Deux
frégates :
La Mazarine, de 200 tx et de 24 canons ;
La Duchesse, de 80 tx et de 4 canons ;
Quatre
houcres de 90 à 100 tx:
le
Saint-Denis, le Saint-Jean, le
Saint-Luc, et le Saint-Robert,
armés de 2 à 4 canons.
Toute
la flotte était sous les ordres de François
de Lopis, marquis de Mondevergue, revêtu par le Roi
des charges d' "Amiral et Lieutenant
Général pour commander les Places et
Vaisseaux français au-delà de la Ligne
équinoxiale". C'était une sorte de
vice--royauté des Indes.
La
flotte devait être convoyée
jusqu'au-delà des mers d'Europe par quatre
vaisseaux du Roi, sous les ordres du chevalier de La
Roche, chef d'escadre. Étaient présents
:
Le Rubis, commandant, le chevalier de La Roche ;
Le Beaufort, commandant, le chevalier d'Humières ;
Le Mercur, commandant, le sieur de Turelle ;
L'Infant, commandant, le sieur de Kéroin.
Elle
emportait, outre ses équipages avec leurs
officiers, le hollandais Caron et le français de
Faye comme directeurs de commerce ; le sieur d'Epinay,
procureur général du conseil des Indes ; 4
compagnies d'infanterie et leurs officiers ; 8 marchands,
4 français et 4 hollandais ; 10 chefs de colonie
avec leurs employés ; 32 femmes et quelques
enfants. En tout, 2.000 personnes environ, en comptant
les équipages.
L'armement
avait coûté 2,1 millions de L., sur lesquels
il y avait pour 1,1 en marchandises et argent en barre ou
en réaux d'Espagne.
C'est
sérieusement cette fois qu'on devait gagner les
Indes et les marchandises étaient
embarquées à cette destination. Mondevergue
s'arrêtait bien à Madagascar, mais Caron
avait mission de toucher seulement à Fort-Dauphin
et de gagner immédiatement les Indes pour y
établir des comptoirs. Quant à de Faye,
après avoir relâché à Bourbon
avec quatre vaisseaux, il devait établir un centre
de colonisation à Galemboule, sur la côte
est de Madagascar, puis rejoindre Caron. Celui-ci le
laisserait alors à la tête des
établissements qu'il aurait fondés, pour
gagner lui-même la Chine et y créer de
nouveaux comptoirs.
Enfin
il était recommandé à Caron et
à de Faye d'expédier, le plus tôt,
qu'ils pourraient, un navire chargé des
marchandises d'Orient, afin qu'on pût montrer aux
actionnaires des preuves certaines que les
opérations de commerce étaient
engagées et donnaient des résultats. On
attendait encore à ce moment un envoi semblable de
la première expédition, et nous savons que
ce premier retour, effectué par la
Vierge-de-Bon-Port, ne devait pas arriver en
France.
La
flotte de Mondevergue partit de la Rochelle le 14 mars
1666 et naviguant bien groupée pour pouvoir, en
cas d'attaque, résister aux Anglais avec qui la
France était en guerre, elle gagna les Canaries.
Elle s'y arrêta quelque temps pour faire
l'acquisition d'une frégate de 120 tx, la
Notre-Dame-de-Paix, chargée de vins, puis
reprit sa route.
Au
milieu des calmes de la "Ligne", le Terron
commença à faire eau, et ce vaisseau fut
jugé incapable de continuer le voyage et de
doubler le cap de Bonne-Espérance dans
l'état où il se trouvait. Cette
circonstance obligea Mondevergue à gagner au plus
vite la côte du Brésil ; il arriva le 25
juillet à Pernambouc et y fut retenu jusqu'au 2
novembre. Ce n'est que le 10 mars 1667 qu'il
débarqua à Fort-Dauphin, après une
escale à l'île Bourbon pour y déposer
5 femmes, ayant mis un an à faire le
voyage.
Ce
retardement imprévu eut d'abord des
conséquences terribles. L'expédition,
pendant cette longue traversée, avait
épuisé tous ses approvisionnements, qu'elle
n'avait pu renouveler au Brésil, à cause de
la cherté des vivres. D'autre part, la colonie de
Madagascar était dans un tel état de
détresse qu'elle pouvait à peine se
suffire. Plus de 6 mois s'étaient
écoulés après l'époque
annoncée pour l'arrivée du grand armement,
et, ne le voyant pas venir, les colons pressés par
la faim, avaient consommé les vivres qu'ils
avaient d'abord amassés pour le
ravitailler.
L'hostilité
des indigènes était à l'état
aigu : impossible d'en tirer des vivres, des bestiaux
autrement que par des razzias ; impossible aussi
d'entreprendre une culture suivie au milieu d'alertes
continuelles. Fort-Dauphin n'était qu'une
misérable enceinte de troncs d'arbres entourant
quelques hangars en planches couverts de feuilles et
défendue par neuf pièces de canon de fer
sans affûts.
Des
premiers agents de la Compagnie, les uns étaient
morts, les autres étaient retournés en
France ou avaient cherché fortune en d'autres
lieux. Des quatre vaisseaux qui les avaient
amenés, la Vierge-de-Bon-Port avait
été coulée par les Anglais au retour
; la frégate le Saint-Paul, qui
s'était mise en route pour les Indes avait perdu
tous ses officiers et était rentrée en
France ; le Taureau s'était perdu sur les
côtes au nord de l'île. Il ne restait plus
que l'Aigle-Blanc et le houcre Saint-Louis,
mouillés devant le Fort, sans agrès, sans
officiers et sans marchands, ceux-ci étant morts
d'épuisement ou assassinés.
Champmargou
survivait seul avec La Caze et quelques autres
aventuriers mieux trempés, restes vivaces de
l'ancienne Compagnie de La Meilleraie.
Voilà
ce que les nouveaux colons épuisés par leur
long voyage trouvèrent en débarquant
à cette terre désirée qu'ils
cherchaient depuis un an. On devine quelle fut la
misère de tous. Dans ces conditions, il
était impossible à Caron et à de
Faye d'exécuter leur programme et de pousser
immédiatement jusqu'aux Indes. Il fallait d'abord
ne pas mourir de faim, et ils n'avaient rien pour se
ravitailler.
Dans
une circonstance aussi critique, Mondevergue se montra,
par ses qualités d'organisateur, bien
supérieur à ceux qui l'avaient
précédé. Le conseil souverain une
fois établi, il prit de sages mesures qui
rendirent quelque activité à la colonie et
produisirent une détente notable dans les
relations avec les indigènes. Par ses soins,
Fort-Dauphin devint un fort véritable ; un
bâtiment en pierres, le premier de l'île, y
fut élevé ; on établit aussi une
voie empierrée et un quai de débarquement.
Malgré ces premiers succès, quand il eut
réuni les vivres nécessaires pour
expédier un navire en France, Mondevergue, qui
avait déjà envoyé des nouvelles du
Brésil et du Cap, adressa au Roi et à la
Compagnie des lettres datées du 28 janvier 1668,
empreintes du plus sombre pessimisme. Ces
dépêches furent confiées au houcre
Saint-Robert, qui partit à destination du
Port-Louis.
Mondevergue
songea aussi à rassembler à Fort-Dauphin
les groupes de colons qui se trouvaient trop
exposés dans différents sous-comptoirs
isolés où la Compagnie faisait des
dépenses sans profit : à Galemboule,
à la baie d'Antongil, à l'île
Sainte-Marie. Il employa les navires dont il pouvait
disposer à ramasser ces colons, en même
temps que des vivres.
Quand
la colonie fut réorganisée, on put songer
à se porter aux Indes. Dans le courant de
l'année 1667 était arrivé de France
un navire, la Couronne, qui amenait un nouvel agent de la
Compagnie, le sieur Marcara Avanchiz, natif d'Ispahan en
Perse. Ce Marcara devint célèbre dans la
suite par ses démêlés avec Caron et
la persécution dont il fut victime.
Enfin
le 27 octobre 1667, le premier convoi partit pour les
Indes. Caron et Marcara s'embarquaient sur le navire le
Saint-Jean-Baptiste, qui mit à la voile
avec la Couronne et le houcre Saint-Denis.
Ils arrivèrent le 24 décembre à
Cochin, comptoir hollandais, où ils furent bien
accueillis; de là ils poussèrent à
Surate et mouillèrent à Suali, le port de
cette ville, le 13 février 1668. Deux mois plus
tard, le 24 avril, Caron faisait partir le
Saint-Jean-Baptiste avec une bonne cargaison. Ce
navire passa à Fort-Dauphin le 21 juin 1668 et
poussa immédiatement en France, où nous le
retrouverons.
De
Faye, qui devait conduire aux Indes le deuxième
convoi, attendait, pour partir, les vaisseaux de France
dont la Couronne avait annoncé
l'arrivée. Deux vaisseaux de la Compagnie,
l'Aigle d'Or et la Force partis, du
Port-Louis, le 20 mars 1668, arrivèrent à
Fort-Dauphin, le premier, le 15 septembre, et le second,
le 30. De Faye quitta alors Fort-Dauphin le 19 octobre
1668 avec la Marie, l'Aigle-d'Or et la
Force. Arrivé à Surate le 15 mars
1669, il y mourut de la dysenterie le 30 avril
suivant.
Un
troisième convoi partit pour les Indes le 12
août 1669; il se composait de la Couronne
(qui avait fait un premier voyage avec Caron,
était revenue à l'île Dauphine avec
des rafraîchissements), du houcre Saint-Jean
et, de la frégate Mazarine. Ces trois
navires doublèrent la pointe sud de Madagascar
pour s'engager dans le canal de Mozambique, gagner
l'île de Socotora et les Indes.
Séparés par une tempête peu de jours
après le départ, ils firent route
isolément. La Couronne et le Saint-Jean se
rejoignirent cependant et arrivèrent à
Surate le 23 septembre. La Mazarine n'y parvint
que longtemps après, et dans un si mauvais
état qu'elle dut être
dépecée.
Ainsi
se trouvait rassemblée à Surate une
véritable flotte à laquelle
s'ajoutèrent quelques bâtiments armés
dans le pays. Ces navires servirent à nouer des
relations avec les centres marchands de la côte de
Perse, les côtes de Malabar et de Coromandel, et
à y établir des comptoirs. Les
premières opérations de la Compagnie dans
ces contrées sont narrées dans une relation
que nous a laissée le sieur Dellon, docteur en
médecine, qui s'était embarqué au
Port-Louis sur la Force et avait passé aux
Indes sur la Couronne, afin de "voir du
pays".
Après
le départ de tous ces convois, la colonie de
Fort-Dauphin retomba dans un état d'affreuse
langueur jusqu'à l'arrivée de la
frégate Saint-Paul qui, allant à
Surate, passa à Fort-Dauphin le 2 octobre 1669. Ce
navire apportait de nouveaux ordres et des lettres de
Louis XIV et de Colbert pour Mondevergue. Malgré
ses efforts, celui-ci n'avait pu surmonter toutes les
difficultés accumulées par les fautes de
ceux qui l'avaient précédé, et les
lettres du Roi n'étaient qu'une suite de reproches
et le présage d'une disgrâce.
Parmi
ces dépêches, il y avait une lettre de
rappel :
"Monsieur
de Mondevergue, estant satisfait des services que vous
m'avez rendus dans le commandement de l'Isle Dauphine, je
vous fais cette lettre pour vous dire que vous ayez
à vous rendre près de moy sur le premier
vaisseau qui partira de la d. Isle pour s'en revenir en
France. Sur ce je prie Dieu qu'il vous ayt, Monsieur de
Mondevergue, en sa Sainte Garde. Escrit à Paris ce
31 mars 1669" Signé LOUIS, et plus bas
COLBERT.
Peu de
temps après, les retours d'Inde
commencèrent à repasser à
Fort-Dauphin ; ce furent d'abord les deux houcres
Saint-Denis et Saint-Jean qui rapportaient
de Surate des rafraîchissements et des vivres pour
la colonie; ils annonçaient l'arrivée
prochaine de deux navires plus importants qui les
suivaient. Le Saint-Denis poursuivit sa route
jusqu'en France ; quant au Saint-Jean, en voulant
regagner les Indes, il fut brisé sur les
côtes de Madagascar.
Dès
l'arrivée à Fort-Dauphin des deux vaisseaux
annoncés, la Marie et la Force,
Mondevergue se prépara à rentrer en France.
Il s'embarqua sur la Marie, qui mit à la
voile avec la Force le 15 avril 1670. Mais
à la hauteur du Cap, le premier vaisseau est
séparé de sa conserve (qui arriva au
Port-Louis de Bretagne le 10 septembre 1670);
refoulé par la tempête, Mondevergue
débarque de nouveau à Madagascar, où
la fatalité l'enchaîne et reprend le
commandement qu'il garda jusqu'en novembre 1670,
époque à laquelle arriva à
Fort-Dauphin une escadre royale de dix vaisseaux sous les
ordres de La Haye, nouveau gouverneur de l'île
Dauphine et vice-roi des Indes.
Après
avoir passé le commandement à de La Haye,
Mondevergue resta encore quelque temps dans la colonie,
il la quitta enfin le 9 février 1671 sur la
Marie, qui arriva en rade de Groix le 22 juillet
1671. Un exempt des gardes du corps, le capitaine de La
Grange, attendait Mondevergue au Port-Louis pour
l'arrêter au nom du Roi. Poursuivi par la rancune
des directeurs de la Compagnie, qui ne voyaient en lui
que le représentant de cette maudite colonie de
Madagascar, il paya par une injuste disgrâce les
fautes de ceux qui l'avaient
précédé. Mis immédiatement au
secret sans que le Roi voulût l'entendre, il fut
ensuite enfermé au château de Saumur
où il mourut le 23 janvier 1672.
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