deux envoyés devaient obtenir une audience du roi de Siam Boureau-Deslandes devait se mettre à la disposition des évêques, et, s'il ne recevait d'eux aucune mission particulière, s'employer à installer au Siam un comptoir de commerce. Enfin, le navire était surtout destiné à embarquer, et à conduire en France, l'ambassade du roi de Siam. L'oeuvre purement religieuse des missionnaires prenait dés lors une tournure commerciale et politique.

Le Vautour arriva à la barre de Ménan en septembre 1680, et, après l'avoir franchie, fut reçu à Bangkok avec les démonstrations les plus honorables. Des trois évêques du Siam, Mgr de Béryte était mort récemment (1679) de la pierre, et Mgr d'Héliopolis (mort à Fokien, en Chine, en 1684) était retourné en France pour ménager les intérêts des missions. Le nouvel évêque de Metellopolis, Mgr Louis Laneau (mort au Siam en 1696), de Monbleau (diocèse du Mans), était seul dans le pays Connaissant la langue siamoise, il sa chargea de préparer la réception des lettres et des présents qu'apportait Boureau-Deslandes

L'accueil fait aux Français fut véritablement somptueux Après l'audience solennelle du premier jour, les jours suivants furent encore remplis par des festins, des entretiens avec le roi et la préparation des présents et des lettres que le roi de Siam destinait au roi de France et au pape

Le sieur Gayme (parti de France en 1670), supérieur du séminaire de Siam, qui remplit les fonctions d'interprète, fut chargé d'organiser les présents et d'accompagner l'ambassade en France.

La destination des présents et des lettres était caractéristique. Il y avait des présents pour le pape, pour le roi de France, pour la reine (au grand étonnement des Asiatiques), pour le Dauphin, pour Monsieur, frère du Roi, pour Colbert, chef de la Compagnie royale des Indes, et pour M. Berryer, directeur général de cette Compagnie; des lettres pour le pape et pour le Roi.

Ces lettres, gravées sur des lames d'or battu, d'un pied et demi de long et de huit pouces de large, étaient roulées et enfermées, celle pour le Roi dans un étui d'or et dans un coffret couvert de brocart rouge de la Chine, celle pour le pape dans un étui de bois de santal et dans un coffret de brocart bleu. Le barcalon, ou premier ministre du Roi de Siam, adressait d'autro part, une lettre au chef de la Compagnie des Indes à Paris. Au jour fixé par les astrologues, le 10 décembre 1680, les présents et les lettres s'acheminèrent par le fleuve Menan, jusqu'au vaisseau où ils furent reçus en grande cérémonie, et le Vautour, portant les présents, les messages et les ambassadeurs, prit la mer le 24 décembre courant.

Le 10 janvier 1681, il arriva à Bantam où la Compagnie avait une loge, et le sieur de Guilhem, chef de cet établissement, reçus les ambassadeurs dans des locaux spécialement aménagés pour eux. Cette première partie du voyage fut pénible pour l'équipage et les passagers ; le Vautour était encombré d'abord par la masse des présents qui comprenaient jusqu'à deux jeunes éléphants, puis par le nombreux personnel de l'ambassade, on ne pouvait songer à opérer une longue traversée avec un navire aussi surchargé. Après plusieurs mois de séjour à Bantam, l'ambassade s'installa sur le Soleil-d'Orient, navire de 1,000 tonneaux appartenant à la Compagnie, et se trouvant alors à Bantam. Ce navire partit de Bantam le 16 septembre 1681, et l'on resta longtemps sans avoir de ses nouvelles; on apprit plus tard qu'il s'était perdu corps et biens aux environs du cap de Bonne-Espérance.

Boureau-Deslandes, resté au Siam sur l'avis de Mgr de Metellopolis, tenta diverses opérations commerciales qui furent peu lucratives pour la Compagnie. Malgré l'appui que lui donnait le grec Constance Phaulkon, il se plaignait d'éprouver les effets de la jalousie des Maures tout-puissants à la cour; il avait aussi à lutter contre l'ascendant des Anglais et surtout des Hollandais, qui tenaient tout le grand commerce. Il fit néanmoins quelques envois au Tonquin, ayant à sa disposition un petit navire, le Saint-Joseph, qui assurait les communications entre les comptoirs des Indes et le Siam. Infatigables, les missionnaires se multipliaient ; l'évêque d'Héliopolis revenant pour la troisième fois au Siam, arrivait à la barre du Menan le 4 juillet 1681, au moment où Mgr de Metellopolis partait sur un vaisseau du roi de Siam, avec six ou sept missionnaires, pour la Cochinchine, emportant, entre autres présents pour le roi de ce pays, deux pièces de canon de nouvelle fabrique, que la Compagnie des Indes lui envoyait. Boureau-Deslandes en profitait pour y joindre une lettre à l'adresse du premier ministre de Cochinchine.

Cependant, le roi de Siam attendait toujours des nouvelles de l'ambassade qu'il avait envoyée en Europe et dont il ignorait le sort. En 1684, Constance Phaulkon envoya en France, sous la conduite du P.Bénigne Le Vachet, des Missions étrangères, deux mandarins avec des lettres pour les ministres de France, afin d'apprendre des nouvelles de la précédente ambassade. Cette seconde ambassade passa en Europe sur un navire anglais ; elle aborda dans la Tamise et gagna ensuite la France. Les deux envoyés, débarqués à Calais, furent conduits à Paris, et le 6 novembre 1684, le marquis de Seignelay, en qualité de secrétaire d'Etat et ministre de la marine, leur donna audience dans son cabinet, à l'hôtel Colbert, rue neuve-des-Petits-Champs. Le 27 du même mois, ils furent reçus à Versailles par Colbert de Croissy, ministre des affaires étrangères, et le même jour, les deux mandarins furent simplement présentés au Roi dans la galerie où ils se promenait, mais ils ne furent pas reçus en audience diplomatique, n'ayant pas été adressé au Roi, mais à ses ministres.

C'est pour répondre à cette démarche et pour reconduire les mandarins que fut organisé le premier voyage au Siam.

Cette première expédition avait un quadruple objet : politique, religieux, scientifique et commercial. Le chevalier de Chaumont en fut nommé le chef avec le titre d'ambassadeur auprès du roi de Siam, pour lequel il recevait des lettres officielles L'abbé de Choisy, nommé ambassadeur ordinaire, devait rester auprès du roi de Siam ; au cas que celui-ci fût disposé à profter de ses exhortations religieuses, il était secondé par trois autres missionnaires. L'Académie des sciences profitait de ce voyage pour recueillir des données propres à perfectionner les cartes géographiques, la navigation et l'astronomie. M. de Louvois demanda aux jésuites six mathématiciens de leur Compagnie, qui furent reçus par un privilège particulier dans l'Académie des sciences. Ces jésuites étaient les PP. de Fontenay (supérieur), Gorbillon, Le Comte, Bouvet, Visdelou et Tachard ; on leur donna un programme de mémoires à fournir, des cartes marines de la bibliothèque du Roi et toutes sortes d'instruments de mathématiques. Leurs pensions furent réglées et leurs lettres patentes expédiées pour la qualité de mathématiciens du Roi dans les Indes.

Enfin, la Compagnie des Indes chargeait sur les vaisseaux pour 100.000 livres de marchandises.

L'armement se composait de deux navires :

- l'Oiseau, vaisseau de 600 tonneaux, bâti à Dunkerque en 1670, par le constructeur Hendrick), et de 40 canons, ayant à bord M. le chevalier de Chaumont, commandé par M. de L'Aulnay de Vaudricourt, capitaine de vaisseau, capitaine en second: M. de Coriton, capitaine de frégate, lieutenants: M. le chevalier de Forbin, faisant fonction de major; M. le chevalier de Cibois, enseignes: MM. de Chamoreau et de Francine.

- la Maligne, frégate légère de 250 tonneaux et de 30 canons, commandé par M. de Joyeux d'Oléron, lieutenant de vaisseau, lieutenants: MM. du Tertre et de Saint-Villiers.

Deux gardes de la marine étaient sur l'Oiseau et six sur la frégate. Sur l'Oiseau prirent passage les deux mandarins et le P. Le Vachet, ainsi que le P. Tachard et les autres jésuites.

Cette petite division quitta Brest le 3 mars 1685, et le 4 mai toucha au Cap où l'on séjourna jusqu'au 7 juin. Les mathématiciens profitèrent de ce séjour pour faire des observations astronomiques précises et reçurent d'ailleurs toutes les facilités du gouverneur hollandais Vandestel.

Séparés par la tempête dans la traversée de l'océan Indien, les deux navires passèrent isolément à Bantam, alors au pouvoir des Hollandais, et se rejoignirent, peu de jours après à Batavia.

Le 23 septembre, on mouilla à trois lieues de la barre de Siam ; le chevalier de Forbin et le P. Le Vachet, détachés sur une embarcation du pays, pénétrèrent dans l'estuaire du fleuve Menan, pour aller annoncer l'arrivée des ambassadeurs dans les Etats du roi de Siam. Retenus par le jusant à l'entrée de la rivière, ils durent prendre terre, et le chevalier de Forbin, à peine débarqué, éprouva une déception dont on retrouve la trace dans les Mémoires qui lui sont attribués. Ses appréciations sont bien différentes des descriptions enthousiastes de l'abbé de Choisy et surtout du P. Tachard. " Nous vîmes en abordant trois ou quatre petites maisons de cannes, couvertes de feuilles de palmier, Mr Le Vacher me dit que c'était là où demeurait le Gouverneur de la Barre: nous descendîmes de notre canot, nous trouvâmes dans l'une de ces maisons trois ou quatre hommes assis à terre sur leur cul, ruminant comme des boeufs, sans souliers, sans bas, sans chapeau et n'ayant sur tout le corps qu'une simple toile dont ils couvroient leur nudité; le reste de la maison était aussi pauvre qu'eux. Je n'y vis ni chaises, ni aucun meuble, je demandai en entrant où était le Gouverneur: un de la troupe répondit c'est moi.

Cette première vue rabattit beaucoup des idées que je m'étais formées de Siam... Je dirai franchement que j'ai été surpris plus d'une fois que l'abbé de Choisy et le Père Tachard qui ont fait le même voyage et qui ont vu les mêmes choses que moi, semblent s'être accordés pour donner au public sur le Royaume de Siam des idées si brillantes et si peu conformes à la vérité...".

Quoi qu'il en soit, le cérémonial de la réception des ambassadeurs et de la lettre du Roi fut ménagé avec toute la lenteur et toute la minutie d'un rite asiatique, et accompagné de nombreuses fêtes, festins et réceptions.

Constance Phaulkon prépara ensuite une imposante ambassade, adressée cette fois officiellement au roi de France. Le favori du roi de Siam, sentant combien sa fortune l'exposait à la vengeance des grands du pays, cherchait un appui dans l'ingérence d'une puissance européenne. Il enjôla le P. Tachard, et lui persuada que le roi de Siam était sur le point d'embrasser le christianisme ; il offrit à l'ambassadeur français de recevoir une garnison française dans la forteresse de Bangkok, et promit de faire construire un collège et un observatoire à Louvo pour les jésuites. Chacun cles membres de l'expédition française trouvait ainsi son compte dans ses propositions. Enthousiasmé, le P. Tachard se chargea de conduire les nouveaux ambassadeurs siamois en France, et d'entraîner le P. de la Chaise à employer tout son crédit auprès du Roi. Dès cette époque, l'affaire de Siam devint celle des jésuites.

Si l'intérêt du commerce et des sciences ne fut pas négligé dans cette ambassade, celui de la religion tint cependant la plus grande place, et c'est ce qui paraît surtout dans une sorte de Mémoire ou Traité, qui fut présenté au roi de Siam et signé à Louvo le 10 décembre 1685; il n'y est question, presque exclusivement, que des privilèges accordés aux missionnaires et aux jésuites.

Les Français quittèrent la capitale du Siam le 15 décembre, et descendirent vers la mer, accompagnés par Constance Phaulkon. Outre la lettre du Roi son maître, lettre qu'il fit apporter solennellement au vaisseau : l'Oiseau, il chargea le P. Tachard de celle qu'il écrivait lui-même au roi de France.

On mit à la voile le 22 décembre, emportant de nombreux présents, et l'ambassade siamoise qui se composait de trois ambassadeurs, huit mandarins, quatre secrétaires et une vingtaine de valets.

Le 13 janvier 1686, le détroit de la Sonde est franchi. Séparé de la frégate par la tempéte du 15 février à la hauteur de l'île Bourbon, l'Oiseau arrive au Cap le 12 mars où il retrouve la Maligne, et les deux navires reprennent la mer le 26, pour jeter l'ancre à Brest le 18 juin.

Bien contre son gré, le chevalier de Forbin était resté au service du Roi de Siam avec M. de La Mare, ingénieur, cinq des jésuites mathématiciens et quelques officiers. De Forbin, ayant reçu le titre de grand amiral général des armées du Roi, eût à discipliner la garnison mi-siamoise, mi-portugaise de Bangkok, et à présider à la construction d'un nouveau fort destiné à recevoir la garnison française qu'on attendait avec le retour des ambassadeurs. Forbin eut, paraît-il, à se défendre contre les entreprises homicides de Constance Phaulkon (?) et dut réprimer la révolte d'une bande de Macassars, malais féroces qui avaient débarqué sur le territoire du Siam; il courut dans cette mêlée sanglante les plus graves dangers et un jeune officier, M de Beauregard, compagnon du chevalier, y reçut une blessure épouvantable dont il guérit cependant. Rebuté par ce service, Forbin passa sur un navire de la Compagnie des Indes à Pondichéry, puis à Masulipatam et retourna quelque temps après à Merguy sur le territoire siamois, où il rencontra précisément M. Céberet, qui avait été amené dans ce pays par la seconde expédition dont nous allons parler.

Lorsque le vaisseau l'Oiseau et la Maligne, sa conserve, furent arrivés à Brest, l'intendant de la marine, M. Desclouzeaux, demanda des instructions à la cour pour le transport des ambassadeurs siamois à Paris. Ceux-ci s'acheminèrent par terre en passant par Nantes et Rambouillet, ils furent reçus par le maréchal de La Feuillade et M. de Bonneuil, introducteur des ambassadeurs. On les conduisit à Paris où ils firent leur entrée solennelle, le 11août 1686, dans les carrosses du Roi, et furent traités par les officiers du Roi à l'hôtel des Ambassadeurs extraordinaires. Le 1er septembre 1686 eut lieu la réception officielle à Versailles, cérémonie dont on trouve mainte représentation dans des vignettes, estampes et même des médailles du temps.

Les ambassadeurs restèrent à Paris jusqu'au milieu du mois de janvier l687, puis retournèrent à Brest, quand l'expédition que l'on préparait fut prête à partir.

Trompé par les exhibitions fastueuses et les propositions prestigieuses de Constance Phaulkon, le P. Tachard présenta au Roi des tableaux si flatteurs, que cette affaire de Siam prit les proportions d'un événement politique de premier ordre auquel les jésuites se préparèrent à prendre la plus grande part. Louis XIV ordonna au P. de La Chaise d'écrire aux supérieurs de chaque province que les jésuites avaient en France pour leur demander des sujets. Il s'en présenta plus de 150, parmi lesquels on en choisit 14 qui vinrent à Paris se perfectionner dans la connaissance des mathématiques, par un commerce assidu avec Messieurs de l'Académie des sciences. Ils furent reçus en audience particulière, avec les marques de la plus grande faveur par Louis XIV, qui leur donna des lettres pour le roi de Siam.

Outre ces Pères jésuites, l'élément ecclésiastique de l'expédition était encore représenté par l'abbé de Lyonne, nommé évêque de Rosalie et vicaire apostolique du saint-siège, par le P. Tachard et trois missionnaires. Ils emportaient des lettres de noblesse pour Constance Phaulkon et son fils.

D'autre part, le Roi nomma deux ambassadeurs extraordinaires, les sieurs Simon de La Loubére (homme d'esprit qui fut de l'Académie française et de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, né à Toulon en 1642 (?), mort en 1729. Louis Phélypeaux de Pontchartrain, ministre de la marine, le choisit en 1694 pour accompagner son fils Jérôme, lorsque le futur secrétaire d'Etat, alors âgé de 20 ans, lit un voyage dans les ports de l'Océan pour se familiariser avec les choses de la marine) et Claude Céberet. De La Loubère, qui portait le titre de premier ambassadeur, avait dans ses attributions tout ce qui concernait la politique et la religion ; Céberet était chargé de tout ce qui touchait les intérêts du commerce français, c'est-à-dire ceux de la Compagnie des Indes orientales.

Les forces militaires, destinées à occuper les places de Bangkok et de Merguy, se composaient de douze compagnies d'infanterie, chaque compagnie comportant un capitaine, un lieutenant un enseigne, deux sergents, six caporaux et quarante-deux hommes, en tout, cinquante-trois personnes. Cette petite armée de six cent trente-six militaires, fut mise sous les ordres de M. des Farges, qui s'embarquait avec le brevet de maréchal de camp et emmenait ses deux fils. Il avait pour second M. de Bruant, lieutenant général.

Les nombreux ballots contenant les présents de la cour et ceux de la Compagnie des Indes furent rassemblés à Brest et chargés sur une véritable petite escadre, destinée à porter au Siam le nombreux personnel de l'expédition et les ambassadeurs siamois.

Cette escadre se composait de 5 navires mis sous le commandement de M. de L'Aulnay de Vaudricourt :

- le Gaillard, vaisseau du quatrième rang, (300 tonneaux, 48 canons, commandé par M. de Vaudricourt (amiral), capitaine de pavillon : M. de Saint-Clair, capitaine de frégate, lieutenant : M. de La Lère, enseignes : MM. de Chamoreau, de Joucous et de Lonbas.

- l'Oiseau, vaisseau qui avait déjà fait le premier voyage, commandé par M. Duquesne-Guiton, lieutenants: MM. de Tivas et de Freteville, ayant à bord les ambassadeurs de La Loubère et Céberet.

- la Loire, flûte de 24 canons, commandé par M. de Joyeux, lieutenant : M. de Bremes, enseigne : M. de Quistillic.

- la Normande, flûte, commandé par M. de Courcelle, lieutenants : MM. du Tertre et de Marchesolière.

- le Dromadaire, flûte plus forte que les deux autres, commandé par M. Dandenne, lieutenants : MM. de Marcilly et de Beauchamp.

- la Maligne, frégate qui avait fait le premier voyage, n'accompagnait l'escadre que jusqu'au Cap.

L'escadre mit à la voile à Brest, le 1er mars 1687 et fit escale au Cap du 10 au 29 juin. La frégate la Maligne, ayant repris la route de la France, les autres vaisseaux se dirigèrent à droiture vers le détroit de la Sonde, mais ils furent séparés pendant la traversée et l'Oiseau, commandé par Du Quesne-Guiton ayant pris les devants, arriva le premier à Batavia où il fut rejoint par le gros de l'escadre au commencement du mois de septembre. La Normande, seule, manqua au rendez-vous et on l'attendit vainement jusqu'au 7 septembre.

La réception des Hollandais ; Batavia fut des plus froides, les navires n'échangèrent aucun salut du canon avec la terre. Les jésuites, qui étaient descendus à terre avec leurs instruments, durent se rembarquer précipitamment, pour échapper aux avanies de la population hollandaise qui venait d'apprendre, par un convoi venu d'Europe, les rigueurs dont on accablait les protestants en France.

M. de Vaudricourt quitta Batavia le 7 septembre et, se trouvant le 15 dans le détroit de Banca, détacha en avant Du Quesne avec l'Oiseau, sur lequel était passé le P. Tachard. Ce navire jeta l'ancre à l'embouchure du Ménan, le 27 septembre.

Le P. Tachard, chargé des premières instructions, remonta le fleuve avec un mandarin et s'arrêta d'abord pendant quelques jour à Bangkok. Cette place que Forbin avait abandonnée était passée successivement sous le commandement de M. de Beauregard puis d'un gouverneur portugais.

En arrivant à Siam, le P. Tachard apprit que la cour se trouvait à Louvo; il se préparait à s'y rendre, lorsqu'il fut rejoint par Constance Phaulkon qui en revenait. Dans une conférence préliminaire, les propositions des envoyés français furent examinées. Outre les dispositions générales d'alliance et d'arrangement commercial, les principaux articles demandaient une protection particulière pour la religion, la remise de deux places fortes de Bangkok et de Merguy aux troupes françaises et l'envoi en France de douze jeunes gens, fils des principaux mandarins du royaume de Siam, pour y être élevés au collège de Louis-le-Grand. Constance en fit un memoire que le roi Phra-Maraï approuva, en donnant l'ordre de ne rien ménager pour l'honneur et la satisfaction des Français.

Cependant, le gros de l'escadre arrivait à la barre le 8 octobre, 10 au moment où ces conventions étaient adoptées, débarquait les mandarins ramenés de France et recevait les premiers rafraîchissements.

Le 18 octobre; M. des Farges, à la tête de toutes les troupes, s'embarquait sur les chaloupes de l'escadre et prenait possession, le lendemain, de la forteresse de Bangkok. Les envoyés de La Loubère et Céberet, descendus à terre, s'acheminèrent vers la capitale du Siam, et dès ce moment, Constance Phaulkon mit tout on oeuvre pour leur donner une haute idée des ressources du pays et les éblouir par le faste des réceptions qu'il leur ménagea. Le Roi ayant quitté Louvo pour recevoir les Français dans sa capitale, le cérémonial fut le même que pour la réception du chevalier de Chaumont, et la première audience solennelle fut suivie de plusieurs audiences particulières à Louvo.

Les jésuites, parcourant le pays, visitèrent les villes principales, les centres industriels: fonderies, mines, etc., et firent des observations astronomiques. En même temps, les établissements européens se développaient; il existait déjà une chapelle à Louvo et, à Siam ou Juthia, un collège des missions étrangères, qui avait pris le nom de Constantinien en l'honneur du protecteur des Français ; la construction d'un collège des jésuites était déjà fort avancée à Louvo, des ordres furent donnés pour en élever un semblable à Juthia.

Après environ trois mois employés en fêtes et en négociations, les Français eurent leur audience de congé et les difFérents éléments de l'expédition se dissocièrent.

Céberet, que ses fonctions de représentant de la Compagnie des Indes appelaient sur la côte de Coromandel, prit le chemin de Merguy par terre et de là passa à Pondichéry sur un navire de la Compagnie, le Président (parti du Port-Louis le 2 mars 1687, arrivé à Pondichéry le 6 août. Ce navire quitta Pondichéry le 9 février 1688 et rentra au Port-Louis le 24 août), arrivé récemment à Merguy avec le chevalier de Forbin.

Du Quesne, avec l'Oiseau, gagna Pondichéry et, au mois de janvier 1688, il prit sur son bord Céberet et Forbin pour rentrer en France. Il arriva à Brest, le 17 juillet 1688.

La flûte, la Normande, qui avait rallié l'escadre et avait accompagné l'Oiseau à Pondichéry, y resta pour le service de la Compagnie des Indes.

Le reste de l'escadre quitta le Siam le 3 janvier 1688 et arriva à Brest le 27 juillet„ amenant M. de La Loubère et le P. Tachard avec trois nouveaux mandarins, comme ambassadeurs, et sept jeunes princes siamois.

Ces mandarins ne devaient être rapatriés qu'en 1690 par l'escadre de M. Du Quesne-Guiton. Arrivés à Brest, ils furent embarqués sur la quèche, la Seine, et conduits au Havre où ils arrivèrent le 9 août, et de là à Rouen et à Paris où leur présence passa cette fois presque inaperçue. La cour étant alors à Fontainebleau, l'audience de ces ambassadeurs fut reportée à la fin de l'année que le Roi devait se trouver à Versailles.

Après cette cérémonie, le P. Tachard partit de Paris le 5 novembre pour Rome, avec les trois mandarins. Le 23 décembre ils furent reçus par le pape et lui remirent les présents et les lettres que le roi de Siam lui adressait. Le Saint-Père les combla de prévenances et leur rendit des lettres avec de précieux présents pour leur maître. Enfin, le 7 janvier 1689, ils s'embarquèrent à Civita-Vecchia sur deux navires maltais qui les ramenèrent en France,

L'expédition de Vaudricourt avait complété l'oeuvre de celle du chevalier de Chaumont et acquis les principaux résultats désirés. Les places de Bangkok et de Merguy étaient occupées par des troupes françaises, la religion et surtout le commerce avaient reçu de nouveaux avantages, en sorte que les Français pouvaient raisonnablement espérer : devenir prochainement les maîtres, dans le royaume de Siam.

Avant d'atteindre un si beau résultat, certes on avait à vaincre encore bien des difficultés, mais les envoyés de Louis XIV avaient préparé de nouveaux progrès. Avec l'appui de Constance Phaulkon, ils avaient amené le roi de Siam à demander une garde de 80 cavaliers français, ce qui devait compléter l'établissement d'une sorte de protectorat.

En France, d'ailleurs, le gouvernement poursuivait l'entreprise avec activité. Sans attendre le retour de l'expédition de Vaudricourt, avant même d'avoir reçu de ses nouvelles, Louis XIV avait déjà décidé l'envoi de nouvelles troupes. En janvier 1688, le vaisseau l'Oriflamme, commandé par M. de L'Estrille, était parti de France avec 200 soldats.

Lorsque M. de Vaudricourt fut rentré avec de nouvelles dépêches de la cour de Siam; et lorsque les trois principaux agents du Roi, MM. de La Loubère et Céberet et le P. Tachard eurent fourni leurs rapports, chacun dans la question qu'il représentait, on prépara en France une troisième expédition. Elle devait d'abord porter au Siam 80 soldats sous les ordres du marquis d'Eragny, capitaine au régiment des gardes françaises, et ces troupes étaient destinées à former la garde particulière du roi.

Louis XIV ajoutait encore 50 soldats et 200 autres qui étaient levés aux frais de la Compagnie des Indes. Les effets d'équipement et les armes n'étaient pas oubliés.

Le marquis d'Eragny, qui était appelé à jouer le rôle de représentant du gouvernement français, de résident auprès du roi de Siam, avait le titre d'ordonnateur et inspecteur général pour le service du roi de France et ce titre lui donnait autorité sur tous les autres chefs, y compris des Farges, le gouverneur de Bangkok.

Il recevait en outre des instructions particulières qui le mettaient en devoir de profiter de certaines circonstances prévues, comme la mort du roi de Siam par exemple, ou d'autres éventualités, pour s'assurer de la soumission de la cour de Siam, en employant la force même, s'il était nécessaire.

Les intérêts du commerce n'étaient pas négligés. La Compagnie des Indes avait déjà obtenu de nouveaux privilèges dans les dernières négociations, et Constance Phaulkon s'était intéressé dans son commerce pour une somme de 300.000 livres, elle fut appelée à participer à la nouvelle expédition. Outre les 200 soldats dont elle payait l'entretien, elle devait expédier une importante cargaison et armait deux vaisseaux du Roi, qui se trouvaient dans le port de Lorient (le Gaillard et l'Ecueil). On faisait entrevoir à la Compagnie le plus bel avenir pour elle au Siam et l'intendant du commerce, M. de Lagny, qui était un des directeurs de la Compagnie, entraînait ses collègues à s'engager dans cette entreprise. Il était même question de transférer le siège de la Compagnie des Indes de Pondichéry à Morguy, qui offrait aux vaisseaux un meilleur abri, et d'y transporter le directeur général Martin. Sur la côte orientale du royaume de Siam, la Compagnie aurait aussi à Bangkok un comptoir pour le commerce du Golfe de Siam, de la Cochinchine et de la Chine. Les préparatifs de la nouvelle expédition étaient en bonne voie d'exécution, lorsque le P. Tachard revint de Rome, après avoir obtenu du Pape des privilèges pour l'église chrétienne; de Siam. Le succès de l'intérêt de la religion paraissait aussi assuré que celui de l'intérêt politique, et celui de l'intérêt commercial. Les trois mandarins avaient reçu le baptême, ainsi que cinq jeunes princes que les jésuites instruisaient au collège de Louis-le-Grand. Deux autres jeunes princes macassars, envoyés par Phaulkon, avaient été tenus sur les fonts par le Roi, le duc de Bourgogne, Mme la Dauphine et Madame. L'ardent missionnaire triomphait et se préparait à faire, avec douze autres jésuites, son troisième voyage aux Indes

Cependant, de graves événements politiques survenus en Europe, la révolution d'Angleterre, l'attitude menaçante de la ligue d'Augsbourg, vinrent détourner des affaires de Siam, l'attention de la cour de France, et faire retarder le départ de l'expédition projetée.

Le Roi se proposait alors de faire sur mer un grand effort contre les Anglais et les Hollandais, et il rassemblait une flotte considérable à Brest. Le vaisseau l'Oiseau s'y trouvait au mois d'avril 1689, prêt à partir pour le Siam ; il fut retenu pour grossir la flotte de Brest. Les deux vaisseaux, le Gaillard et l'Ecueil, que la Compagnie armait à Lorient, y furent également envoyés au mois de mai.

Le départ de l'expédition avait été ajourné au mois de septembre, lorsqu'on apprit qu'une révolution avait bouleversé le royaume de Siam, et obligé les Français à abandonner les places de Bangkok et de Merguy.

Le récit de la révolution qui éclata au Siam, peu de temps après le départ de l'escadre de M. de Vaudricourt, se trouve dans une relation que M. des Farges, le commandant des troupes françaises, avait écrite comme une sorte de justification de sa conduite. Il existe d'ailleurs, une autre relation due à un jésuite, le P. d'Orléans et une troisième du hollandais Engelbert Kaempfer, qui passa au Siam en 1690.

Les versions de ces différents auteurs, varient selon leur état et leur nationalité, mais de l'ensemble de leurs témoignages, il semble résulter que cette tragédie de palais se déroula de la façon suivante.

Après le départ de l'escadre française, le roi Phra-Naraï étant atteint d'une maladie mortelle, l'attente d'une succession prochaine divisa le palais. Deux frères du roi étaient les héritiers légitimes du trône, mais Constance Phaulkon, comptant sur l'appui des Français, voulait assurer la succession à un fils adoptif du roi. Ce favori se nommait Monpi ou Prapié, D'autre part, Pitrachas, grand mandarin et neveu du roi, soutenant l'esprit national contre Constance et les étrangers, aspirait au trône

Constance, sur le point de s'emparer du pouvoir, appela à Louvo M. des Farges, qui commandait la garnison française de Bangkok, sans le prévenir de ses projets. Mais Pitrachas, brusquant les choses, prit possession du palais le 19 mai 1668 et s'assurant de la personne de Prapié et de celle da Constance, il fut massacrer immédiatement le premier. Constance, soumis à la question, fut exécuté quelques jours après. C'est sur ces entrefaites que M. des Farges arrivant à Louvo avec quelques Français, se trouva prisonnier avec ses deux fils et les autres Français qui l'accompagnaient. Pitrachas exigea de lui la promesse de remettre Bangkok aux troupes siamoises, et l'obligea à écrire une lettre a son lieutenant du Bruant qui tenait Merguy, pour lui donner l'ordre d'abandonner cette place. Des Farges trouva le moyen, par la tournure de sa lettre, de faire découvrir à du Bruant, quelque chose de ce qui se passait. Obligé lui-même de laisser comme otages ses deux fils et douze Français, il retourna à Bangkok, la rage dans le coeur, et, loin de rendre la place, il s'y fortifia et fit tirer sur les vaisseaux siamois qui passaient à portée du fort. Bientôt assiégé, il fut investi par des forces considérables que, selon lui, dirigeaient des Anglais et des Hollandais. Les événements d'ailleurs se précipitaient à Louvo. Pitrachas, tout-puissant, gardait a vue les deux frères du roi, et quand il vit ce dernier approcher de sa fin. il les fit assommer. Le roi Phra-Naraï, mourut deux jours après, le 11 juillet 1688.

Maître absolu du pouvoir, Pitrachas ne visa qu'à gagner ceux qui l'avaient combattu et chercha à s'accommoder pacifiquement avec les Français.

A ce moment, le vaisseau l'Oriflamme apparut à la barre de Menan. Ce vaisseau était parti de France sous le commandement de M. de L'Estrille au mois de janvier 1688. Des Farges se décida alors a accepter les propositions qui lui étaient faites (Parmi ces conditions. il en était une à laquelle des Farges consentit, et cet acte lui fut reproché comme une lâcheté. La femme de Constance, échappée de prison grâce à l'aide d'un officier français, s'était réfugiée dans le fort de Bangkok, mais elle fut réclamée par Pitrachas et des Farges la livra. La malheureuse femme fut réduite à la dernière servitude. Elle parvint dans la suite à se retirer à Pondichéry. La Compagnie des Indes, soit de son plein gré, soit par ordre, lui assura une rente. Nous en trouvons la preuve dans un passage d'une lettre que les directeurs écrivaient au ministre Pontchartrain le 19 janvier 1706: .... Nous continuerons de donner ordre à M. Martin et à nos commis du comptoir de Pondichéry de faire payer tous les ans à Mme la veuve Constance la somme de trois mil livres comme nous avons fait jusqu'à présent.... "); il rendit la place de Bangkok, a condition qu'il en sortirait avec armés et bagages et qu'on lui fournirait trois vaisseaux pour le rapatriement de ses troupes.

Le 29 novembre, les Français s'embarquaient sur l'Oriflamme et sur trois navires fournis par le gouvernement siamois, le Siam, le Louvo et un petit bâtiment de cinquante à soixante tonneaux. lls arrivèrent au commencement de février 1689 à Pondichéry, où ils trouvèrent les Français du poste de Merguy, qui s'y étaient rendus depuis une quinzaine de jours, à la suite des événements suivants.

Lorsque M. du Bruant, qui les commandait, avait pris possession de la place de Merguy, en mars 1688, on lui avait d'abord fourni des vivres, des instruments et des travailleurs du pays pour la construction d'un fort; mais bientôt, ces bonnes dispositions cessèrent brusquement: les travailleurs désertèrent, des difficultés survinrent avec le gouverneur indigène de Tenasserim, la place voisine. Ayant alors eu connaissance des troubles qui commençaient à agiter le pays, M. du Bruant crut prudent de s'assurer d'abord la possession de deux navires: un petit vaisseau anglais appartenant à un particulier et une frégate du roi de Siam, qu'il tint en réserve sous le canon du fort de Merguy. Il reçut sur ces entrefaites la lettre que M. des Farges s'était vu forcé de lui écrire; le style extraordinaire de cette lettre le mit en défiance, et loin de déférer aux ordres qui y étaient contenus, il ne s'en tint que davantage sur ses gardes.

Bientôt attaqué et investi par les Siamois, il força leurs lignes par une sortie le 24 juin, et s'embarqua avec ses hommes sur la frégate siamoise qu'il avait gardée et qui prit le nom de Merguy.

Après une navigation assez mouvementée, du Bruant rencontra un navire de la Compagnie, le Notre-Dame-de-Lorette, qui avait été acheté au Siam par la Compagnie, partit de ce pays, le 25 février 1688 à destination de Surate, mais il ne put doubler le cap Comorin et relâcha à Pondichéry. Quelque temps après, le chef du comptoir, François Martin, l'expédia. au Bengale et c'est pendant la traversée qu'il rencontra le Merguy, il lui fournit des vivres et les deux navires gagnèrent ensemble la rade de Balassor. Une escadre anglaise de quatorze vaisseaux les y trouva, les arrêta comme appartenant au roi de Siam, à qui les Anglais faisaient la guerre, et les conduisit à Madras En arrivant à Madras, le Notre-Dame-de Lorette s'échoua et se perdit et pour couper court aux réclamations du comptoir de Pondichéry, le tribunal anglais de Madras le jugea de bonne prise; au contraire du Merguy qui fut rendu aux Français après jugement. De là, du Bruant et ses troupes se portèrent à Pondichéry où ils arrivèrent le 15 janvier 1689.

Le comptoir de Pondichéry où les Français de Bangkok et de Merguy se trouvaient ainsi réunis, était alors sous la direction de François Martin et deux navires, le Coche, appartenant à la Compagnie et la Normande au Roi, étaient chargés de marchandises et prêts à partir. Des Farges, qui avait reçu par l'Oriflamme l'avis qu'une escadre française, composée de navires du Roi et de navires de la Compagnie, devait partir du Port-Louis dans le courant de l'année 1689 pour venir au Siam et à la côte de Coromandel, avait hâte de faire connaître en France la situation du Siam, aussi donna-t-il l'ordre au Coche et à la Normande de s'arrêter au cap de Bonne-Espérance et d'y laisser des lettres, que trouverait en passant l'escadre française en cas qu'elle fût déjà partie de France à l'arrivée des deux vaisseaux. Tout le monde à Pondichéry à ce moment, et des Farges le premier, ignorait que la guerre était déclarée entre la France et la Hollande, depuis le 3 décembre 1688.

Les deux navires, partis de Pondichéry le 17 février, se présentèrent sans défiance au cap de Bonne-Espérance et furent capturés par les Hollandais: la Normande, le 27 avril et le Coche, le 5 mai.

Avertis par les lettres qu'ils interceptèrent, les Hollandais crurent à l'arrivée prochaine d'une escadre française aux Indes et rassemblèrent une escadre de dix vaisseaux à Malacca pour l'attendre, mais cette escadre y resta inutilement jusqu'au mois de février 1690, l'armement de 1689 ayant été dissous, et remplacé l'année suivante par l'expédition confiée à Duquesne-Guiton.

Cependant, M. des Farges comptant lui-même sur l'entrée en scène de l'escadre qu'il attendait, se proposait de lui préparer un point d'appui sur la côte du Siam qu'il venait d'être obligé d'abandonner. Renonçant à retourner à Merguy avec toutes ses forces, il jeta ses vues sur l'île Jonsalam appartenant au royaume de Siam, et située à la partie méridionale de la côte ouest du pays.

D'autre part, François Martin ne le voyait partir qu'avec appréhension. Sommagi-naja, le fils de Sevagi, qui avait conquis tout le pays environnant sur le Grand Mogol, venait de mourir et Martin craignait pour le comptoir de Pondichéry le contre-coup des désordres qui suivraient inévitablement cet événement. Mais la difficulté de conserver ses vaisseaux déjà endommagés, dans une rade foraine comme est celle de Pondichéry, obligea M. des Farges à précipiter son départ. Il mit à la voile le 10 avril pour l'île Jonsalam, avec l'Oriflamme et les trois navires de Siam, emmenant 300 hommes de troupes françaises avec leurs officiers, 30 soldats métis et les équipages des navires.

Il laissait à Pondichéry un détachement de cinquante hommes avec un capitaine : M. de la Roche-Vigier, un lieutenant : M. de la Comme et un enseigne : M. Maurant, pour la défense du comptoir. Martin avait ravitaillé en partie les troupes de M. des Farges, et adjoint à l'expédition l'ancien chef du comptoir commercial de Siam, le commis Véret, avec une cargaison de 22.500 L. en marchandises à employer à l'île Jonsalam pour venir en aide à l'expédition. Il avait aussi adressé un exprès à Boureau-Deslandes, au comptoir d'Ougly (Bengale), pour lui donner ordre d'envoyer de son côté des vivres à l'île Jonsalam. Des Farges avait levé l'ancre depuis trois heures à peine, lorsque arrivèrent à Pondichéry, des messagers qui venaient de Surate par terre. Ils apportaient des lettres de France, datées du 3 septembre 1688 et annonçant la rupture imminente avec la Hollande. A Surate, on avait été prévenu assez tôt pour que le Florissant, qui en partit le 27 janvier, évitât de s'arrêter au Cap.

Martin expédia en mai le Merguy (rendu par les Anglais), aux comptoirs du Bengale, avec une cargaison et des lettres pour avertir Boureau-Deslandes de l'état de guerre avec les Hollandais, et le 1 juin, la quèche le Saint-Joseph, pour prévenir M. des Farges à l'île Jonsalam.

Le navire le Lonray qui était arrivé à Pondichéry, le 31 mai, apportant la confirmation de la guerre, est aussi expédié au Bengale où il rejoint le petit navire le Saint-Nicolas, que Martin avait fait partir de Pondichéry le 3 mars précédent.

Cependant, des Farges avait erré pendant plus de trois mois avec ses navires avant d'atteindre l'île Jonsalam; la quèche le Saint-Joseph, partie deux mois après lui, était passée à cette île, avait même poussé jusqu'à Merguy sans le rencontrer, et était rentrée à Pondichécy le 23 novembre. Ne pouvant se maintenir à Jonsalam, où il avait fort heureusement reçu des vivres par le Saint-Nicolas que Boureau-Deslandes avait envoyé d'Ougly, M.des Farges prit le parti de passer à Balassor avec le Saint-Nicolas et ses propres navires

Enfin, le 11 février 1690, arrivaient à Pondichéry, le Lonray et le Saint-Nicolas, chargés de marchandises du Bengale et l'Oriflamme portant les troupes de M. des Farges. Les navires de Siam étaient restés à Balassor. Ces trois premiers navires repartirent immédiatement pour la France en passant par le Brésil et la Martinique. Le Lonray et le Saint-Nicolas seuls rentrèrent en France en 1691, et que l'Oriflamme périt dans un combat contre un navire anglais, au débouquemenf des îles d'Amérique.

Depuis qu'il avait appris la déclaration de guerre aux Hollandais, Martin, songeant que le comptoir de Pondichéry n'était pas à l'abri de leur atteinte, fit tous ses efforts pour se mettre en état de défense. Il obtint d'abord de Rem-Raja, qui succédait Sommagi, la permission d'y élever des fortifications, puis avec les troupes laissées par M. des Farges et les quelques hommes qu'il retenait des navires de la Compagnie, il composa une petite garnison. Duquesne-Guiton trouva le comptoir de Pondichéry dans cette situation, lorsqu'il y arriva avec son escadre, le 12 août 1690. 

L'aventure du Siam ne s'arrête pas là. Un aventurier groisillon, laurent BARISY, y joua un rôle certain un siècle plus tard.

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20 décembre 2001

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